Assurance emprunteur : rendre effective la liberté de choix des emprunteurs ; pour leur rendre trois milliards d’euros.

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Par Laurent Denis Modifié le 23 mars 2023 à 9h52
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88%88% des assurances emprunteur sont contractées auprès des banques.

Lettre ouverte au Ministre de l’économie

Désinhibées, décontractées, décoincées : les banques françaises siphonnent chaque année aux emprunteurs trois milliards d’euros de surcoût, au titre des assurances souscrites avec les crédits, à la consommation ou immobiliers.

Des Intermédiaires bancaires et d’assurance remettent une lettre ouverte au Ministre de l’économie, proposant trois mesures simples et concrètes pour mettre fin aux pratiques commerciales déloyales qui s’exercent contre les consommateurs et aux pratiques anticoncurrentielles qui s’exercent contre les Intermédiaires, en matière d’assurance-emprunteur. Sanctionner, encadrer et organiser les pratiques commerciales de ce marché, pour mettre fin aux pratiques abusives et rendre enfin effective la liberté de choix des consommateurs en assurance-emprunteur, pour mettre fin au surcoût annuel injustifié de trois milliards de d’euros.

Les Français paient deux fois plus cher leur assurance-emprunteur.

En France, l’équation de l’assurance-emprunteur est limpide : près de neuf Français sur dix confondraient un billet de cent euros avec un billet de deux cents euros, lâchant le deuxième lorsque le premier suffirait. Bien sûr, une telle hypothèse n’a pas de sens.

Pourtant, les emprunteurs choisissent à 88%, soit dans presque 9 cas sur 10, les contrats d’assurance emprunteur qui sont les plus chers pour eux. Un mystère consumériste absolu. Ces contrats sont ceux proposés par les banques françaises, les contrats d’assurance emprunteur dits « de groupe ». Ces contrats vendus jusqu’à deux fois plus chers par les banques françaises accaparent donc 88% du marché de l’assurance-emprunteur.

Les contrats d’assurance-emprunteur de groupe des banques sont en concurrence, seulement théorique, avec les contrats d’assurance-emprunteur dite « déléguée ». Nettement moins chers, aux garanties au moins identiques et souvent meilleures, ces contrats moins chers représentent donc 12% du marché. D’où surgit ce goût massif et spontané des emprunteurs français pour les contrats d’assurance-emprunteur les plus chers ?

Fabuleuse question pour les économistes : que se passe-t-il lorsqu’un marché théoriquement libre est composé à 88% du produit vendu deux fois plus cher ? En assurance-emprunteur, marché d’environ neuf milliards d’euros de cotisations annuelles, le surcoût payé chaque année par les emprunteurs, directement saisi dans leurs poches, est donc d’au moins trois milliards d’euros. Trois milliards d’euros dont les emprunteurs sont chaque année ponctionnés par les prêteurs qui veillent à leurs intérêts. Ce flagrant (et scandaleux) déséquilibre de marché soulève surtout des questions pour les juristes.

Les banques forcent l’assurance-emprunteur deux fois plus chère au moyen de pratiques déloyales et anti-concurrentielles.

Ce constat d’un marché dominé par le produit deux fois plus cher, à la fois anormal et farouchement figé, s’explique uniquement par les pratiques des prêteurs. Car les établissements de crédit agissent simultanément comme des prêteurs et comme des vendeurs d’assurance-emprunteur. Les banques favorisent donc sauvagement les produits d’assurance-emprunteur issus de leurs groupes bancaires et financiers, sans grande considération pour l’intérêt des clients.

Pourtant, le droit de choisir l’assurance emprunteur est à présent une liberté économique du consommateur. Elle est garantie par la Loi (article L. 313-30 du Code de la consommation). Le consommateur-emprunteur est libre de choisir le contrat d’assurance-emprunteur au moment de la souscription du crédit. Il est également libre de lui substituer un autre contrat une fois par année. La Constitution protège même ce droit. Le 12 janvier 2018, avec son jugement QPC 2017-685, le Conseil constitutionnel a jugé que la résiliation annuelle de l’assurance emprunteur respecte les droits et libertés garantis par la Constitution. Il précise même qu’un tel droit est « source d’un meilleur équilibre » entre consommateurs et banques.

Mais lorsqu’il s’agit de capter trois milliards d’euros, la liberté de choix initial et de substitution de l’assurance-emprunteur devient théorique : en pratique, elle n’est pas effective dans le Droit français. Pour atteindre ce pitoyable résultat, les prêteurs agissant également comme distributeurs de leurs propres assurances-emprunteurs exercent d’abord des pratiques déloyales industrielles à l’endroit des Consommateurs : pressions exercées à l’octroi des crédits pour forcer le choix de l’assurance-emprunteur proposée par la banque ; pressions pour refuser aux emprunteurs leur droit annuel de résiliation-substitution. Depuis 2020, s’ajoutent à ces pratiques commerciales abusives des actes de concurrence déloyale à l’égard des Courtiers en crédit et plus généralement, des Intermédiaires en Opérations de Banque et en Services de Paiement (ou IOBSP). Conscientes de l’importance prise par les Courtiers en crédit et du caractère irréversible de la distribution des crédits par les Courtiers, avec l’extinction imminente des agences des banques, ces dernières inventent de nouvelles pratiques contractuelles. Elles tentent d’imposer contractuellement aux Courtiers en crédit l’obligation de favoriser leur assurance-emprunteur deux fois plus chère : crédit contre blocage de la concurrence en assurance-emprunteur. Tous les Courtiers s’y opposent. Les banques tentent de leur restreindre l’accès à l’examen des demandes de crédits. Sans succès, face au refus des Intermédiaires bancaires. La dynamique de la distribution bancaire est passée du côté des Intermédiaires bancaires ; l’agence mono-établissement bancaire est condamnée à disparaître.

Telle est la conception pitoyable qu’ont les établissements de crédit de la relation avec leurs clients et avec leurs distributeurs : une relation de domination. Comment une telle situation est-elle loisible ? Parce que les Autorités de police bancaire, de justice bancaire et de concurrence en assurance sont totalement passives.

L’absence de contrôles et de sanctions encouragent les pratiques illicites des banques en assurance-emprunteur.

Pas de droit effectif sans sanctions effectives. Le navrant tableau dépeint en assurance-emprunteur n’est ignoré de personne : il est même public et fait sans cesse l’objet d’abondants débats, depuis dix années. En juillet 2020, ce sera l’anniversaire de la première Loi posant la « déliaison » de l’assurance-emprunteur et du crédit. Un divorce superbement raté. Faute de contrôles et de sanctions sérieuses, de la part des Autorités en charge de la supervision bancaire.

Les Autorités publiques françaises chargées de la supervision bancaire font preuve d’une inaction à l’égard des droits des consommateurs en assurance-emprunteur et vis-à-vis des pratiques de ce marché. Elles désertent leur mission. Elles ont pourtant en charge également la protection des consommateurs. Mais cette noble fonction, apparue bien tardivement, vient sans doute en conflit frontal avec leur mission principale de veiller « à la préservation de la stabilité du système financier » (les deux attributions centrales de l’Autorité de contrôle bancaire, un service de la Banque de France, selon l’article L. 612-1, I du Code monétaire et financier). Une forme prononcée de conflit d’intérêts, car la stabilité du système financier peut parfois s’opposer à la protection des intérêts des clients. Il peut être bien bon de reporter la stabilité financière sur les consommateurs, plutôt que sur les banques.

Au tableau : quelques actions velléitaires, une Recommandation à valeur normative, concernant l’assurance emprunteur (la Recommandation ACPR 2017-R-01 du 26 juin 2017, contestée sans succès par les banques françaises : Conseil d'état, 413667 du 22 octobre 2018), un bien mou « avertissement » anonyme à une caisse régionale de banque coopérative... font évidemment bien peu pour créer le moindre commencement de contrainte conduisant les banques à respecter le Droit applicable. Toutes les pratiques décrites sont matérialisées dans les dossiers de crédit, accessibles lors des contrôles effectuées dans les banques.

Manifestement, contraindre les banques à protéger les consommateurs n’est pas encore en tête des priorités. D’ailleurs, il est notable d’observer que la protection des consommateurs ne figure aucunement dans le libellé qui désigne l’Autorité de contrôle bancaire. Il donc grand temps que l’action publique appuie le droit applicable d’actions concrètes de contrôle. Des sanctions exemplaires sont nécessaires pour rendre effectif le droit des consommateurs au libre choix de l’assurance-emprunteur.

Trois milliards d’euros a minima de surcoût de cotisations d’assurance-emprunteur sortent chaque année des poches des Consommateurs. Chaque consommateur peut économiser immédiatement des milliers d’euros. La diffusion, le 17 février 2020, de la lettre ouverte envoyée au Ministre de l’économie et des finances, à la demande d’Intermédiaires privés de voix par les banques, et qui refusent et s’opposent à leurs pratiques, propose une contribution au respect des droits des consommateurs. Le courrier est étayé par des extraits de contrats imposés par ces banques aux Intermédiaires depuis le 1er janvier 2020.

Lien : la lettre envoyée au Ministre de l’économie et des finances.

Trois propositions simples et concrètes pour mettre fin aux pratiques déloyales et anti-concurrentielles et pour rendre effective la liberté de choix des Consommateurs en assurance-emprunteur.

Trois mesures d’évidence peuvent rapidement faire enfin entrer le marché français de l’assurance-emprunteur dans l’équilibre juridique et concurrentiel paisible prévu par la Loi :

  • des sanctions financières effectives contre les établissements de crédit qui mettent en œuvre des pratiques déloyales et anti-concurrentielles en assurance-emprunteur,
  • la diffusion d’une « Recommandation » de la Banque de France/ACPR, consacrée aux relations entre banques et Intermédiaires bancaires, notamment avec les Courtiers en crédit immobilier, détaillée et rappelant notamment la liberté de choix des Consommateurs en assurance-emprunteur et le droit des Intermédiaires bancaires à faire instruire toutes les demandes de crédit auprès de toutes les banques, sans discrimination,
  • la mise en place d’un dispositif national de mobilité en assurance-emprunteur, facilitant le choix initial et la substitution d’assurance-emprunteur alternative à l’assurance souscrite initialement, confiés aux Intermédiaires d’assurance.

Chaque emprunteur titulaire d’une assurance-emprunteur peut et doit exiger l’accès libre à l’assurance-emprunteur la moins chère et la plus complète en garanties. La résiliation annuelle de l’assurance-emprunteur doit devenir un réflexe de bonne gestion patrimoniale. Il n’est que temps de passer à la défense active de la liberté de choix de l’assurance-emprunteur, essentielle à l’équilibre contractuel dans la consommation bancaire.

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Maître Laurent Denis pratique et enseigne le droit. Conjuguant expérience bancaire et exercice juridique, il contribue aux nouvelles formes d'activités bancaires et financières, spécialement dans les domaines des crédits et de l'intermédiation. Auteur de plusieurs ouvrages, dont, avec Bruno Rouleau, consultant, « Courtiers en crédits et IOBSP : défenseurs d’intérêts » (juin 2018), lequel dépeint la profession d’IOBSP, analyse la situation présente et ses perspectives, pour détailler concrètement les pistes d’amélioration de son efficacité au service de l’économie. Son site : www.endroit-avocat.fr.

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