La guerre Numericable/Bouygues pour reprendre SFR : quelles armes, combien de morts et qui se relèvera ?

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Par Armand Treman Modifié le 12 mars 2014 à 10h13

Les deux candidats au rachat de SFR ont finalement présenté leurs offres à Vivendi. Alors que, selon les analystes financiers, le scénario d’un rachat de SFR par Numericable paraît le plus probable, l’activisme de Bouygues Télécom pour reprendre SFR sème le doute. Qu’en est-il vraiment ?

C’est officiel depuis mercredi 5 mars. Vivendi a reçu deux offres de rachat, une de Numericable, candidat connu depuis plusieurs mois, une autre du groupe Bouygues. Reste désormais au groupe propriétaire de SFR à évaluer les propositions des deux entreprises en lice. Engagements financiers, nombre de parts cédées, importance de la valorisation et synergies, mais également impact sur l’emploi et sur le marché : les facteurs à prendre en compte par Vivendi sont nombreux et, à première vue, tendent à favoriser Numericable. Le groupe Bouygues, plus habitué des batailles politiques en rang serré (la culture des appels d’offres dans le bâtiment), pourrait cependant chercher à faire la différence en déployant des efforts de lobbying conséquent.

Numericable : complémentarité technologique et sociale avec SFR

Une valorisation de SFR à 15 milliards d’euros, 12 milliards d’euros de synergies espérées, 11 milliards d’euros de cash offert à Vivendi. Financièrement, l’offre du câblo-opérateur est alléchante pour Vincent Bolloré qui s’était offert Vodafone, composante de l’actuel SFR, pour seulement 8 milliards d’euros. Patrick Drahi, propriétaire de Numericable via sa holding Altice, propose de plus à Vivendi de garder 32 % des parts de SFR post-deal. Des titres qui représentent une liquidité immédiate et intéressante pour le groupe, Numericable étant cotée en bourse et faisant partie depuis peu du SBF 120 (les 120 capitalisations boursières les plus importantes).

Outre l’aspect financier, Numericable présente également l’avantage de ne posséder qu’un réseau fixe de fibre optique. Une fusion du câblo-opérateur avec SFR signifierait l’intégration de ce réseau câblé avec les réseaux 2G, 3G, 4G et ADSL de l’opérateur. Une tendance qui émerge en Europe ces temps-ci et qui permettrait à l’entité Numericable/SFR de proposer des offres quadruple play. Peu de doublons entre les deux entreprises, leur rapprochement n’impliquera donc qu’un nombre limité de licenciements et endiguerait tout problème de concurrence sur le marché des opérateurs. La société Numericable s’est d’ailleurs engagée à recruter des commerciaux et à conserver 2 400 emplois chez Numericable et 8 500 chez SFR, qui en compte aujourd’hui 9 000. Un scénario solide, cautionné par 8 banques, qui a 80 % de chances de se produire selon les analystes financiers du courtier Oddo Securities.

Bouygues : la stratégie du « quitte ou double »

Le groupe Bouygues pourrait cependant créer la surprise et se sortir du marasme financier dans lequel il se trouve depuis plusieurs mois. Depuis 2010, sa dette a doublé et atteint désormais 4,4 milliards d’euros. L’opérateur ne génère plus assez de cash pour financer le dividende, que Martin Bouygues refuse de diminuer bien que celui-ci absorbe chaque année plus d’un demi-milliard d’euros. Une fusion avec SFR constitue la dernière chance pour l’opérateur selon Martin Bouygues et l’homme d’affaires semble tenter le tout pour le tout.

10,5 milliards d’euros en cash, des synergies à 10 milliards d’euros et une valorisation de SFR à 14,5 milliards d’euros. Les arguments financiers de Bouygues, trop ambitieux pour être complètement crédibles et uniquement suivis par par HSBC contre toutes les autres banques de la place, ne sont pas à la hauteur de ceux de Numericable, mais restent tout à fait acceptables pour Vivendi qui pourrait privilégier un comportement « take money and run away » sans se préoccuper de la suite. Ce serait cependant un peu contradictoire avec une autre partie du « package », puisque Bouygues propose au groupe Bolloré de garder 46 % des parts de la nouvelle entité Bouygues/SFR. Celle-ci serait cependant cotée séparément du groupe Bouygues. La valeur des titres offerts à Vivendi reste donc pour le moment hypothétique tant que l’IPO de l’opérateur n’a pas été effectuée. Vivendi pourrait devoir attendre plusieurs mois avant de voir ces titres devenir liquides. Moody’s venant de baisser la note de Bouygues, cette inconnue pourrait refroidir les propriétaires actuels de SFR.

Du côté de l’impact sur l’emploi, cette candidature paraît cependant problématique pour le gouvernement. Les deux opérateurs disposent des mêmes réseaux, 2G, 3G, 4G et ADSL. Le scénario d’une fusion Bouygues/SFR implique le relevé industriel d’un grand nombre de doublons et qui dit doublons, dit plan social. 9 000 postes administratifs et commerciaux seraient en danger, des postes où les profils RH sont difficilement recasables ailleurs qui plus est. Des conséquences néfastes sur l’emploi que Martin Bouygues propose d’éviter en vendant ses réseaux à Free. Une offre qui paraît intelligente au premier abord, mais qui n’est pas non plus sans conséquence.

De nombreuses boutiques sont encore en danger, Bouygues/SFR n’ayant aucun intérêt à posséder plusieurs boutiques dans les mêmes rues marchandes, comme on le voit souvent aujourd’hui. Bouygues Télécom et SFR ne possèdent, de plus, pas les mêmes fournisseurs actuellement. Une fusion des deux opérateurs demanderait aux opérateurs de faire un choix entre chaque fournisseur. Une décision qui mettrait, selon les spécialistes qui se sont exprimés dans la presse, 10 000 emplois en péril. Enfin, réunir sur le même réseau (celui de SFR), la totalité des abonnés de Bouygues Télécom et de SFR pourrait mettre en péril la qualité de services comme le précise l’UFC-Que Choisir qui met en garde les consommateurs.

Petits arrangements entre amis

Au-delà de toute considération liée au montage financier du rachat, une victoire de Bouygues apparaît comme peu probable pour les analystes financiers avant tout pour une question de respect du principe de concurrence. L’entité créée par la fusion Bouygues/SFR capitaliserait en effet plus de 50 % du marché des opérateurs mobiles et impliquerait un retour du marché des télécoms français à seulement trois acteurs au lieu de quatre. Un scénario qui pourrait ne pas plaire ni à l’Autorité de la concurrence ni à l’Arcep. Un retour à 3 opérateurs a déjà été observé en Autriche et les prix ont augmenté en seulement un trimestre de 18,7 % pour certains forfaits. Ainsi, même si Vivendi venait à préférer l’offre de Bouygues à celle de Numericable, rien n’empêcherait les deux institutions d’annuler l’opération pour sauvegarder un marché sain et équitable.

Toutefois, l’arme fatale de Bouygues, c’est TF1. Comme l’écrivait Le Monde jeudi 6 mars, « les relations entre les socialistes et TF1 sont au beau fixe ». Pour choyer les ministres, de Montebourg à Ayrault, et adoucir certains points de vue politiques qui pourraient aller contre les intérêts de Bouygues, Martin Bouygues « les traite bien » sur la première chaîne française. Une stratégie qui déplait dans les couloirs des concurrents, en premier lieu Free et Xavier Niel, propriétaire du journal Le Monde (heureux hasard), et Patrick Drahi, le propriétaire de Numericable qui refuse de perdre cette bataille sur des critères non économiques, conscient que sont offre est la plus créatrice de valeur. La guerre des tranchées est déclarée. À quand l’armistice ?

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Armand Treman est titulaire d'un master en science politique et actuellement doctorant en sciences de l'information et de la communication.

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