Des chiffres glaçants, une concurrence étrangère vorace, un secteur stratégique au bord du gouffre. Tandis que les tensions commerciales s’intensifient à l’échelle mondiale, une filière essentielle à l’économie française vacille en silence : celle de l’industrie chimique.
20 000 emplois en danger : l’industrie chimique française étranglée

Le 16 avril 2025, France Chimie a tiré la sonnette d’alarme. Dans un contexte de guerre commerciale entre les États-Unis et la Chine, l’industrie chimique européenne — et plus encore celle de la France — se retrouve exposée à un déferlement de produits bon marché, exportés massivement pour contourner les taxes douanières. Derrière cette mécanique économique, 47 sites industriels français et jusqu’à 20 000 emplois pourraient disparaître. L’épicentre d’un séisme économique programmé ?
L’industrie chimique française en danger : l’onde de choc des droits de douane de Trump
L’industrie chimique, que d’aucuns appellent « l’industrie des industries » tant elle irrigue les secteurs de l’automobile, de l’énergie, de l’agroalimentaire ou de la pharmacie, est en train d’étouffer sous une pression insoutenable. À l’issue de son assemblée générale annuelle, France Chimie n’a pas mâché ses mots : « La chimie est prise en étau entre les États-Unis et la Chine », a déclaré Frédéric Gauchet, son président, dans un constat aussi lucide que désespéré cité par Connaissance des Énergies.
La cause ? L’instauration mutuelle de nouveaux droits de douane prohibitifs entre Pékin et Washington, notamment sous l’impulsion de l’administration Trump. Une stratégie protectionniste qui provoque un effet domino : pour éviter ces barrières tarifaires, les géants de la chimie redirigent leurs excédents vers le marché européen. Et l’Union, fidèle à sa politique de libre-échange, applique à peine 3 % de droits de douane sur les produits chimiques importés. Résultat : l’Europe devient la décharge commerciale des géants asiatiques et américains.
Fermetures en cascade : les usines françaises sur la sellette
France Chimie évalue à 10 à 20 milliards d’euros la valeur des produits chimiques chinois qui pourraient se déverser sur le marché européen. À cela s’ajoutent 5 à 10 milliards d’euros en provenance des États-Unis. Le tout à des tarifs défiant toute logique industrielle européenne. Le dumping n’est plus une hypothèse, c’est une réalité, documentée par Bruxelles, notamment sur le marché du PVC (polychlorure de vinyle), où les États-Unis et l’Égypte sont également pointés du doigt.
Le verdict est sans appel : 200 à 350 usines chimiques sont menacées à l’échelle de l’Union européenne, dont 47 en France, souligne Libération. Cela représente 15 000 à 20 000 emplois directs dans l’Hexagone. Et bien plus si l’on inclut les sous-traitants et la logistique.
Des produits aussi stratégiques que l’acide nitrique, indispensable à la fabrication d’explosifs, d’engrais ou de carburants, pourraient cesser d’être produits en Europe. « Il est possible qu’il n’y ait plus du tout de production d’acide nitrique en Europe si on ne fait rien », a averti Frédéric Gauchet.
Chimie : une compétitivité désintégrée par les écarts de charges et de fiscalité
Au cœur du problème, une compétitivité européenne en lambeaux. « La guerre commerciale est la goutte d’eau qui fait déborder le vase d’une industrie déjà très fragilisée », résume Gauchet. Le constat est brutal : surcapacité mondiale, coûts énergétiques exorbitants en Europe, charges réglementaires lourdes, et fiscalité punitive. Tandis que les capacités de production tournent à moins de 80 %, bien en dessous de la rentabilité, le chiffre d’affaires du secteur en France devrait continuer de décroître en 2025.
Pierre Luzeau, président du groupe pharmaceutique Seqens, en appelle à une réaction d’urgence de Bruxelles. Il parle d’un véritable « risque d’extinction de notre industrie » si aucun plan de sauvetage n’est mis en œuvre. Mais l’Europe est-elle prête à jouer la carte de la protection économique ? Du côté des industriels, la réponse est claire : il faut des tarifs énergétiques compétitifs. « 30 à 40 % de nos coûts de production sont de l’énergie », rappelle Benoît Decouvelaere, cadre chez TotalEnergies, en réclamant des ajustements immédiats.
L’Europe en surplace : un plan promis, mais encore virtuel
Face à cette débâcle annoncée, la Commission européenne a tenté de rassurer. Lors de la même assemblée, Kristin Schreiber, sa représentante, a promis un plan d’action pour la chimie d’ici la fin de l’année. Celui-ci devra « répondre aux craintes de fermetures à court terme » tout en préparant la transition écologique du secteur.
Mais pour France Chimie, cette échéance est déjà trop lointaine. Et les industriels craignent un effet domino irréversible si aucune mesure d’urgence n’est prise avant la fin de 2025. La simplification de la réglementation Reach — encadrant les substances chimiques dangereuses — est sur la table. Mais simplifier suffira-t-il à sauver les sites menacés ? L’histoire récente prouve que non.
L’industrie chimique française face à une menace existentielle
Une chose est sûre : l’industrie chimique française, pilier discret de notre économie, vit une menace existentielle. La guerre commerciale sino-américaine agit comme un révélateur impitoyable des failles européennes. Et pendant que les usines ferment, que les salariés s’inquiètent, que les commandes fuient, les décideurs politiques tergiversent.
L’Europe pourra-t-elle encore longtemps rester ouverte à tous les vents sans se disloquer de l’intérieur ?
