Alors que les moyens de paiement numériques se multiplient dans l’espace Banque centrale européenne (BCE), l’euro en espèces reste étonnamment présente : l’« argent liquide » conserve un rôle majeur, même si son usage évolue. Pourquoi cette pérennité ? Voici ce que révèle l’étude récente de la banque européenne, et ce qu’elle nous apprend sur les espèces et billets face à la digitalisation des paiements.
Comment l’argent liquide résiste aux paiements numériques

Dans un contexte en pleine mutation économique et monétaire, l’« argent liquide » — autrement dit les espèces et billets — continue à jouer un rôle notable dans la zone euro. À la date d’aujourd’hui, malgré la montée en puissance des paiements électroniques, il convient de s'interroger : pourquoi l’argent liquide est‑il toujours autant utilisé, et quelles dynamiques sous‑tendent cette réalité ?
Une demande de billets robuste malgré la digitalisation
La BCE note que la valeur des billets en circulation dans la zone euro a continué d’augmenter, malgré la baisse de leur part dans les paiements quotidiens. Selon l’article de la banque centrale européenne Keep calm and carry cash : lessons on the unique role of physical currency across four crises, « La valeur de la circulation des billets en euros a constamment représenté plus de 10 % du PIB de la zone euro au cours des dix dernières années ». Concrètement, la BCE indique que la valeur des billets en circulation atteint environ 10 % du PIB de la zone euro.
Autre élément : « Bien que la part de l'argent liquide dans les transactions quotidiennes ait diminué dans la zone euro, la valeur de la circulation des billets en euros a considérablement augmenté au cours des vingt dernières années ».
Ces données illustrent le paradoxe : moins utilisés pour payer au quotidien, mais toujours fortement demandés et détenus. Cela suggère que l’« argent liquide » remplit non seulement un rôle de transaction mais aussi de réserve ou de sécurisation.
Les fonctions complémentaires de l’argent liquide dans un monde numérique
Pourquoi persiste‑t‑il malgré la montée des cartes, portefeuilles mobiles et autres paiements numériques ? Plusieurs facteurs peuvent être identifiés à partir des investigations de la BCE.
Tout d’abord, l’accroche de l’article de la BCE relève que l’argent liquide a un caractère d’« utilité distincte et de substituabilité imparfaite ». Cela signifie que, malgré les alternatives numériques, les espèces conservent des usages que les moyens électroniques ne remplissent pas totalement : anonymat relatif, acceptation universelle sans besoin d'infrastructure numérique, sécurité en cas de panne, etc.
Ensuite, une enquête publiée le 21 janvier 2025 affirme que « L’argent liquide restait en 2024 l’instrument de paiement le plus fréquemment utilisé aux points de vente » dans la zone euro, avec 52 % des transactions en espèces.
En parallèle, l’étude montre que parmi les répondants, 62 % estiment important que les commerçants acceptent les espèces, et la préoccupation concernant la vie privée dans les paiements numériques apparaît élevée. Ces éléments montrent que l’« argent liquide » joue aussi un rôle symbolique et psychologique : il représente pour beaucoup une liberté de choisir leur moyen de paiement, un filet de sécurité face aux défaillances numériques, et une capacité à gérer des transactions de proximité ou de valeur faible sans friction électronique.
Crises, confiance et rôle stratégique de l’argent liquide
La persistance de l’argent liquide peut aussi être expliqué par son rôle renforcé en période de crise ou d’incertitude. L’article de la BCE note que lors de grands bouleversements (crise financière 2008, crise grecque 2014‑15, pandémie de Covid‑19, invasion de l’Ukraine en 2022), la demande de billets par le public a bondi. La BCE observe que l'« émission nette mensuelle » de billets se compose en partie de la demande publique, de la demande domestique de banques et de la demande étrangère : « La demande supplémentaire de liquidités de la part du public est généralement modérément positive. Toutefois … l’apparition de crises soudaines … a déclenché des hausses immédiates et extrêmes des retraits d'argent liquide par le public ».
Cette fonction de « valeur refuge » ou de « stock de paiement sûr » contribue à l’usage continu de l’argent liquide. Par ailleurs, dans sa prise de parole du 10 juillet 2025, la BCE rappelle : « Les citoyens restent attachés à l’argent liquide pour de bonnes raisons, et nous nous engageons à continuer à le fournir ».