Dans un contexte de turbulence pour l’industrie automobile européenne, l’accord entre Renault et Geely au Brésil pose les jalons d’une coopération mondiale renforcée : l’entrée de Geely à hauteur de 26,4 % dans la filiale Brésilienne ouvre à Renault une nouvelle impulsion industrielle, tandis que Geely s’empare d’un réseau stratégique en Amérique latine.
L’alliance entre Renault Group et Geely Holding Group : un pari stratégique au Brésil pour relancer la compétitivité

Le 3 novembre 2025, Renault et Geely ont finalisé un accord d’envergure au Brésil. Par cette alliance, le constructeur français ouvre un nouveau chapitre de son expansion mondiale, en associant sa maîtrise du marché sud-américain à l’expertise technologique et industrielle du groupe chinois. Cet accord illustre la volonté de Renault de consolider sa position face à la concurrence mondiale, tout en adaptant sa stratégie à la mutation rapide du secteur automobile. Pour Geely, il s’agit d’une entrée remarquée sur le premier marché d’Amérique latine, celui du Brésil, fort de plus de deux millions de véhicules vendus chaque année.
Deux constructeurs aux ambitions mondiales convergentes
Renault, fleuron historique de l’industrie automobile française, a vendu plus de deux millions de véhicules en 2024 dans 114 pays. Son portefeuille, composé des marques Renault, Dacia, Alpine et Mobilize, témoigne d’une capacité d’adaptation à la fois sur les segments grand public et premium. En Amérique du Sud, la marque au losange dispose d’un ancrage industriel solide, notamment grâce à son complexe de São José dos Pinhais, près de Curitiba, dans l’État du Paraná.
Face à lui, Geely Holding Group représente l’un des géants de l’automobile mondiale. Le groupe chinois, propriétaire de Volvo, Polestar, Lotus et Lynk & Co, a écoulé près de 2,2 millions de véhicules en 2024. Son modèle repose sur une stratégie d’internationalisation accélérée et sur une avance technologique significative dans les motorisations hybrides et électriques. Après l’Europe, où il collabore déjà avec Renault en Corée du Sud au travers de Renault Korea Motors, Geely franchit un pas décisif vers le marché latino-américain.
Le rapprochement entre les deux constructeurs repose ainsi sur une complémentarité naturelle : Renault apporte son réseau commercial, son savoir-faire industriel local et sa connaissance du marché brésilien, tandis que Geely apporte ses plateformes multi-énergies, ses technologies et sa capacité d’investissement.
Les contours précis d’une alliance stratégique au Brésil
L’accord signé début novembre prévoit que Geely prenne une participation de 26,4 % dans Renault do Brasil, la filiale brésilienne du groupe français, tout en laissant à Renault le contrôle majoritaire. Cette coopération industrielle s’articule autour de trois axes principaux : la mutualisation des sites de production, la distribution conjointe de véhicules à faibles émissions et le développement de nouvelles plateformes.
Le site clé de cette alliance est le complexe Ayrton Senna, situé à São José dos Pinhais, une usine emblématique capable de produire jusqu’à 400 000 véhicules par an. Or, ces dernières années, le taux d’utilisation n’atteignait qu’environ la moitié de cette capacité. L’arrivée de Geely permet de relancer cette activité industrielle, en mutualisant les lignes de production et en élargissant la gamme de véhicules fabriqués sur place.
L’accord prévoit également que Renault do Brasil distribue sur le marché local les modèles à faibles émissions développés par Geely. Parmi eux figurent des véhicules électriques et hybrides destinés à renforcer l’offre de mobilité durable dans un pays où la motorisation thermique reste prédominante. En retour, Geely bénéficiera du réseau commercial et du maillage logistique que Renault a mis en place depuis plus de deux décennies au Brésil.
Le marché brésilien, qui représente à lui seul environ 40 % des ventes automobiles d’Amérique latine, constitue un levier majeur pour la stratégie commune des deux groupes. Dans un contexte mondial de transition énergétique, il devient un terrain d’expérimentation pour un modèle industriel plus agile et plus équilibré.
Les bénéfices attendus pour Renault
Pour Renault, cette alliance est avant tout un levier d’efficacité industrielle et financière. En s’associant à Geely, le groupe français optimise les coûts de production et de développement tout en améliorant le taux d’utilisation de ses infrastructures. Cette coopération permet également de réduire les dépenses liées à la recherche et au développement des nouvelles motorisations, particulièrement coûteuses dans un contexte d’électrification accélérée.
L’accès aux technologies de Geely, notamment à la plateforme GEA multi-énergie (essence, hybride et électrique), constitue un atout décisif. Grâce à cette base commune, Renault pourra renouveler plus rapidement ses gammes destinées aux marchés émergents et renforcer sa compétitivité face aux géants asiatiques et américains.
Par ailleurs, cette alliance ouvre à Renault un accès privilégié aux chaînes d’approvisionnement et aux composants développés par Geely, notamment dans le domaine des batteries et des systèmes hybrides. L’enjeu est d’accélérer la production locale de véhicules à faibles émissions, en s’appuyant sur des plateformes communes et sur une rationalisation des coûts.
Enfin, l’opération a une dimension financière stratégique. En cédant une part minoritaire de sa filiale brésilienne, Renault conserve le contrôle opérationnel tout en allégeant sa charge d’investissement. Cette approche pragmatique illustre la volonté du groupe de diversifier ses alliances pour financer la transition énergétique sans compromettre son autonomie industrielle.
L’intérêt stratégique de Geely : conquérir l’Amérique latine
Pour Geely, cette alliance constitue une porte d’entrée stratégique sur le marché sud-américain, où la marque n’était jusqu’ici pas présente industriellement. En s’associant à Renault, elle s’épargne les coûts liés à la construction d’un réseau de distribution et d’un outil industriel propre. La participation au capital de Renault do Brasil lui donne accès à un dispositif complet : chaîne de production, logistique, réseau de concessionnaires et notoriété locale.
Cette implantation lui permet également de tester ses véhicules électriques et hybrides dans un environnement à forte croissance. Le marché brésilien, encore largement dominé par les carburants flex-fuel (essence/éthanol), représente une opportunité unique pour Geely d’adapter ses technologies à des conditions spécifiques, notamment climatiques et énergétiques.
En parallèle, l’accord avec Renault renforce la stature internationale du constructeur chinois. Après l’Europe et la Corée, l’Amérique du Sud devient le troisième pilier de son développement mondial. Geely y exporte son savoir-faire en matière de propulsion électrifiée, tout en bénéficiant des connaissances de Renault sur les réglementations locales, la fiscalité automobile et les comportements des consommateurs.
L’alliance s’inscrit aussi dans la stratégie d’internationalisation du groupe chinois, qui vise à faire de chaque partenariat un laboratoire d’adaptation régionale. En mutualisant les plateformes et les ressources avec Renault, Geely optimise ses coûts et accélère sa montée en puissance sur de nouveaux marchés.
Les défis à surmonter pour un partenariat durable
Malgré un potentiel évident, l’alliance Renault–Geely devra surmonter plusieurs obstacles. Le premier tient à la réglementation : l’accord reste soumis à l’approbation des autorités brésiliennes de la concurrence et à diverses autorisations administratives. Ces procédures pourraient en retarder la pleine mise en œuvre.
Un autre défi concerne la structure du marché brésilien. Si le pays est dynamique, la pénétration des véhicules électriques y demeure faible en raison du manque d’infrastructures de recharge et du coût des batteries. Renault et Geely devront donc adapter leur stratégie produit à un contexte où les motorisations thermiques et hybrides conservent une forte popularité.
Les différences culturelles et organisationnelles entre un constructeur français et un groupe chinois pourraient également constituer un facteur de complexité. Le succès de l’alliance dépendra de la capacité des deux entreprises à harmoniser leurs méthodes de gouvernance, à coordonner leurs chaînes d’approvisionnement et à construire une vision industrielle commune sur le long terme.
Enfin, la concurrence locale s’intensifie. Des acteurs comme Stellantis, Toyota ou BYD multiplient leurs investissements au Brésil, tandis que le marché latino-américain devient un champ d’expérimentation pour les constructeurs mondiaux cherchant à équilibrer leurs activités entre Nord et Sud. Renault et Geely devront faire preuve d’agilité pour s’imposer durablement dans cet environnement.
