Les nouveaux aliments dégoûtants bientôt délicieux ?

Les insectes, les microalgues et les bactéries semblent être des alternatives saines et durables aux protéines traditionnelles.

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Par Horizon Publié le 29 octobre 2023 à 10h30
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99%Les protéines en poudre fabriquées avec des algues consomment 99% de ressources en moins que l'élevage.

D’après Janina Seubert, le nez est la clé d’une alimentation humaine plus saine.

Mme Seubert, docteure en neurosciences cognitives à l'Institut Karolinska, en Suède, étudie le rôle de l'odorat dans la formation des préférences alimentaires des individus. Elle se demande si les odeurs pourraient nous aider à accepter des sources de protéines telles que les insectes comme alternatives à la viande et aux produits laitiers.

Se défaire de ses habitudes

Parmi les autres sources de protéines, on trouve aussi les microalgues et les cellules de micro-organismes telles que les bactéries et les levures, un groupe connu sous le nom de «protéines d’organismes unicellulaires». Intégrer davantage de ces sources de protéines dans l’alimentation humaine peut non seulement améliorer la nutrition, mais aussi atténuer la pression environnementale associée à l’élevage dans le monde entier.

Des chercheurs, dont Mme Seubert, veulent déterminer comment amener des individus à renoncer à des aliments qu’ils connaissent et à en consommer de nouveaux, par exemple des grillons.

«Il y a tant de choses sur le fonctionnement réel de l'odorat que nous ne comprenons pas encore parfaitement», a-t-elle déclaré.

Mme Seubert dirige un projet financé par l'UE qui a pour objectif de mieux comprendre comment les préférences gustatives se forment dans le cerveau humain. Intitulé OLFLINK, ce projet de cinq ans s’achèvera en avril 2026.

La production de protéines traditionnelles grâce à l’élevage menace d’aggraver le changement climatique, d’accélérer la perte de biodiversité et d’épuiser les réserves d’eau. Non content d’utiliser de vastes étendues de terre, ce type de production consomme d’importants volumes d’eau et génère une importante quantité de gaz à effet de serre.

On estime le marché mondial des protéines d’origine animale à plus de 1300 milliards EUR. À titre de comparaison, le marché des protéines alternatives est évalué à environ 13 milliards EUR.

En plus de leur empreinte environnementale réduite, les protéines non traditionnelles pourraient contribuer à garantir un approvisionnement alimentaire de qualité à une population mondiale de plus en plus nombreuse.

Apprendre en sentant

Mme Seubert utilise l’imagerie cérébrale pour comparer les réactions physiologiques aux saveurs alimentaires familières et inconnues. Ceci lui permet de comprendre les processus émotionnels qui sont à l’origine de l’appétence des individus pour des aliments familiers et ce qui se passe lorsque ces personnes commencent à apprécier quelque chose de nouveau.

Elle a découvert que, contrairement aux goûts détestés par le plus grand nombre, comme c’est le cas des aliments amers, l’association positive ou négative des odeurs avec certains aliments s’apprend avec le temps. Les gens ont tendance à apprécier les arômes traditionnellement associés à une saveur satisfaisante, comme le sucré, révélatrice de la présence de glucides.

«Si nous ne pouvons pas associer une odeur à un aliment spécifique, nous avons tendance à ne pas trop l’aimer», a déclaré Mme Seubert, originaire d'Allemagne.

Elle a indiqué que l’on a tendance à comparer les ingrédients alimentaires alternatifs aux produits que l’on connaît déjà, et donc à commencer par les trouver déplaisants.

Mme Seubert a pris l'exemple du lait d'avoine: au premier abord, on pourrait le considérer comme une alternative au lait qui présente une «mauvaise odeur» puis, en en buvant souvent, commencer à y prendre goût.

Ses recherches révèlent que l’on peut être plus sensible aux nouvelles odeurs lorsque l’on a faim, ce qui suggère que le contexte dans lequel la nourriture est consommée aide à déterminer la facilité avec laquelle elle peut être acceptée.

Le laboratoire de Mme Seubert étudie comment le fait de modifier le contexte extérieur, par exemple en créant une atmosphère agréable ou en augmentant les connaissances sur l’origine d’une nouvelle saveur, peut accélérer son acceptation.

Un de ses prochains objectifs est d’étudier comment utiliser ces changements au niveau du contexte pour évaluer la possibilité d’amener les individus à consommer une protéine dérivée du ver de farine.

«Dans mon laboratoire, nous étudierons l'impact à la fois de facteurs internes tels que la faim et de facteurs externes tels que les connaissances de référence pour amener le consommateur à apprécier les odeurs d’aliments contenant des protéines d'insectes», a déclaré Mme Seubert.

Le ver de farine, c’est-à-dire la larve du tribolion brun de la farine, regorge de protéines et peut être consommé cuit, cru ou sous forme de poudre. Il est actuellement surtout utilisé comme aliment les oiseaux et les autres animaux qui se nourrissent d’insectes et de vers.

Les microalgues et les protéines d’organismes unicellulaires sont également transformées en poudres riches en protéines, en minéraux et en vitamines.

Poudres nourrissantes

Les aspects nutritionnels, environnementaux et populaires des protéines alternatives ont tous été étudiés dans le cadre d’un autre projet de recherche financé par l'UE qui vient de s'achever après quatre années de travaux.

Intitulé NextGenProteins, le projet s’est attaché à produire des insectes, des microalgues et des protéines d’organismes unicellulaires destinés à l'alimentation humaine et animale.

Birgir Örn Smárason, qui a dirigé le projet, ne tarit pas d’éloges sur les poudres alimentaires issues de ces trois sources.

«Elles sont riches en protéines, en certains minéraux et en vitamines et peuvent compléter ou remplacer des ingrédients plus traditionnels dans les produits alimentaires», a expliqué M. Smárason, chef d'un groupe de recherche de la société islandaise Matís, spécialisée dans la recherche et le développement alimentaire et biotechnologique.

Actuellement, la population mondiale satisfait principalement son besoin en protéines grâce à l’élevage, en consommant viande et produits laitiers.

NextGenProteins a étudié l'impact environnemental des trois nouvelles sources de protéines ainsi que leur potentiel en termes de réutilisation.

Avantages environnementaux

Les chercheurs ont ainsi découvert que la spiruline, une protéine en poudre fabriquée à partir de microalgues par les partenaires du projet, utilise moins de 1 % des terres, de l'eau et des émissions nécessaires à la production de viande bovine. Les insectes utilisent encore moins les terres, avec une superficie 1000 fois inférieure à celle nécessaire à la production de viande rouge.

Dans le cadre de ce projet, les mouches soldats noires ont été transformées en aliments pour animaux d’élevage et de compagnie, tandis que des grillons ont été convertis en nourriture destinée à l’homme. Ces deux produits finaux se présentaient eux aussi sous la forme d’une poudre déshydratée.

«C'est un matériau facile à travailler et permet d’ajouter aisément des protéines», a déclaré M. Smárason.

En parallèle, des protéines d’organismes unicellulaires ont été fabriquées à partir de résidus ligneux et forestiers.

Ces déchets, qui ne peuvent pas être utilisés pour fabriquer d’autres types d’aliments, ont été décomposés à l’aide de substances chimiques. Ils ont ensuite été mis à fermenter avec de la levure pour fabriquer une autre poudre riche en protéines pouvant être utilisée directement dans l’alimentation humaine et animale.

«Dans tous les cas, les protéines alternatives sont très respectueuses de l’environnement par rapport à la plupart des produits alimentaires traditionnels que nous consommons», a ajouté M. Smárason.

D'agréables surprises

L’équipe du projet NextGenProteins a mené des campagnes d’information sur la fabrication des protéines afin d’amener le public à surmonter son scepticisme initial.

«Nous sommes convaincus qu’en éduquant les consommateurs, nous pouvons faire un grand pas vers des régimes et des systèmes alimentaires plus durables», a déclaré M. Smárason.

L'équipe a également cherché à connaître l’avis du public en organisant des dégustations, des discussions et des échanges. 6600 personnes ont répondu à l’enquête, en Finlande, en Allemagne, en Islande, en Italie, en Pologne, en Suède et au Royaume-Uni.

L’équipe a découvert que de nombreuses personnes avaient déjà un avis très positif sur les protéines alternatives.

Plus de la moitié des Européens sont favorables aux microalgues et leur intérêt pour les protéines d’organismes unicellulaires n’est que légèrement plus faible.

«Nous avons été surpris par ces résultats positifs», a déclaré M. Smárason.

Une affaire de couleur

Il a toutefois indiqué que les personnes interrogées se montraient beaucoup plus réticentes à manger des insectes du fait qu’ils sont généralement considérés comme répugnants.

«Lorsqu’ils s’imaginent en train de manger des insectes entiers, les gens se disent généralement ’beurk, des insectes’», a déclaré Smárason.

Alors que la protéine en poudre à base de grillons du projet a été élaborée pour aider à surmonter cet obstacle, les enquêtes révèlent que seulement un Européen sur trois est prêt à grignoter des insectes.

M. Smárason a remarqué que la couleur joue elle aussi un rôle important dans l'acceptation de nouveaux aliments.

La spiruline en poudre du projet, fabriquée à partir de microalgues, avait à l’origine une couleur verte très intense qui la rendait difficile à intégrer dans les aliments du quotidien.

«Durant nos essais, nous avons fabriqué du pain si vert qu'il était difficile de convaincre les consommateurs d’y goûter», a expliqué M. Smárason.

Les chercheurs ont réussi à isoler la protéine et à éliminer les pigments bleu-vert, qui sont désormais vendus en tant que colorants pour d'autres produits alimentaires. Ces protéines peuvent alors être ajoutées aux aliments et avoir l’air appétissantes.

«Nous avons à présent une poudre à base de microalgues presque incolore, légèrement brune ou verte, selon ce qui convient le mieux au produit final», a déclaré M. Smárason.

Les recherches présentées dans le cadre de cet article ont été financées par l’UE, par le biais du Conseil européen de l’innovation (CEI).

FOOD 2030

L’UE cherche à encourager une transition vers des systèmes alimentaires durables, sains et inclusifs par le biais de «Food 2030», son cadre d’action dédié à la recherche et à l’innovation.

Food 2030 est le fruit de la prise de conscience que les modes de production et de consommation actuels sont affectés par des crises auxquelles ils contribuent, comme la malnutrition, le changement climatique, la perte de biodiversité et la rareté des ressources.

Le cadre en question rassemble des acteurs de différents domaines du secteur de la recherche et de l’innovation pour relever des défis étroitement liés grâce à l’adoption d’une approche systémique et multipartite.

Ses principaux objectifs sont le développement de connaissances et de solutions efficaces favorisant une alimentation saine et durable; des systèmes alimentaires respectueux du climat, circulaires et pertinents sur le plan environnemental; et des communautés résilientes et responsables. Il vise aussi à encourager de nouveaux modèles commerciaux, à renforcer les capacités et l’éducation en faveur d’une transition juste et équitable vers des systèmes alimentaires respectueux des capacités de la planète.

Cet article s’inscrit dans la stratégie Food 2030 Pathway dédiée aux protéines alternatives et à l’évolution du régime alimentaire.

Plus d’infos

Cet article a été publié initialement dans Horizon, le magazine de l’UE dédié à la recherche et à l’innovation. 

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Horizon, le magazine de l’UE dédié à la recherche et à l’innovation.

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