Un très grand historien du climat vient de décéder dans l’oubli de la transition écologique : Emmanuel Le Roy Ladurie

Qui a entendu parler de son décès le 23 novembre 2023, alors que nous étions en pleine période de la COP 28 (Conférence des Parties) qui s’est déroulée du 30.11 au 12.12.2023 à Dubaï dans les Emirats arabes ?

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Par Daniel Moinier Publié le 13 décembre 2023 à 5h00
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2,3 MILLIARDS €Le coût de l'adaptation au réchauffement climatique en France serait de 2,3 milliards d'euros par an.

Et pourtant comme le dit le communiqué de l’Elysée, il a éclairé les siècles de lumières nouvelles. Il fût l’un de nos grands historiens qui surent marcher dans les pas de géants, tel Marc Bloch ou de Fernand Braudel en formant des générations d’étudiants et de chercheurs. Il a surtout contribué à nous faire connaître le climat depuis plus de 10 siècles, passé sous silence depuis l’arrivée de la prédominance du GIEC et sa « pensée » unique.

C’est sa recherche de l’histoire des paysans et de « leurs vies minuscules » qui l’a fait le plus connaître. Et surtout en découvrant tous les cataclysmes qu’ils ont subi suites aux conditions climatiques extrêmes. Né dans l’agriculture, il a été directement mis au fait des changements journaliers du temps, de ses répercussions sur les cultures mais aussi sur les rudes conditions de travail.

Cela m’a fait penser à ma jeunesse un peu similaire avec les paysans et leur facilité à s’adapter à toutes les conditions climatiques : Bien obligé !

Chez mon père verrier cristallier, comme presque tous les habitants environnants, nous complétions les revenus en cultivant la terre avec cochons, poules, lapins, canards, … Pour nous le temps avait une grande importance sur les récoltes annuelles.

Mon père me disait souvent ; Il fait beaucoup moins froid que lorsque que j’étais jeune, il complétait en :

Mon père disait de même et son père aussi. En calculant, je me disais cela fait quelle époque ? Calculons : mon père est né en 1902, le grand-père en 1862, l’arrière-grand-père en 1821. A cette époque la révolution industrielle n’avait pas réellement démarré et les émissions de carbone devaient être très faibles. Avant 1900 les moyens de transport était très limités hors le rail. Le chauffage au charbon commençait à peine à démarrer, le bois était de loin le combustible utilisé depuis la nuit des temps.

C’est ainsi que Leroy Ladurie s’est posé la même question :

Comment connaître le climat du passé ?

Quelle influence les évolutions climatiques ont-elles exercé sur les grands mouvements sociaux ? sur le paysage ? sur les récoltes ?

Comment appréhender en tant qu’historien la question du réchauffement climatique ?

Par ces livres fondateurs, Emmanuel Le Roy Ladurie a montré le premier qu’il pouvait y avoir une histoire du climat, en réunissant la documentation nécessaire pour étudier les observations météorologiques anciennes, analyser les dates des récoltes, scruter les textes, descriptions et représentations iconographiques des glaciers…

L’historiographie du climat devient ainsi une enquête minutieuse et passionnante où l’on chemine entre forêts, vendanges et mers de glace, du Moyen Âge au réchauffement récent en passant par le « petit âge glaciaire ».

Il aurait écrit 108 livres dont 7 plus spécialement sur le climat :

-Les fluctuations du climat de l’an mil à aujourd’hui

-Histoire du climat depuis l’an mille Tomes 1 et 2

-Abrégé d’histoire du climat du moyen âge à nos jours

-Histoire humaine et comparée du climat, canicules, et glaciers XIII -XVIII siècles

-Canicules et froids extrêmes

-Naissance de l’histoire du climat

-Le 4 décembre 2019, Le climat, une profonde rupture

Le climat a fait l’objet depuis longtemps d’une approche mystique et religieuse, des processions étaient organisées, des sorcières étaient consultées souvent brûlées. C’est seulement qu’au XVII siècle et en 1659 que la température exacte a pu être vérifiée sur une année en Angleterre et en 1676 en France.

Trois indicateurs fiables permettent d’étudier les évolutions climatiques en Europe, et notamment en France : le vin, et plus précisément les dates de vendange, l’époque de la récolte du blé et l’évolution des glaciers et depuis, par le carottage de la calotte glacière des deux pôles.

Quelles ont été les grandes périodes climatiques et glaciaires depuis l’antiquité ?

Entre 1500 et 1000 ans avant notre ère (âge du bronze), il a fait un temps relativement chaud avec fonte partielle des glaciers.

Pendant l’époque romaine 200 ans avant et 200 après JC, un petit optimum était présent similaire à celui du XXe siècle.

Dates des grandes sécheresses d’été répertoriées :

* VIe siècle : 580, 582, 584, 585, 586, 587, 589, 591
* VIIe siècle : 675, 700
* VIIIe siècle : 783
* IXe siècle : 874, 892
* Xe siècle : 921, 987, 994
* XIe siècle : 1078, 1094
* XIIe siècle : 1137, 1183, 1188
* XIIIe siècle : 1204, 1212, 1226, 1287
* XIVe siècle : 1305, 1306, 1325, 1331, 1334, 1361, 1384, 1392
* XVe siècle : 1473
* XVIe siècle : 1540, 1553
* XVIIe siècle : 1632, 1674, 1684, 1694
* XVIIIe siècle : 1701, 1712, 1718, 1719, 1726, 1727, 1767, 1778, 1793
* XIXe siècle : 1803, 1811, 1817, 1825, 1842, 1858, 1875, 1893

* XXe siècle : 1921, 1952, 1976,

* XXIe siècle : 2003, 2022

Variations conjointes de la température antarctique (en haut) et du CO2 atmosphérique (en bas) depuis 800 ka.

Arti Moinier 13122023

Source - © 2004 D'après les Données du forage Concordia / Météo France

Constat : Depuis l’an 800, le CO2 en quantité a toujours suivi la courbe des périodes chaudes.

Comment expliquer ce parallélisme entre astronomie, température et CO2 ? Comme il est raisonnable d'exclure que ce soient les variations climatiques et/ou atmosphériques qui modifient l'orbite de la Terre, ce sont les variations astronomiques qui modifient le climat. Ce sont elles le facteur déclenchant.

La similitude des courbes suggère une relation, d'autant plus que la physique de base prédit une évolution conjointe. Les différences entre les deux courbes sont également riches d'enseignement.

Par comparaison d’époque, un extrait des études de l’université de Lausanne

Quatre fois plus de CO2 qu’aujourd’hui, sans usines ni voitures à la période du crétacé et tertiaire !

Si la température a connu au cours des âges de nombreux soubresauts, il en a été de même pour les gaz à effet de serre, et notamment pour le dioxyde de carbone et le méthane. Ce qui n’a rien d’étonnant puisque, on ne le sait que trop, ces deux facteurs sont liés. « Dans le passé, on a connu des périodes où il y a eu plus de CO2 qu’aujourd’hui, souligne Torsten Vennemann. Au crétacé notamment (ndlr – l’ère qui s’étend entre – 145 et – 65 millions d’années), il y en a eu jusqu’à quatre fois plus qu’actuellement. Et au tertiaire, période de prédilection du professeur de l’UNIL, environ deux fois plus ».

Pourtant, il n’y avait alors aucun être humain sur terre pour brûler des combustibles fossiles : pas d’automobiles, pas de systèmes de chauffage ni d’usines susceptibles d’accélérer la croissance de l’effet de serre.

D’où venaient donc ces gaz ? D’abord, des mouvements des continents qui ont modifié la répartition des océans à la surface de la planète. « Une très grande partie du CO2 est stockée dans l’océan, notamment dans ses couches les plus profondes. Or, au cours du temps, la circulation océanique a changé ».

Si au premier ordre le CO2 semble le facteur majeur, il y en a d'autres, non anthropiques, qui "modulent" la régularité de l'augmentation : variations de l'activité solaire, épisodes volcaniques importants, variations des couplages océan/atmosphère dont El Niño est le plus célèbre...

Un condensé de l’histoire des évolutions climatiques de 500 à nos jours.

Vers 500 à l’époque mérovingienne, un rafraîchissement et des re-glaciations sont apparues. Alors que vers la fin du centenaire, la décennie de 580 à 591 a connu sept années exceptionnellement chaudes et avec des chaleurs très décalées dans le temps, occasionnant souvent des doubles récoltes de fruits ou même de raisins, mais aussi de fortes sécheresses sans herbe, ni blé et des rivières à sec.

La Période de 600 à 900 a été moins perturbée même s’il y a eu encore plusieurs années de sécheresse intense en 675, 700, 783.

Entre 900 et 1300 à l’époque médiévale, un réchauffement est intervenu, les vikings pouvant conquérir le Groenland. En 994, année de sécheresse intense, le manque d’eau est crucial, les poisons meurent, les arbres sèchent, plus d’herbe ni de céréales. On a pu traverser le Rhin à pied entre Bâle et Strasbourg. Ce sera encore vrai en 1882.

Les années 1094, 1137, 1183, 1188, 1204, 1212, 1226, 1287 ont connu leur période de sécheresse plus ou moins longue.

C’est également en 1303, au Moyen Âge, que la France a connu la sécheresse la plus importante du millénaire suivi de deux années 1305, 1306 encore très chaudes.

De 1314 à 1316, il s’en est suivi une grande famine avec des étés pourris, suivis des étés 1325 et 1334 un peu similaires. En 1348, le roi Louis XI a même été obligé de promulguer une loi anti-famine.

Au XIVe siècle jusque vers 1860, le pays a connu un petit âge glaciaire avec expansion des glaciers.

Pendant cette longue phase glaciaire, il y a eu des périodes de canicule et de sécheresse, les nourrissons et enfants mourraient de déshydratation et dysenterie. En 1356, ce sont de terribles incendies de forêts surtout en Normandie qui ont entraîné de longs temps de disette.

A partir de 1570 le froid s’est amplifié. Chamonix a failli disparaitre envahi par la mer de glace et cela a duré jusqu’au XVIIe siècle.

Puis en 1636, c’est le manque d’eau qui provoque une forte baisse des nappes et une vague de dysenterie.

En 1693, c’est le contraire, les pluies diluviennes font 1,3 millions de morts sur 20 millions de Français !

A l’inverse, l’hiver 1708-1709 fût le plus froid depuis 1500 provoquant 600.000 morts.

C’est à partir de 1850 que l’on assiste à un fort recul des glaciers suite à une hausse des températures.

En 1846, une canicule importante grille les récoltes en Irlande et provoque un million de morts (sur 10 millions), décès accentués par des spores agricoles importées d’Amérique. En France ces même effets ont provoqué 200.000 morts en 1846.

Entre 1904 et 1906, des conditions météorologiques favorables chaudes aboutirent à des vendanges prolifiques qui déstabilisèrent la profession : récoltes trop abondantes.

A l’inverse en 1911, une longue canicule et une grande sécheresse furent responsables de 40.000 décès, de la mort de 181.000 porcs et 685.000 moutons.

C’est la fin du petit âge glaciaire et le réchauffement s’accentue depuis 1911-1921 malgré quelques hivers froids, même s’il y a eu le feu historique de la forêt de Fontainebleau.

En 1956, un des hivers les plus froid, il a eu des moins 20 degrés pendant tout le mois de février avec des pics au-delà de moins 30. Record moins 33.

En 1947, un hiver très rude suivi d’un été caniculaire provoqueront une forte inflation suivie de grands mouvements de grève.

En 1949, une chaleur très forte provoque « l’incendie du siècle » qui a fait rage aux portes de Bordeaux, 52.0000 hectares partent en fumée entrainant la mort de 82 personnes.

En revanche l’hiver 1961/62 a été très froid avec des moins 15/20 degrés pendant presque trois mois.

A l’inverse, 1976 a été l’année d’une grande sécheresse surtout dans l’Est, du 15 avril au 14 juillet, ce fût trois mois sans pluie. Le manque d’eau était tel que les rivières étaient presque à sec, l’herbe n’avait pas pu pousser, les arbres n’avaient pas ou peu de feuilles et séchaient… Les paysans faisaient venir de la paille de Pologne. Il a même été créé un impôt sécheresse. Pour le monde agricole, l’été 1976 restera synonyme de catastrophe absolue.

L’année 1994 a été l’été le plus chaud sur la période de 50 ans avant la fin du siècle.

Puis nous avons connu 2003 et sa chaleur intense en été et la mort de très nombreuses personnes âgées (15.000 env). (Les 40° ont été dépassés en 2002, 2018, 2019, 2020,2021,2022).

Puis ce fût 2023, l’année de tous les records. Le nombre de jour de canicule a été exceptionnel avec dépassement de 40° sur plusieurs jours, y compris à Lyon et des nuits au-dessus de 20°. C’est aussi un mois de septembre qui a été exceptionnellement chaud dépassant toutes les données jamais enregistrées.

Pour ceux qui veulent se pencher plus à fond sur toutes les périodes très chaudes, caniculaires et de sécheresse, les 2 livres (Les deux premiers sur la liste ci-dessus) d’Emmanuel Leroy Ladurie sont un recueil très complet permettant de constater qu’il y a toujours eu des périodes de forts réchauffements plus ou moins longs avec tout ce que cela a pu engendrer de sécheresse, manque d’eau, incendies, misères, de famines, décès, de mort d’animaux en grands nombres…

Cette histoire du climat démontre que les périodes de sécheresse et de canicule ont toujours existé et depuis très longtemps avec des durées souvent plus longues et plus répétitives. La différence, c’est l’augmentation en intensité de la chaleur et de canicules, même s’il a eu beaucoup moins de longues périodes de sécheresse depuis 1900.

Avant les années 1800, il n’est pas possible d’évoquer les réchauffements par l’industrialisation du monde, ni du gaz carbonique et pourtant il y a bien eu un nombre très conséquent de grandes sécheresses et de catastrophes.

Le Sahara était bien vert il y a 5000 ans ! Que s’est-il passé depuis ?

Un extrait des études de l’université de Lausanne

Quatre fois plus de CO2 qu’aujourd’hui, sans usines ni voitures à la période du crétacé et tertiaire !

Si la température a connu au cours des âges de nombreux soubresauts, il en a été de même pour les gaz à effet de serre, et notamment pour le dioxyde de carbone et le méthane. Ce qui n’a rien d’étonnant puisque, on ne le sait que trop, ces deux facteurs sont liés. « Dans le passé, on a connu des périodes où il y a eu plus de CO2 qu’aujourd’hui, souligne Torsten Vennemann. Au crétacé notamment (ndlr – l’ère qui s’étend entre – 145 et – 65 millions d’années), il y en a eu jusqu’à quatre fois plus qu’actuellement. Et au tertiaire, période de prédilection du professeur de l’UNIL, environ deux fois plus ».

Pourtant, il n’y avait alors aucun être humain sur terre pour brûler des combustibles fossiles : pas d’automobiles, pas de systèmes de chauffage ni d’usines susceptibles d’accélérer la croissance de l’effet de serre.

D’où venaient donc ces gaz ? D’abord, des mouvements des continents qui ont modifié la répartition des océans à la surface de la planète. « Une très grande partie du CO2 est stockée dans l’océan, notamment dans ses couches les plus profondes. Or, au cours du temps, la circulation océanique a changé ».

Selon les termes du site du Ministère de la Transition Ecologique :

« Le CO2 représente près des 2/3 des émissions mondiales de gaz à effet de serre induites par les activités humaines et a la particularité de rester présent longtemps dans l’atmosphère. Ces gaz jouent un rôle important dans la régulation du climat. Ils empêchent une large part de l’énergie solaire d’être renvoyée de la terre vers l’espace. Grace à lui la température moyenne sur terre est d’environ 15° C. Sans lui, elle serait de - 18° ».

Nous connaissons aujourd’hui un réchauffement qui s’est amplifié en quantité et rapidité par la production de CO2. La question qui reste en débat : Quel pourcentage est attribué à l’humain (2/3 comme indiqué ci-dessus) ou à la nature ?

www.danielmoinier.fr

Eloge ci-dessous du Président de la République à la suite de son décès :

Décès d’Emmanuel Le Roy Ladurie. | Élysée (elysee.fr)

Des liens pour approfondir la connaissance d’Emmanuel Le Roy Ladurie et des recherches sur le climat

Les étés caniculaires et sécheresses autrefois. Anecdotes historiques (france-pittoresque.com)

Les grandes sécheresses en France (1) | AU FIL DES MOTS ET DE L'HISTOIRE (unblog.fr)

Les grandes sécheresses en France (2) | AU FIL DES MOTS ET DE L'HISTOIRE (unblog.fr)

Les grandes sécheresses en France (3) | AU FIL DES MOTS ET DE L'HISTOIRE (unblog.fr)

https://www.alertes-meteo.com/vague_de_chaleur/vague-de-chaleur.php#:~:text=1785.,1784%20et%20la%20Madeleine%201785%20%C2%BB

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Daniel Moinier a travaillé 11 années chez Pechiney International, 16 années en recrutement chez BIS en France et Belgique, puis 28 ans comme chasseur de têtes, dont 17 années à son compte, au sein de son Cabinet D.M.C. Il est aussi l'auteur de six ouvrages, dont "En finir avec ce chômage", "La Crise, une Chance pour la Croissance et le Pouvoir d'achat", "L'Europe et surtout la France, malades de leurs "Vieux"". Et le dernier “Pourquoi la France est en déficit depuis 1975, Analyse-Solutions” chez Edilivre.

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