L’industrie sidérurgique européenne cherche à se forger une crédibilité écologique

Matériau essentiel à la société moderne et contributeur notable au changement climatique, l’acier appelle à se mettre en quête de technologies de pointe susceptibles de décarboner le secteur.

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Par Horizon Publié le 15 juillet 2023 à 10h00
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125 MILLIARDS €Le secteur de la sidérurgie pèse 125 milliards d'euros au niveau européen.

Sur un site d’essai industriel situé à proximité de Metz, dans le nord-est de la France, une machine de la taille d’une petite maison à deux étages produit des plaques de fer. Avec ce procédé, l’Europe fait un grand pas en avant dans la lutte contre le changement climatique.

L’idée est de produire de l’acier par électrolyse, une nouvelle méthode qui évite d’avoir à utiliser du charbon, très polluant, et qui réduit les émissions de gaz à effet de serre, et notamment de CO2. Grâce à ces nouvelles technologies, les entreprises sidérurgiques espèrent décarboner leur propre secteur.

Usine pilote

L’usine pilote française du deuxième producteur mondial d’acier, la société luxembourgeoise ArcelorMittal, a vu le jour grâce au projet SIDERWIN financé par l’UE, qui s’est achevé en mars dernier après plus de cinq ans d’existence.

Malgré son impact modeste, si l’on considère le marché de l’acier dans son ensemble et malgré le fait qu’il produise une infime fraction des volumes d'acier d’une usine normale, le site pilote a de grandes ambitions.

«D’ici à 2025, nous développerons notre première petite usine industrielle», a déclaré Valentine Weber-Zollinger, ingénieure chez ArcelorMittal et coordinatrice du projet SIDERWIN. «Notre objectif est de mettre cette usine pilote en service en 2027. Après, nous l’agrandirons jusqu’à atteindre la taille d’une aciérie classique, ce qui devrait être le cas d’ici à 2030.»

Les émissions du secteur industriel, y compris celles engendrées par la production de l’acier, contribuent de manière significative au réchauffement climatique du monde entier et de l’Europe.

Indispensable à tous les équipements, des véhicules jusqu’aux réfrigérateurs en passant par les ponts et les voies ferrées, l’acier est responsable d'environ 7 % des émissions mondiales et de 5 % des émissions européennes de CO2. En comparaison, l’aviation produit environ 2,5 % du CO2 à l’échelle mondiale.

Les fabricants d’acier sont dans le viseur des législateurs européens sur le climat depuis 2005, lorsque l’UE a commencé à limiter les émissions de gaz à effet de serre des usines et des centrales électriques par le biais du plus grand système d’échange de quotas d'émissions (ETS) au monde.

Depuis cette date, grâce à la mise en œuvre de l’ETS, les émetteurs sont soumis à des plafonds annuels de plus en plus stricts, tandis que l’UE poursuit son objectif de neutralité climatique à l’horizon 2050. La réglementation plus stricte a, à son tour, incité les fabricants d’acier européens à multiplier les efforts pour rechercher des méthodes de production plus respectueuses de l’environnement.

Influence et climat

En Europe, le secteur réalise un chiffre d’affaires annuel d'environ 125 milliards EUR et emploie plus de 300 000 personnes, selon l’association professionnelle Eurofer.

L’importance politique de l’industrie sidérurgique européenne remonte à 1951, date de création de la Communauté européenne du charbon et de l’acier. La CECA a constitué la première étape vers l’intégration européenne, après la Seconde Guerre mondiale.

Les ambitions climatiques européennes, ainsi que le poids économique et politique de l'industrie sidérurgique en Europe, ont conduit l’UE à approuver cette année un plan de politique commerciale sans précédent connu sous le nom de mécanisme d’ajustement carbone aux frontières (MACF). Ce mécanisme imposera une taxe sur les importations de produits de l’UE, y compris d’acier, s’ils proviennent de pays dans lesquels les fabricants sont exonérés des frais de protection du climat auxquels sont soumis les producteurs dans le cadre de l’ETS.

«La production d’acier est l’un des procédés industriels les plus énergivores» a déclaré Richard Porter, associé de recherche principal à l'University College de Londres. «L’acier génère une importante quantité de CO2, donc il est capital que nous décarbonions le secteur le plus rapidement possible.»

Sale boulot

La production d’acier émet du CO2 principalement de trois manières. Dans une aciérie classique, du charbon est utilisé pour produire du coke, l’une des principales sources d’énergie utilisées dans les hauts fourneaux.

Le coke est aussi utilisé comme agent réducteur. Pour avoir cette fonction, le coke est brûlé avec le fer. Cette opération crée un procédé chimique qui a pour effet de retirer l’oxygène du minerai de fer. Le fer fondu ainsi obtenu est alors utilisé pour fabriquer de l’acier.

Pour couronner le tout, une aciérie consomme beaucoup d’électricité, en grande partie produite sur site mais encore pour l’instant obtenue à partir de sources générant, elles aussi, du CO2. Toutefois, la principale source d’émissions du secteur de l’acier est l’utilisation du charbon.

D’après le Centre commun de recherche de la Commission européenne, la stratégie de décarbonation de l’industrie sidérurgique européenne repose principalement, jusqu’à présent, sur les possibilités offertes par l’hydrogène.

À titre d’exemple, la société suédoise H2 Green Steel prévoit de faire appel à une usine située dans le nord du pays pour produire le métal avec de l’hydrogène propre, c’est-à-dire grâce à une électricité ne provenant pas de combustibles fossiles, et non avec du charbon. L’objectif est de réduire jusqu’à 95 % les émissions de CO2 par rapport à la sidérurgie traditionnelle.

Captage du carbone

Parmi les autres options possibles figurent l’électrolyse, mais aussi ce que l’on appelle le «captage du carbone», au cœur des travaux de M. Porter.

«Nous voulons capturer la plus grande partie du CO2 d’une aciérie», a-t-il déclaré. «Nous ciblons les gaz qui contiennent du CO2 et utilisons des procédés chimiques pour le capturer.»

M. Porter participe au projet C4U, financé par l’UE, qui met au point cette technologie. Le projet, d’une durée de quatre ans, et qui s’achèvera en mars 2024, a pour objectif de tester les recherches dans des aciéries de Belgique, d’Espagne et de Suède.

Si le système fonctionnait et pouvait être adopté à grande échelle, cela ferait une grande différence. Le projet C4U espère pouvoir le commercialiser en 2030.

«Notre objectif est de capter et de réduire d’environ 90 % les émissions d’une aciérie», a déclaré M. Porter.

Le CO2 ainsi capturé serait alors soit stocké, par exemple dans des gisements sous-marins de pétrole et de gaz naturel épuisés, soit utilisé dans d’autres procédés industriels, comme la production de ciment, qui ne réémettent pas de carbone.

Toutefois, la technologie de captage du carbone fait, elle aussi, l’objet de critiques car elle n’exige pas de repenser fondamentalement la façon de fabriquer de l’acier comme le fait, par exemple, l’électrolyse. Les producteurs peuvent se contenter de poursuivre leurs activités, comme ils en ont l’habitude, en équipant leurs usines d’équipements de captage du carbone et en continuant d’utiliser leurs méthodes de production polluantes.

M. Porter est conscient de ces critiques.

«J’ai l’espoir que le captage du carbone offre un tremplin vers d’autres types de production d’acier», a-t-il déclaré.

La modernisation des aciéries avec la technologie de captage du carbone peut offrir un moyen provisoire de réduire les émissions de CO2 en attendant de pouvoir introduire des formes fondamentalement plus propres de production d’acier.

Réactions et courant

C’est là que le projet SIDERWIN entre en scène. Le charbon serait remplacé par l’électricité comme agent réducteur.


«Nous plongeons deux électrodes dans un liquide appelé électrolyte», a déclaré Mme Weber-Zollinger d’ArcelorMittal. «La réaction obtenue en faisant passer du courant peut séparer le fer de l’oxygène dans le minerai de fer.»

Cette utilisation de l’électrolyse réduirait l’essentiel des émissions de CO2 issues de la production d’acier. Reste à savoir si le processus peut être développé à grande échelle.

C’est dans cet objectif que les participants du projet ont bâti une usine pilote.

Dans un précédent projet, ArcelorMittal avait déjà bâti une usine pilote capable de produire une tôle constituée d’environ trois à quatre kilogrammes de fer, et susceptible d’être transformée en acier. Le nouveau système produit des plaques d’environ un mètre carré qui pèsent entre 20 et 50 kg.

«Notre approche nous permettra de réduire les émissions de CO2 de façon radicale», a déclaré Jean-Paul Allemand, responsable du centre de recherche d’ArcelorMittal. «Mais il restera encore un pourcentage d’émissions à capter.»

Ceci signifie que les recherches menées dans ce domaine en Europe se poursuivront sur de nombreux fronts.

«Nous devons avancer, aussi bien avec le déploiement du captage du carbone qu’avec l’introduction de nouvelles méthodes de production», a déclaré M. Porter du projet C4U. «De nombreux projets pilotes sont en cours, avec des résultats prometteurs. Mais nous devons faire encore plus.»

Cet article a été publié initialement dans Horizon, le magazine de l’UE dédié à la recherche et à l’innovation. 

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Horizon, le magazine de l’UE dédié à la recherche et à l’innovation.

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