L’acidification des océans vient de franchir un seuil critique. Les mers ont basculé dans une zone dangereuse pour la vie marine, marquant la septième limite planétaire désormais dépassée, peut-on lire dans le dernier rapport Planetary Health Check, une initiative scientifique annuelle de diagnostic de l’état de la planète, fondée sur le cadre des limites planétaires, initiée par le Potsdam Institute for Climate Impact Research (PIK) et le chercheur Johan Rockström.
Climat : le niveau d’acidité des océans est désormais critique

Quand l’acidification change le visage des océans
Depuis plusieurs décennies, les scientifiques alertent sur les conséquences du réchauffement climatique et de la pollution pour les écosystèmes marins. Mais cette fois, l’annonce est plus grave encore : les océans, déjà affaiblis, sont officiellement sortis de la zone dite « sûre ». Le diagnostic a été posé en septembre 2025 par le rapport Planetary Health Check, qui confirme que l’acidification des océans a atteint un niveau critique. Cette évolution chimique, provoquée par l’absorption massive de dioxyde de carbone, menace directement la biodiversité marine et, au-delà, l’équilibre climatique mondial.
L’acidification des océans est le résultat d’un mécanisme simple mais redoutable : chaque année, environ un quart des émissions mondiales de CO₂ est absorbé par les mers. Ce rôle de régulateur climatique est vital, mais il se paie au prix fort. Dissous dans l’eau, le CO₂ forme de l’acide carbonique, ce qui entraîne une baisse progressive du pH. Depuis le début de l’ère industrielle, ce pH a déjà chuté d’environ 0,1 unité, une diminution apparemment minime mais qui correspond à une hausse de 30 à 40% de l’acidité.
Les scientifiques mesurent ce processus à travers l’état de saturation en aragonite, un minéral utilisé par les coraux et les mollusques pour construire leurs structures calcaires. En dessous d’un certain seuil, l’eau devient corrosive pour ces organismes. Or, le rapport Planetary Health Check fixe la limite planétaire à une valeur d’aragonite de 2,86, soit 80% du niveau préindustriel. Cette valeur est désormais dépassée. Comme l’explique l’Institut de Potsdam pour la recherche sur l’impact climatique, ce franchissement signifie que les océans ont quitté la zone de sécurité et que leurs capacités de résilience sont compromises.
Des océans qui montrent déjà leurs failles
Les conséquences ne sont plus théoriques, elles se manifestent déjà sur le terrain. Les récifs coralliens, piliers de la biodiversité marine, sont doublement fragilisés. Leur blanchissement, aggravé par le réchauffement des eaux, s’accompagne désormais d’une fragilité accrue de leurs squelettes. Des organismes plus discrets, comme les ptéropodes, minuscules mollusques planctoniques, voient leurs coquilles littéralement se dissoudre dans certaines zones. Ces espèces jouent pourtant un rôle fondamental dans la chaîne alimentaire, et leur affaiblissement menace de déséquilibrer tout l’écosystème marin.
Au-delà des espèces, c’est la fonction même de l’océan comme puits de carbone qui est menacée. Sa capacité à absorber et stocker le CO₂ atmosphérique, déjà réduite par l’augmentation des températures, se trouve encore affaiblie par l’acidification. Selon les chercheurs, plus de 60% des eaux examinées à 200 mètres de profondeur présentent déjà des niveaux d’acidité supérieurs aux seuils de sécurité. En clair, les océans commencent à perdre leur rôle de tampon contre la dérive climatique.
Une menace qui dépasse les océans
L’acidification n’est pas seulement un drame écologique : elle pose un risque direct pour les sociétés humaines. Des millions de personnes dépendent chaque jour de la pêche et de l’aquaculture pour se nourrir et vivre. Si les coquillages, crustacés et poissons voient leur survie compromise, c’est toute une économie qui chancelle, de la petite pêche artisanale aux grandes filières industrielles.
Mais la menace est encore plus large. En affaiblissant la capacité des océans à capter le CO₂, l’acidification accélère le réchauffement climatique. Elle agit comme une rétroaction positive : moins d’absorption, plus de CO₂ dans l’atmosphère, donc plus de réchauffement et plus de pression sur les mers. Les chercheurs alertent sur une dynamique dangereuse : le cumul des limites planétaires franchies — elles sont désormais sept sur neuf — multiplie les risques systémiques. Johan Rockström, directeur du Potsdam Institute, parle d’une « zone de non-retour » que l’humanité s’apprête à franchir si rien n’est fait.
