L’espace est (déjà) beaucoup trop pollué, alerte l’ESA

L’Agence spatiale européenne a lancé un outil inédit pour évaluer l’état de l’environnement spatial. Baptisé Space Environment Health Index, cet indicateur ambitionne de chiffrer la « santé » de l’espace et de guider les politiques de durabilité orbitale, à l’heure où la pollution des orbites devient un enjeu critique.

Paolo Garoscio
By Paolo Garoscio Published on 23 octobre 2025 10h37
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L’espace est (déjà) beaucoup trop pollué, alerte l’ESA - © Economie Matin
2 MILLIONS $2 millions de dollars est l'objectif de coût marginal pour un lancement

Le 22 octobre 2025, l’Agence spatiale européenne (ESA) a présenté son nouveau indice de santé de l’espace, une initiative visant à mesurer de manière quantitative la dégradation progressive de l’environnement orbital. Dans un contexte où le nombre de satellites et de débris augmente de façon exponentielle, l’objectif de l’ESA est clair : alerter sur les risques à long terme et proposer un outil concret pour préserver un espace exploitable à l’avenir. Cet indice s’inscrit dans la stratégie européenne « Zero Debris », déjà au cœur des politiques environnementales spatiales de l’agence.

ESA Health Index : Un indicateur inédit pour l’environnement dans l’espace

L’ESA qualifie ce nouvel outil de « Space Environment Health Index ». Concrètement, il agrège plusieurs paramètres liés à la pollution orbitale : la taille des objets, leur durée de vie en orbite, leur capacité d’évitement, les mesures de passivation après mission et le risque de fragmentation. Selon l’agence, il s’agit d’un moyen de synthétiser des centaines de variables en un seul chiffre clair, compréhensible par les décideurs politiques et le grand public. « Le Space Environment Health Index est une approche élégante qui relie les conséquences globales des pratiques d’atténuation des débris spatiaux à un impact quantifiable sur l’environnement spatial », a expliqué Stijn Lemmens, analyste de la gestion des débris à l’ESA.

Cette méthodologie, inspirée des indicateurs environnementaux terrestres, repose sur un score de référence : 1. Plus la valeur de l’indice est élevée, plus la situation se dégrade. « Un score de 1 représente le seuil proposé pour la durabilité à long terme de l’environnement orbital », détaille le communiqué officiel de l’agence. Au-delà, l’espace devient de moins en moins praticable pour les missions futures, car les risques de collision augmentent, amplifiant le phénomène de fragmentation et donc la pollution.

L’indice de santé de l’espace s’applique ainsi à tous les objets artificiels gravitant autour de la Terre : satellites opérationnels, étages de fusées abandonnés et fragments issus d’anciennes missions. D’après l’ESA, le modèle actuel montre que nous atteignons aujourd’hui un niveau de 4, soit quatre fois le seuil acceptable. Ce chiffre illustre une dégradation déjà avancée de l’environnement orbital. À titre de comparaison, en 2020, environ 34 000 objets de plus de 10 cm étaient recensés autour de la planète ; en 2025, ils sont désormais plus de 42 000, sans compter les centaines de milliers de fragments plus petits, invisibles mais potentiellement destructeurs.

Vers une politique « Zero Debris » à l’échelle de l’Europe

L’annonce de l’ESA s’inscrit dans une stratégie plus large, celle du programme Zero Debris, lancé en 2023 pour réduire drastiquement la génération de débris d’ici 2030. Cet indice de santé de l’espace sert désormais de boussole scientifique pour orienter les choix politiques. Francesca Letizia, ingénieure en atténuation des débris spatiaux à l’agence, a expliqué : « Nous avons dû évaluer différentes options politiques pour définir l’approche Zero Debris. Nous avons utilisé le modèle du Health Index pour traduire ce mandat en chiffres, afin d’identifier une trajectoire qui ne dépasse pas le seuil de durabilité orbitale ».

En pratique, cet outil pourrait bientôt devenir un référentiel européen pour les opérateurs de satellites. À l’image des étiquettes énergétiques appliquées aux appareils électroménagers, l’indice de santé orbitale offrirait une évaluation immédiate de l’impact environnemental de chaque mission spatiale. Un score faible indiquerait une conception durable, respectueuse des bonnes pratiques ; un score élevé signalerait au contraire une contribution à la pollution spatiale. L’ESA espère ainsi inciter les industriels à intégrer la durabilité dès la conception, notamment en prévoyant des systèmes de désorbitation contrôlée et de passivation des réservoirs.

Un signal d’alarme pour la durabilité de l’espace

L’enjeu de cet indice dépasse la simple comptabilité des débris. Il traduit la prise de conscience d’un secteur en mutation rapide, où l’accès à l’espace devient à la fois plus fréquent et plus risqué. En 2024, plus de 2 800 satellites ont été lancés, un record historique. Si les bonnes pratiques de désorbitation ne suivent pas, certaines zones orbitales pourraient devenir inexploitables. Selon le rapport environnemental spatial 2025 publié par l’ESA, environ 70 % des objets actuellement en orbite sont considérés comme non fonctionnels.

Le Space Environment Health Index sert donc de thermomètre global. Il ne s’agit pas seulement de mesurer le problème, mais de projeter ses conséquences sur plusieurs décennies. « Même si un seul chiffre ne peut jamais résumer toutes les subtilités impliquées, il fournira une impression utile de la santé de l’environnement spatial et accélérera les discussions de haut niveau », souligne le texte officiel de l’agence. En d’autres termes, cet indicateur simplifie les débats politiques autour d’une question jusqu’ici réservée aux experts techniques.

Les ingénieurs de l’ESA rappellent que ce modèle mathématique ne se limite pas à un constat. Il peut aussi servir d’outil de conception de mission. Lorsqu’une agence ou une entreprise planifie le lancement d’un nouveau satellite, le Health Index permet de simuler son impact environnemental et d’adapter les paramètres pour réduire les risques. Ainsi, une orbite plus basse, un système de propulsion réutilisable ou une meilleure stratégie d’évitement peuvent améliorer le score global. Cette approche intégrée fait de l’indice un instrument de planification et de responsabilité partagée.

La pollution de l’espace, un enjeu environnemental mondial

Si la pollution spatiale reste invisible pour la majorité du public, ses effets potentiels sont considérables. Les collisions entre débris génèrent de nouveaux fragments, qui à leur tour menacent d’autres satellites : un phénomène en cascade connu sous le nom de syndrome de Kessler. À terme, certaines orbites pourraient devenir si encombrées qu’elles seraient inutilisables pendant des décennies. En créant cet indice de santé de l’espace, l’ESA s’efforce de placer cette problématique au même niveau que la pollution atmosphérique ou marine.

L’ESA mise sur la coopération internationale. L’agence partage déjà son modèle avec d’autres institutions, comme la NASA, la JAXA et les agences membres de l’ONU. L’objectif : établir un référentiel commun et universel pour la santé de l’espace, à la manière des indicateurs climatiques mondiaux.

Paolo Garoscio

Rédacteur en chef adjoint. Après son Master de Philosophie, il s'est tourné vers la communication et le journalisme. Il rejoint l'équipe d'EconomieMatin en 2013.   Suivez-le sur Twitter : @PaoloGaroscio

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