Accord transatlantique : oui ou non les normes sont-elles en danger ?

Par Bertrand de Kermel Publié le 10 février 2015 à 5h00
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20 000 eurosL'ambassade américaine de Berlin rémunère entre 5 000 et 20 000 euros les idées visant à promouvoir ce fameux traité.

L’accord transatlantique de libre échange en cours de négociation entre les Etats Unis et l’union Européenne a pour objet principal non pas d’abaisser les droits de douane (ils sont déjà très bas) mais de réduire ce que l’on dénomme les entraves aux échanges.

Par exemple, sur le continent américain, lorsqu’un bateau chargé de marchandises arrive dans un port, il ne peut repartir pour livrer sa marchandise dans un autre port américain. Le fret doit être déchargé, et embarqué sur un bateau américain. Voilà typiquement une entrave aux échanges, qui n’a aucun sens, sauf le protectionnisme.

Accord transatlantique : harmoniser les normes

Il est clair qu’en utilisant habilement des normes dans un autre but que la seule qualité d’un produit, il est assez simple d’entraver la concurrence avec les produits importés. Il faut donc travailler sur ce problème. Comment faire ? Deux solutions s’offrent aux négociateurs : harmoniser les normes américaines et Européennes sur chaque produit où elles divergent tellement qu’elles conduisent à des surcoûts injustifiés. C’est un travail titanesque, où chacun tentera d’imposer à l’autre ses propres normes. Mais également instaurer la reconnaissance mutuelle des normes. Cela signifie que si un produit réponds aux normes américaines de mise en marché, l’UE sera tenue de l’accepter sur son marché, et vice versa. C’est évidemment beaucoup plus simple et beaucoup plus efficace.

Un problème de concurrence entre l'Europe et les Etats-Unis

Pour illustrer cette solution, l’Union Européenne prend souvent l’exemple du secteur automobile. Les voitures américaines ne sont pas plus dangereuses que les voitures européennes, et il paraît de simple bon sens, dans ce secteur, de mettre en place la reconnaissance mutuelle des normes. Sauf que…. Les normes écologiques sur les gaz d’échappements sont parait-il moins sévères aux Etats Unis qu’en Europe. Si tel est bien le cas, la reconnaissance mutuelle des normes va immédiatement poser un problème de concurrence aux constructeurs européens, qui exigeront d’être placés au même niveau d’exigences écologiques que les américains, sous peine de délocaliser leurs usines sous d’autres cieux plus cléments. Dans cet exemple, au nom de l’emploi, nous nivellerons nos normes environnementales par le bas.

Accord transatlantique : le consommateur choisira

Pour éviter un tel scénario, il faudrait prévoir des exceptions au principe de la reconnaissance mutuelle. Ces exceptions seraient par exemple liées à l’environnement ou aux aspects sociaux. Si ces exceptions manquent à l’appel, il y aura danger, et le système d’arbitrage (qui fait l’objet d’un troisième article à paraître) fonctionnera à plein régime. Venons-en à l’agriculture et l’agroalimentaire. Il n’est pas question ici de porter un jugement de valeur sur qui a raison et qui a tort avec ses normes, mais d’appliquer le même raisonnement.

L’UE affirme que les normes européennes sur les OGM, l’utilisation des hormones de croissance, la chloration des volailles, et la viande issue d’animaux clonée ne sont pas négociables. Conclusion : il n’y a rien à négocier. Pas du tout ! Le négociateur américain a été très clair, lors d’une conférence de presse à Bruxelles début 2014. Pour lui, il faut que le consommateur puisse choisir. Donc, il est OK pour le maintien des normes européennes, mais sous réserve que les produits américains soient autorisés en Europe. Or, ce résultat ne peut-être atteint QUE par la reconnaissance mutuelle des normes. CQFD … Le tour est joué.

Vers la reconnaissance mutuelle des normes ?

Il est donc clair que si la proposition du négociateur américain est retenue, très rapidement, les entreprises européennes n’accepteront pas qu’il leur soit interdit de fabriquer des produits selon des processus utilisés par les entreprises US, qui ensuite, mettent ces produits sur le marché européen. Pourquoi ? Parce que le différentiel de compétitivité entre les deux systèmes de normes est très important.

En France, la qualité des produits agroalimentaires est travaillée à chaque échelon de la production et de la fabrication du produit agroalimentaire. C’est un système d’assurance qualité, que l’on peut résumer par les deux formules suivante : "de la fourche à la fourchette", ou encore "du champ à l’assiette". Aux Etats Unis, on ne s’embarrasse pas d’assurance qualité. On va plus vite, et on assainit le produit par le système de la chloration. Evidemment cela est beaucoup moins coûteux. Si nous suivons le négociateur américain, nous adopterons la reconnaissance mutuelle des normes, ce qui entrainera un différentiel de concurrence, tant et si bien que sous la pression nous serons contraints de niveler nos normes par le bas, pour les mettre aux niveaux US.

Etre payé pour promouvoir l'accord transatlantique

Voilà pourquoi, avant de se prononcer pour ou contre, les gouvernements et les parlementaires devront lire soigneusement les 1.500 pages de l’accord, après qu’elles aient été traduites en langue française, et vérifier qu’ils comprennent très bien toutes les clauses sans nécessairement être des experts. Sinon, il faudrz qu’ils se fassent expliquer la signification des articles obscurs. S’ils ne le font pas, il y aura danger. Le diable sera dans les détails, et le système d’arbitrage montera rapidement en puissance. N’oublions pas cette petite phrase sibylline, qui figure dans la fameuse "foire aux questions" de la Commission européenne, sous la question : Pourquoi l’Union a-t-elle inclus le règlement des différends entre investisseurs et États dans le partenariat transatlantique?

Cette phrase et la suivante  : "Les mesures pour protéger les investisseurs n’empêcheront pas les gouvernements d’adopter des lois et ne les contraindront pas à en abroger. Elles peuvent tout au plus entraîner le paiement d’indemnisations". Oups ! N’oublions pas, non plus, que "pour défendre et promouvoir l’accord transatlantique de libre échange entre l’Europe et les États-Unis (TTIP), l’ambassade américaine à Berlin a lancé un concours d’idées, rémunérées entre 5 000 et 20 000 euros". Re Oups ! Cela rend méfiant.

Ancien directeur général d'un syndicat patronal du secteur agroalimentaire, Bertrand de Kermel est aujourd'hui Président du comité Pauvreté et politique, dont l'objet statutaire est de formuler toutes propositions pour une "politique juste et efficace, mise délibérément au service de l'Homme, à commencer par le plus démuni ". Il est l'auteur de deux livres sur la mondialisation (2000 et 2012)

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