Face à une facture sanitaire de plusieurs milliards d’euros par an, l’OMS exhorte les gouvernements européens à taxer davantage l’alcool et à encadrer sa vente. En France, où les cancers liés à l’alcool restent sous-estimés, les gains économiques potentiels d’une politique plus stricte se chiffreraient en milliards.
Alcool et cancer : l’OMS pousse l’Europe à taxer plus bière, vins et spiritueux

Le 14 octobre 2025, à Copenhague, l’OMS et le Centre international de recherche sur le cancer (CIRC) ont lancé un appel pressant : renforcer la fiscalité et les restrictions sur l’alcool pour freiner la progression des cancers en Europe. L’organisation met en avant des données économiques inédites : les pays qui agissent vite récoltent non seulement des bénéfices sanitaires, mais aussi un retour budgétaire significatif.
En Europe, le cancer lié à la consommation d’alcool pèse des milliards
L’OMS/Europe estime que les décès prématurés dus aux cancers liés à l’alcool ont coûté 4,58 milliards d’euros à l’Union européenne en 2018. Ces pertes économiques proviennent de la mortalité précoce, de la baisse de productivité et des dépenses de santé publique. En y ajoutant les autres pathologies — cirrhoses, accidents, troubles mentaux — le coût total de l’alcool en Europe dépasserait 125 milliards d’euros par an selon plusieurs évaluations économiques reprises par le CIRC et la Commission européenne.
Dans le même temps, le poids fiscal de l’alcool reste marginal. Dans la majorité des pays de l’UE, les taxes sur la bière, le vin et les spiritueux rapportent moins de 0,3 % du PIB. Le déséquilibre est flagrant : selon l’OMS, chaque euro de recette fiscale généré par la vente d’alcool en coûte trois à la société, en soins, pertes de productivité et indemnisations. Pour Dr Elisabete Weiderpass, directrice du CIRC, « les politiques fortes sur l’alcool ne sont pas un coût mais un investissement rentable ». Elle rappelle que ces mesures sont « l’un des moyens les plus efficaces pour sauver des vies tout en allégeant la charge économique du cancer ».
Le modèle économique soutenu par l’OMS est clair : une fiscalité accrue, associée à des prix minimums, permet de réduire rapidement la consommation et donc les dépenses publiques liées au cancer. D’après l’agence, les effets positifs apparaissent « en cinq ans », un délai court très rare dans le domaine de la santé publique.
L’OMS veut des hausses de prix : un levier rentable pour les États
L’OMS plaide pour une série de mesures coordonnées :
– instaurer un prix minimum par unité d’alcool ;
– augmenter les taxes sur les boissons alcoolisées ;
– restreindre la publicité et les heures de vente ;
– renforcer les avertissements sanitaires sur les étiquettes.
Selon le communiqué conjoint OMS/Europe–CIRC, ces interventions ont un effet rapide sur la consommation d’alcool et le risque de cancer. Leur impact économique est documenté : chaque hausse de 10 % du prix moyen réduit la consommation d’alcool pur d’environ 7 %, avec une baisse proportionnelle du fardeau sanitaire.
Une étude française publiée en septembre 2025 par des chercheurs en économie de la santé compare deux scénarios :
- un prix minimum de 0,50 € par unité d’alcool ;
- une taxation progressive par degré volumique.
Résultat : le prix minimum réduirait les achats d’éthanol de 15 %, contre 10 % pour la taxe volumique. L’effet serait particulièrement marqué chez les gros consommateurs, les plus à risque de cancer. Selon cette modélisation, la mesure permettrait à la France d’économiser environ 2,3 milliards d’euros par an en dépenses de santé, pour une hausse des rentrées fiscales estimé à 1,2 milliard.
La logique est doublement bénéfique : les recettes publiques augmentent, tandis que les dépenses hospitalières diminuent. Le Dr Gundo Weiler, directeur de la prévention à l’OMS/Europe, résume : « Des règles stricts sur l’alcool sont parmi les investissements les plus intelligents que l’on puisse faire. »
La France, maillon faible d’une Europe en retard
La France illustre les contradictions du continent. Premier producteur mondial de vin, elle demeure aussi l’un des plus grands consommateurs : environ 11,5 litres d’alcool pur par habitant et par an, contre 8,7 pour la moyenne européenne, selon Santé publique France. Pourtant, le pays affiche l’une des fiscalités les plus faibles sur le vin, longtemps protégé par des arguments culturels et un lobby très puissant qui bénéficie du soutien affiché des politiques (qui n’hésitent pas à se mettre en scène avec un verre de vin ou de bière à la main).
Selon une note conjointe de l’OMS/Europe et du CIRC, ce « patrimoine alcoolisé » a un coût croissant. En 2020, l’alcool a contribué à 16 000 nouveaux cas de cancer en France, soit environ 8 % des diagnostics nationaux. Près de la moitié auraient pu être évités par une politique plus stricte sur les prix et la publicité.
Les pertes économiques directes et indirectes dépassent 7 milliards d’euros par an, d’après l’évaluation du Trésor public français citée par Euronews. À l’inverse, un scénario de taxation renforcée couplé à un étiquetage clair pourrait générer 4 milliards de gains nets sur cinq ans, selon le ministère de la Santé. Sur le plan budgétaire, la marge est considérable. En 2024, les taxes sur l’alcool ont rapporté 3,7 milliards d’euros à l’État français, quand les coûts médicaux et sociaux dépassaient 10 milliards.
