Concurrence déloyale : Emma Matelas sanctionnée pour pratiques commerciales trompeuses

Une affaire commerciale apparemment banale. Deux marques de matelas, une lutte silencieuse sur le web, quelques codes promo. Et pourtant, au cœur de cette rivalité, une décision judiciaire fracassante qui pourrait bouleverser l’ensemble du secteur. Emma et Tediber.

Jade Blachier
By Jade Blachier Published on 8 avril 2025 10h38
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2 millions d’eurosEmma Matelas a versé 2 millions d’euros à son concurrent français Tediber, au titre du préjudice économique subi.

Le 2 avril 2025, la Cour d’appel de Paris a donné raison à la PME française Tediber contre le géant allemand Emma Matelas, pour pratiques commerciales déloyales. L'affaire révèle les coulisses d'une guerre féroce entre marques de literie sur fond de promotions permanentes et de marketing numérique borderline.

Emma dans le viseur de la justice pour ses promotions jugées déloyales

Dans l’industrie du sommeil, certaines marques semblent croire que les remises éternelles font rêver les consommateurs. Mais lorsque ces offres sont présentées comme limitées alors qu’elles sont systématiquement renouvelées, la justice peut frapper. C’est précisément ce qu’a souligné la Cour d’appel de Paris dans sa décision rendue le 2 avril 2025, en condamnant Emma Matelas à verser 2 millions d’euros à son concurrent français Tediber, au titre du préjudice économique subi.

La marque allemande est accusée d’avoir, depuis 2018, « mis en place une politique commerciale trompeuse et déloyale reposant sur des promotions présentées comme temporaires mais qui, étant systématiquement renouvelées, sont en réalité des promotions permanentes », selon l’arrêt consulté par l’AFP.

La stratégie ? Créer une fausse urgence d’achat pour inciter les clients à commander sans attendre, en leur faisant miroiter des remises qui n’en étaient pas vraiment. Une méthode jugée incompatible avec les principes de loyauté commerciale.

Tediber saisit le tribunal

Cette décision d’appel inverse partiellement un premier jugement rendu le 2 février 2023 par le tribunal de commerce de Paris, qui n’avait reconnu qu’un préjudice d’image et condamné Emma à 500 000 euros. Mais Tediber ne s’est pas contenté de cette reconnaissance symbolique.

Estimant que les pratiques d’Emma nuisaient gravement à sa compétitivité et faussaient le marché, la PME parisienne est retournée au combat judiciaire. Sa démarche a porté : en plus des 2 millions d’euros, la Cour a ordonné à Emma de « cesser d’attirer les consommateurs en leur faisant croire que les codes promotionnels leur offrent un avantage tarifaire alors qu’ils sont proposés ou appliqués de manière successive et quasi permanente ».

Mais l’attaque ne s’est pas arrêtée là. Un site comparatif, soupçonné de favoriser injustement Emma, a également été pointé du doigt. Résultat : 20 000 euros supplémentaires à verser à Tediber pour des pratiques déloyales liées à ce site.

Une contre-attaque partielle : Tediber aussi épinglé pour manque de transparence

La justice n’a pas donné carte blanche à Tediber. L’entreprise française a elle-même été condamnée à 20 000 euros de dommages et intérêts à verser à Emma, pour préjudice d’image. Le motif ? L'un de ses sites, présenté comme un comparateur indépendant, mais dont Tediber était l’éditeur… sans l’indiquer clairement.

Le site ne reposait sur aucun véritable test produit. Un défaut de transparence qui a coûté à Tediber, rappelant que la loyauté concurrentielle s’impose à tous.

Une condamnation qui pourrait bouleverser les pratiques du secteur

Ce procès met en lumière une pratique devenue quasi systémique dans l’univers de la literie en ligne : les promotions permanentes camouflées sous des bannières d’urgence. Des “-50 % valables jusqu’à ce soir minuit”… qui réapparaissent le lendemain matin, comme par magie.

Or, selon le droit commercial, une offre promotionnelle ne peut être permanente sans induire le consommateur en erreur. La décision du 2 avril 2025 pourrait ainsi faire jurisprudence : si les codes promo éternels sont désormais considérés comme trompeurs, c’est toute une stratégie de pricing digital qu’il faudra repenser.

Julien Sylvain, fondateur de Tediber, a salué la décision : « Il est crucial que toutes les entreprises, grandes ou petites, respectent des standards éthiques et offrent aux consommateurs des produits et services transparents et honnêtes ». Il considère ce jugement comme un levier de clarification du marché, au bénéfice du consommateur.

Tediber, une PME française qui défend son modèle face aux géants

Créé en 2015, Tediber s’est imposée comme un acteur français de la literie haut de gamme vendue en ligne. Son chiffre d’affaires de 45 millions d’euros en 2024, réalisé à 95 % en France, est le fruit d’un modèle basé sur la vente directe par internet.

L’entreprise emploie 75 personnes et produit ses matelas à Langeac en Auvergne et en Belgique. Son capital est détenu à plus de 50 % par ses fondateurs, principalement Julien Sylvain, ainsi que par les fonds français Parquest et Eutopia (Maddyness, 7 avril 2025).

Face à Emma, dont le chiffre d’affaires mondial atteint un milliard d’euros par an, la démarche judiciaire de Tediber prend des allures de combat de principe. Un rappel que les règles de concurrence s’appliquent aussi aux poids lourds du e-commerce.

Quand la mousse devient brûlante : quelles conséquences pour les autres marques ?

Cette affaire pourrait sonner le glas d’un marketing à outrance dans le secteur de la literie, mais pas seulement. Les sites comparateurs, les promotions déguisées, les faux tests produits : tout un écosystème numérique est désormais sous surveillance. La DGCCRF ou encore l’Autorité de la concurrence pourraient s’appuyer sur cette jurisprudence pour durcir les contrôles.

Emma, de son côté, n’a pas encore réagi publiquement.

Jade Blachier

Diplômée en Information Communication, journaliste alternante chez Economie Matin.

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