En Allemagne, la justice vient de rouvrir un dossier explosif : la bataille judiciaire sur les bloqueurs de publicité pourrait aboutir à leur interdiction. Une décision qui secoue le monde d’Internet, inquiète les défenseurs des droits des utilisateurs et fait planer l’ombre d’une contagion en Europe.
Bloqueurs de publicité : bientôt illégaux en Allemagne puis en Europe ?

Le 31 juillet 2025, la Cour fédérale allemande (Bundesgerichtshof, BGH) a annulé partiellement un jugement favorable aux bloqueurs de publicité et renvoyé l’affaire devant la cour d’appel de Hambourg. Cette décision relance une guerre juridique entamée il y a près de dix ans entre le géant Axel Springer et l’éditeur du logiciel Adblock Plus, Eyeo. En toile de fond : l’avenir de la publicité en ligne, les droits des éditeurs et la liberté des internautes.
Une décision de justice qui pourrait bouleverser la publicité sur Internet en Allemagne
Depuis 2015, Axel Springer tente de faire interdire les bloqueurs de publicité, accusés de saper son modèle économique. Jusqu’ici, la justice allemande avait estimé qu’Adblock Plus ne violait pas le droit d’auteur. En 2022, la cour d’appel de Hambourg avait confirmé que le logiciel permettait simplement aux utilisateurs de choisir l’affichage des pages, sans enfreindre la loi. Mais le 31 juillet 2025, la BGH a jugé ce raisonnement « insuffisamment motivé » et a ouvert une brèche. Selon elle, le code généré par le navigateur (DOM, CSSOM) ne peut pas être exclu du droit d’auteur, ce qui remet en cause la légalité même du blocage publicitaire, relaye BFMTV.
Le communiqué officiel du tribunal fédéral précise que l’affaire (dossier I ZR 131/23) doit être réexaminée par la cour d’appel. Il ne peut être exclu que « le bytecode, ou le code qui en découle, soit protégé comme un programme informatique », a indiqué le BGH. En pratique, cela signifie que la modification du rendu des pages par un bloqueur pourrait être assimilée à une atteinte au droit d’auteur. Pour Axel Springer, qui tire une grande partie de ses revenus de la publicité en ligne, cette interprétation ouvrirait enfin la voie à une interdiction.
Les éditeurs contre les bloqueurs de publicité : une bataille économique et juridique
Pour les éditeurs allemands, la publicité représente la colonne vertébrale de leur financement. Axel Springer, propriétaire de titres majeurs comme Bild ou Die Welt, plaide que la généralisation des bloqueurs met en danger l’indépendance économique de la presse. « Sans publicité, impossible de financer un journalisme libre », répètent ses représentants, relayés par les médias nationaux. L’entreprise affirme perdre des millions d’euros chaque année à cause des logiciels de blocage.
Mais pour les défenseurs des consommateurs et les associations numériques, l’argument ne tient pas. Les bloqueurs de publicité sont utilisés par des millions d’Allemands pour naviguer plus sereinement, éviter les intrusions et protéger leur vie privée. Mozilla, éditeur de Firefox, a pris position publiquement : « Quand vous zappez les pubs à la télévision, jetez un encart inutile d’un journal ou sautez les réclames dans un podcast, vous n’enfreignez pas le droit d’auteur. Pourquoi en serait-il autrement avec un navigateur ? », relaye 01net.
Quelles conséquences pour les utilisateurs et pour l’Europe ?
Si la cour d’appel confirmait la vision de la BGH, l’interdiction des bloqueurs de publicité pourrait devenir réalité en Allemagne dans les prochaines années. Le procès pourrait encore durer deux ans, selon plusieurs experts. En attendant, l’incertitude pèse sur des millions d’utilisateurs habitués à surfer sans encarts intrusifs.
Au-delà de la publicité, Mozilla alerte sur les effets collatéraux. « Nous espérons sincèrement que l’Allemagne ne devienne pas la deuxième juridiction (après la Chine) à interdire les bloqueurs de publicité », a averti Daniel Nazer, de la fondation auprès de The Register. L’organisation rappelle que les extensions de filtrage ne servent pas seulement à supprimer des annonces, mais aussi à renforcer l’accessibilité, améliorer la sécurité et protéger la vie privée. Restreindre leur usage pourrait donc transformer Internet en un espace plus fermé et plus contrôlé.
Le débat dépasse déjà les frontières. Plusieurs juristes estiment que si l’Allemagne établit une jurisprudence selon laquelle le DOM et le CSSOM sont protégés par le droit d’auteur, d’autres pays européens pourraient suivre, au nom de l’harmonisation. « La décision de la BGH pourrait influence les débats en cours sur la publicité digitale », analyse Inside Tech Law. En d’autres termes, l’affaire allemande pourrait dessiner l’avenir de la publicité en ligne à l’échelle du continent.
