Livret A : le gouvernement sacrifie des recettes pour préserver l’épargne

Alors que la Cour des comptes proposait une réforme ambitieuse du Livret A, l’exécutif a opté pour le statu quo. Aucun changement de plafond, aucune fiscalisation des intérêts : Roland Lescure a balayé l’idée. Si la décision rassure les épargnants, elle illustre aussi une ligne politique assumée : préserver le capital des ménages même au prix d’un manque à gagner pour les finances publiques. Décryptage d’un arbitrage révélateur des choix économiques du moment.

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By Rédaction Last modified on 3 décembre 2025 12h15
Livret A
Livret A : le gouvernement sacrifie des recettes pour préserver l’épargne - © Economie Matin
150 millionsLa proposition du CPO aurait apporté 150 millions d'euros de recettes fiscales annuelles.

Le 2 décembre 2025, Roland Lescure, ministre délégué chargé de l’Industrie et de l’Énergie, a déclaré que le gouvernement « n’envisage absolument pas de toucher au fonctionnement du Livret A ». Cette prise de position ferme survient après un rapport du Conseil des prélèvements obligatoires, relayé par la Cour des comptes, qui recommandait une réduction du plafond du Livret A et une fiscalisation partielle.

Équilibre budgétaire vs. épargne populaire : un arbitrage assumé

Le rapport du CPO proposait de ramener le plafond du Livret A de 22 950 € à 19 125 €, tout en fiscalisant les intérêts au-delà de ce seuil. Cette mesure aurait permis de cibler les détenteurs aux encours les plus élevés et de générer jusqu’à 150 millions d’euros de recettes fiscales annuelles selon les estimations du CPO. Un gain non négligeable dans un contexte de tension budgétaire croissante.

Mais le gouvernement a écarté cette piste. Roland Lescure a précisé que ces recommandations « n’engagent que la Cour des comptes » et qu’il n’y aurait « ni réduction de plafond, ni fiscalisation, y compris partielle ». Le Livret A reste donc inchangé, malgré son coût implicite pour les finances publiques.

Cette décision s'inscrit dans une logique de continuité économique. L’exécutif privilégie la stabilité des dispositifs d’épargne réglementée pour ne pas fragiliser la confiance des ménages. Un choix cohérent dans un climat inflationniste, mais qui prive l’État d’une marge de manœuvre budgétaire pourtant défendue par les magistrats financiers.

Le Livret A : levier de financement public ou abri fiscal inefficace ?

Au-delà de l’épargne individuelle, le Livret A joue un rôle économique plus large : il finance indirectement le logement social via la Caisse des dépôts. Mais cette fonction se heurte à un paradoxe : l’augmentation des encours ces dernières années — plus de 410 milliards d’euros cumulés en 2025 selon la Banque de France — ne s’est pas traduite par un usage proportionné de ces ressources dans l’économie réelle.

Les experts du CPO dénoncent un « effet d’aubaine » pour les ménages les plus aisés, qui utilisent le Livret A comme un produit de défiscalisation plutôt qu’un outil d’épargne de précaution. En maintenant un plafond élevé et une exonération fiscale totale, l’État renonce à orienter cette manne vers des investissements productifs ou redistributifs.

Roland Lescure réfute toutefois cette vision. Il défend un produit « populaire essentiel » qui « soutient les ménages modestes et le logement social ». Une affirmation qui réaffirme la fonction sociale de ce placement, mais laisse entière la question de sa performance économique dans un contexte de raréfaction des marges fiscales.

Un choix politique dans un contexte monétaire contraint

Le maintien du Livret A tel quel s’explique aussi par l’environnement monétaire. Depuis le 1er août 2025, son taux a été abaissé à 1,7 % par décision conjointe de Bercy et de la Banque de France. Un taux historiquement faible, censé décourager une épargne de précaution excessive au profit de la consommation ou de l’investissement.

En ne modifiant ni le plafond ni le régime fiscal, l’exécutif choisit de neutraliser toute perception de réforme négative sur les ménages. Il s’agit de contenir un mécontentement social à la veille d’un cycle budgétaire complexe. Mais cette orientation économique induit un coût : elle pérennise un modèle d’épargne qui capte des liquidités sans toujours les réinjecter efficacement dans l’économie.

Enfin, l’absence de réforme montre la difficulté d’imposer une fiscalité ciblée dans un climat de défiance. Fiscaliser au-delà d’un seuil, même élevé, aurait marqué une rupture dans le consensus autour du Livret A. L’exécutif a préféré maintenir une règle simple, au prix d’une réforme potentiellement efficace sur le plan budgétaire.

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