Rapport Terrasse : Airbnb et consorts sommés de rentrer dans les clous

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Par Daniel Lafitte Modifié le 23 février 2016 à 15h21
Economie Collaborative Airbnb Rapport Terrasse
97692 EUROSEn 2013 Airbnb n'a payé que 97 692 euros d'impôt.

La France est « à la pointe » dans le domaine de l’économie collaborative. C’est la conclusion du rapport que le député PS Pascal Terrasse a remis lundi 8 février à Manuel Valls. Selon ce texte, 276 plateformes d’économie collaborative, dont 70 % françaises, sont actives sur le marché hexagonal. En 2015, près d’un Français sur deux a déjà acheté ou vendu à un autre particulier sur Internet. Un constat qui permet au député socialiste d’inviter les pouvoirs publics à « mieux accompagner » cette « évolution majeure », ceci afin « d’en tirer la meilleure dynamique pour notre économie ». Il y a du boulot.

« Dépassionner le débat » sur l’économie collaborative. Voilà ce qu’avait le Premier ministre Manuel Valls en tête, en confiant au député Pascal Terrasse la rédaction d’un rapport sur ce secteur en plein essor, suscitant polémiques et tensions. Dans son texte, le député tient à rappeler que l’économie collaborative « ne se résume pas à l’ubérisation » et qu’elle trouve au contraire ses origines dans des courants de pensée alternatifs prônant le partage, le don et l’échange de biens et de services. Si des entreprises ultra-capitalistes ont pu voir le jour en se réclamant de ces courants de pensée, d’autres associations sans but lucratif continuent de les défendre et se développent selon ces valeurs.

D’où la nécessité d’encourager les initiatives visant à faire émerger de nouvelles formes de consommation, tout en encadrant les pratiques industrielles d’acteurs déployant des stratégies commerciales de plus en plus agressives. On pense ici à Airbnb, plateforme de location de logements entre particuliers faisant un pont d’or aux multipropriétaires, qui délaissent de plus en plus le secteur de la location longue durée pour se tourner vers celui de la location touristique, bien plus lucratif. Une « industrialisation », bien loin des valeurs originelles de l’économie du partage, encouragée par Airbnb, qui n’hésite pas à truquer ses chiffres pour faire chuter artificiellement le nombre de multipropriétaires inscrits sur la plateforme. Ainsi, à New-York, le site aurait supprimé de ses listes plus de 1 000 annonces quelques jours avant la parution d’une étude sur ses pratiques. Résultats : sur l’ensemble de l’offre, la part d’annonces de multipropriétaires serait passée de 19 % à 10 % d’un coup de baguette magique.

Le rapport Terrasse a été conçu pour tenter de trouver des solutions à ce genre de dérives. Il répond à quatre grands objectifs. Il souhaite d’abord contribuer à créer les conditions pour que l’économie collaborative puisse libérer tout son potentiel de croissance. Ensuite, il cherche à garantir le fonctionnement loyal et transparent des plateformes, pour les consommateurs et par souci d’équité vis-à-vis des acteurs de l’économie traditionnelle. Troisième objectif : garantir l’accompagnement des parcours professionnels des travailleurs du secteur en améliorant leur protection sociale. Enfin, le rapport rappelle que les plateformes doivent contribuer à la solidarité nationale, notamment dès lors qu’elles se professionnalisent.

En effet, les 19 propositions que contient le texte sont principalement orientées vers la protection sociale de ce qu’il appelle les « travailleurs des plateformes » et leurs relations avec leurs employeurs, mais elles abordent également la protection des consommateurs et les questions fiscales, ces dernières étant souvent à l’origine des polémiques autour de l’économie collaborative. La proposition numéro 11, par exemple, consiste à « assurer la contribution des plateformes aux charges publiques en France ». Il s’agit de se donner les moyens d’empêcher les entreprises numériques de développer des stratégies d’évitement d’impôts. Pour cela, rappelle M. Terrasse, il faut combattre les montages fiscaux permettant le transfert international de bénéfices, une stratégie privilégiée par les grandes entreprises étrangères qui ne souhaitent pas payer leurs impôts en France.

Une nouvelle fois, difficile de ne pas penser à Airbnb, dont le plus gros marché se trouve en France, et qui y payait jusqu’à présent des impôts ridicules. En 2013, par exemple, alors que BFM Business estimait le chiffre d’affaires de la compagnie californienne à plus de 100 millions d’euros sur le territoire hexagonal, la filiale française y a déclaré 3,4 millions d’euros, histoire de donner le change. Montant des impôts : 97 692 euros.

Toujours dans le but de limiter cette forme de concurrence déloyale, la proposition numéro 14 invite le gouvernement à s’engager avec les plateformes dans une démarche d’automatisation des procédures fiscales et sociales. Comme les employeurs, qui communiquent les revenus de leurs salariés ou les banques, qui communiquent les revenus mobiliers de leurs clients, les plateformes pourraient également communiquer aux administrations sociales et fiscales les montants des revenus dégagés par leurs utilisateurs en vue de fiabiliser les déclarations des contribuables. Il s’agit de « mettre fin à l’idée selon laquelle l’économie collaborative organise la fraude fiscale », soutient le rapport.

Cette dernière proposition illustre bien une des convictions de Pascal Terrasse, pour qui « l’économie collaborative ne constitue pas une zone de non-droit ». Aussi s’est-il attaché à rapprocher les pratiques du secteur aux cadres existants plutôt qu’à la création de règles ou statuts spécifiques. Le gouvernement semble partager cette conviction, puisqu’il s’est d’ores et déjà engagé dans une démarche « pragmatique pour conforter les usages collaboratifs des Français tout en assurant une égalité de traitement entre acteurs. C’est cet équilibre que l’Etat doit mettre en place : une régulation sans sur-règlementation », a fait savoir le cabinet de M. Valls.

Un bon début, même si certaines lacunes restent à déplorer. Président de l'Association pour un hébergement et un tourisme professionnels (AhTop), Jean-Bernard Falco souhaiterait par exemple que le "législateur impose la nécessité pour les loueurs de s'immatriculer auprès d'une autorité compétente et fasse reconnaître la qualité d'intermédiaire aux plateformes, respectant ainsi les dispositions votées dans le cadre de la loi Hoguet". Si l'économie du partage déferle en France et dans le monde depuis quelques années, la rapidité de son expansion a bien souvent pris de court le législateur. Il apparait aujourd'hui primordial de rattraper ce retard, pour au moins deux raisons : garantir une concurrence loyale entre ces nouvelles plateformes et les acteurs traditionnels, et faire en sorte que cette économie collaborative n'ait pas de collaboratif que le nom, mais profite bien au plus grand nombre.

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Responsable de gestion de patrimoine immobilier, Daniel Lafitte est plus particulièrement en charge de la relation clients et propriétaires en matière de gestion locative et de copropriété sous ses aspects juridiques, financiers, techniques et commerciaux. Membre d'une association de consommateurs, il profite de la tribune qui lui est accordée sur EconomieMatin pour livrer ses analyses sur des sujets variés, avec pour leitmotiv la défense des intérêts des consommateurs.

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