L’Allemagne et « l’agenda 2010 »

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Par Sylvain Fontan Publié le 25 septembre 2014 à 3h40

Avant d'être la locomotive de l'économie européenne, l'Allemagne a longtemps été considérée comme un pays "malade". En effet, au cours des années 1990, l'Allemagne a connu une longue période de croissance inférieure à la moyenne européenne. Depuis, le pays a lancé plusieurs réformes structurelles qui lui permettent aujourd'hui de récolter le résultat de ses efforts et dont la France pourrait s'inspirer.

L'Allemagne, ou "l'homme malade" de l'Europe

Entre 1995 et 2005, la situation économique de l'Allemagne était très dégradée. En effet, durant cette période, la croissance allemande a constamment été inférieure à celle de la moyenne des 15 pays membres de l'Union Européenne de cette époque. Le pays a dû faire face à des évènements historiques qui sont venus renforcer le manque de dynamisme économique : poids de la réunification allemande suite à la chute du mur de Berlin en 1989, l'éclatement de la bulle internet au tournant des années 2000 et les attentats du 11 septembre 2001. Un des éléments les plus patents de cette situation économique a été l'augmentation continue du chômage qui a atteint 11,7% de la population active en 2005. L'évolution du chômage soulignait ainsi les problèmes structurels du marché de l'emploi allemand qui ne parvenait pas à résorber le chômage, même lors des phases de croissance économique.

Les problèmes structurels de l'Allemagne étaient principalement liés à quatre aspects :

1) Rigidité du marché du travail. Le manque de flexibilité en matière de fixation des salaires, la grande difficulté à licencier pour les employeurs, et les contraintes liées aux contrats de travail indéterminés rendaient très difficile d'intégrer toute une partie de la population sur le marché du travail et d'adapter les salaires et l'emploi aux fluctuations de l'activité économique.

2) Evolution disproportionnée des salaires par rapport à la productivité. Les coûts salariaux, notamment dans l'industrie manufacturière, ont enregistré une hausse nettement supérieure aux gains de productivité et aux hausses de salaires observés dans les autre pays européens. Dès lors, la compétitivité du pays s'est peu à peu érodée.

3) Prestations de transferts trop généreuses. Les transferts liés à la redistribution étaient des obstacles à la création d'emploi, notamment dans les secteurs à bas salaires. En effet, les prestations accordées aux chômeurs (notamment de longue durée), en termes de montant des allocations chômage et de durée des droits, n'incitaient pas les bénéficiaires de ces prestations à chercher et reprendre un emploi.

4) Poids des prélèvements fiscaux et sociaux. Afin (notamment) de financer le niveau élevé des prestations sociales, le niveau des charges fiscales et sociales qui pesaient sur les employés, les employeurs et les contribuables étaient devenu très élevé en matière de comparaison internationale. Dès lors, l'attractivité de l'Allemagne auprès des investisseurs étrangers s'est dégradée. De plus, le niveau élevé de la fiscalité pesait négativement sur l'investissement des entreprises, bridant ainsi leur développement et donc le potentiel global d'emploi du pays.

L'agenda 2010

Pour pallier la perte de compétitivité allemande, de vastes réformes structurelles ont été lancées. En effet, en 2003, le chancelier allemand de l'époque (Gerhard Schröder) présenta ce qu'il convient d'appeler l'Agenda 2010. Les divers axes de réformes s'appliquèrent aux domaines du marché du travail, de la protection sociale et de la fiscalité. L'objectif était d'améliorer les conditions permettant de générer de la croissance économique et de l'emploi, ainsi que de moderniser l'Etat et son fonctionnement.

Les principales réformes renvoient à la réglementation du marché du travail (réformes dites "Hartz"). Trois axes principaux sont constitutifs de ces réformes :

Plus d'incitations à la reprise d'un emploi. En substance, l'idée est de développer la responsabilité individuelle des chômeurs en adossant les droits à des devoirs. Ainsi, la durée maximale d'indemnisation chômage a été réduite (de 32 à 12 mois avec des exceptions pour les plus de 55 ans).

• Passage d'un régime d'assurance financée par les cotisations à un système d'assistance financé par l'impôt. En pratique, cela signifie que les allocations chômage pèsent moins sur le travail et plus sur le contribuable. L'aide aux chômeurs en fin de droits est désormais accordée sous conditions de ressources, et à condition que le bénéficiaire cherche activement un emploi. Ainsi, le bénéficiaire reçoit cette aide uniquement s'il a au préalable épuisé une partie de son revenu et de son patrimoine.

Assouplissement du régime de protection contre le licenciement. En pratique, cela revient à diminuer les barrières à l'embauche et ainsi créer les conditions d'un marché du travail plus dynamique. En effet, s'il est dorénavant plus facile de licencier, il est surtout plus facile de retrouver un emploi car les lourdeurs et les contraintes à l'embauche sont diminuées.

En matière de politique fiscale, l'impôt sur le revenu (IR) et l'impôt sur les sociétés (IS) ont évolué. Concernant l'IR, le taux du barème minimum a diminué, passant de 25,9% à 15%, ainsi que le taux maximum qui est passé de 53% à 42%. En matière d'IS, seule la moitié des dividendes et les plus-values peuvent dorénavant être imposables. De plus, le barème de l'IS est passé de 50% à 29% depuis 2008. Le but est de créer un environnement plus favorable à la croissance et d'améliorer l'attractivité fiscale de l'Allemagne pour les sociétés à capitaux.


En matière de protection sociale, ce sont essentiellement l'assurance retraite et maladie qui ont évolué. En effet, l'assurance retraite fonctionne toujours sur un principe de répartition (travailleurs cotisent pour les retraités), mais un élément de capitalisation (chacun cotise à sa future retraite en fonction de ses moyens) a été introduit. De plus, un facteur d'équilibre entre les générations a été introduit en faisant évoluer le montant des pensions de retraites en fonction de la relation entre le nombre de retraités et de cotisants. Enfin, l'âge légal de départ à la retraite a été reculé à 65 ans (et sera de 67 ans en 2029). Le but étant d'assurer la pérennité du système et de garantir la soutenabilité de son financement, et ainsi faire en sorte que les cotisants d'aujourd'hui puissent compter eux aussi sur une pension lorsque leur retraite sera venue. Au final, l'enjeu est d'éviter un jeu de Ponzi comme en France, où l'espoir de toucher une pension des derniers arrivés sur le marché du travail serait très mince compte tenu de l'évolution démographique.

En matière d'assurance maladie, le nombre et le montant des prestations remboursées a globalement diminué. Parallèlement, la participation individuelle des patients aux différents frais (médicaux, hospitaliers...) a augmenté afin d'équilibrer les services offerts en fonction des ressources disponibles et d'entrer dans un système de gestion raisonnée.

Situation actuelle

La situation économique actuelle positive de l'Allemagne n'est pas uniquement liée aux différentes réformes. En effet, plusieurs facteurs en interactions sont à souligner. La bonne conjoncture économique mondiale du milieu des années 2000 a largement profité à l'Allemagne grâce à ses entreprises industrielles fortement internationalisées qui ont augmenté les exportations du pays. Dans ce cadre, les caractéristiques des industries allemandes ont accentué ce phénomène de rebond économique : forte densité d'entreprises hautement innovante positionnées sur les moyennes et hautes technologies, fortes synergies entre les différentes entreprises, et qualité de la coopération des partenaires sociaux (syndicats et patronats) qui travaillent de façon responsable, permettant ainsi l'amélioration des intérêts collectifs au détriment des intérêts corporatistes.

Malgré des controverses sociales, les effets économiques sont indéniables positifs. En effet, indépendamment de la meilleure conjoncture mondiale dont les entreprises allemandes ont su bénéficier, les effets bénéfiques ont été démultipliés grâce aux avancées permises par les réformes mises en place par l'Allemagne. Le chômage a sensiblement baissé et l'Allemagne est le seul pays européen dont le taux de chômage a continué de baisser durant la crise globale. De plus, l'activité en période de croissance s'est fortement accrue. Ainsi, alors qu'il fallait au moins 2% de croissance économique par an pour générer la création d'emploi avant ces réformes, il suffit maintenant de 1% de croissance à l'Allemagne pour diminuer le chômage. A titre de comparaison il faut 1,5% de croissance en France pour diminuer de façon pérenne le chômage en France. De nombreux actifs faiblement qualifiés ont retrouvé un emploi. Dans le même temps, la modération salariale a permis aux entreprises de gagner en compétitivité et ainsi de se développer.

Malgré la modération salariale, les allemands ont néanmoins gagné en pouvoir d'achat. En effet, les revenus disponibles ont augmenté de 600 euros entre 2005 et 2010 (+3%) à l'Ouest de l'Allemagne, et de 1'100 euros à l'Est sur la même période (+7%). Ainsi, ce sont surtout les tranches inférieures de revenus qui ont connu la plus forte progression avec 40% des allemands aux revenus les plus bas qui ont vu une progression de leur revenu disponible augmenter plus vite que la moyenne. Parallèlement, l'inégalité de la répartition des revenus (calculée par le coefficient de Gini) s'est réduite à l'Est, mais reste inchangée à l'Ouest.

Conclusion

Les différents dysfonctionnements (marché du travail, protection sociale, fiscalité) de l'économie allemande rendaient impossible pour le pays de relever les défis de la globalisation et sa perte de compétitivité était alors inéluctable sans modifications majeures.

Pour faire face à cette situation, l'Agenda 2010 a posé les bases d'une refondation de la politique économique et sociale allemande afin que le pays puisse s'adapter aux évolutions du monde contemporain. Malgré certains reculs sociaux apparents, les avancées économiques sont telles qu'elles permettent maintenant à l'Allemagne d'envisager le futur de manière plus sereine. L'avance en matière de compétitivité de la production allemande permet à ce pays d'accumuler d'importants excédents extérieurs et d'être un des rares pays européens à être en excédent budgétaire. Après plusieurs années difficiles, les efforts du pays portent leurs fruits et l'Allemagne peut se concentrer essentiellement sur son problème majeur : sa démographie déclinante du fait du vieillissement de sa population.

Même si la situation être partiellement différente, et si un modèle ne peut jamais être reproductible à l'identique d'un pays à l'autre, force est de constater que la situation allemande d'il y a 10 ans ressemble fort à la situation actuelle française. En effet, malgré une histoire différente, ainsi que la démographie, la répartition des facteurs de production, la spécialisation etc, il apparaît que la voie allemande devrait pouvoir inspirer, au moins pour partie, les politiques économiques et sociales de la France. Cependant, le gain économique probable que le pays pourra en tirer, ne pourra probablement pas compenser le prix politique aux yeux des gouvernants français.

Dans ce contexte, il est fort probable que la dégradation de la France continue son œuvre, à fortiori au regard du discours politique utilisé par les gouvernants et dispensé aux citoyens. Enfin, il n'est pas certain que les politiques aient réellement pris conscience de la situation dans laquelle le pays se trouve, ni du moment historique charnière dans lequel il se trouve.

Lire d'autres analyses économiques écrites par Sylvain Fontan sur son site : www.leconomiste.eu

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Sylvain Fontan, économiste et créateur du site www.leconomiste.eu   Parcours Professionnel   - Analyste-Investissement (Unigestion - Société de gestion d’actifs) - Analyste-Risque (RWE - Société de trading en énergie) - Analyste-Hedge Fund (BPER - Banque Privée Edmond de Rothschild) - Macroéconomiste (TAC - Laboratoire de recherche privé en économie et finance) - Chargé d’études économiques (OMC - Organisation Mondiale du Commerce) - Chargé d’études économiques (ONU - Organisation des Nations Unies)  

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