Chine-Etats-Unis : est-ce qu’à chaque jour ne suffit pas sa peine ?

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Par Hervé Goulletquer Modifié le 11 janvier 2019 à 11h02
Chine Etats Unis Commerce

Le premier round de discussions commerciales sino-américaines apparaît plutôt constructif. Il n’empêche que la « route devant » se dessine longue et compliquée.

Prudence sur les marchés des capitaux

Les marchés de capitaux réagissent avec une certaine prudence à la conclusion de l’étape intermédiaire des discussions commerciales entre la Chine et les Etats-Unis. En fait, les investisseurs et les opérateurs perçoivent la volonté de part et d’autre de faire avancer le dossier, mais s’interrogent sur la profondeur des progrès réalisés. Le débat peut sans doute être présenté de la façon suivante. D’un côté, le ralentissement de la croissance économique, perceptible dans chacun des deux pays, et les récents épisodes de nervosité boursière incitent les deux camps à « composer ». Tout ne sera-t-il pas encore plus compliqué dans un environnement dégradé en termes économiques et financiers ? D’où l’attention portée à l’engagement chinois d’acheter aux Etats-Unis des « montants substantiels » tant de produits agricoles et manufacturiers que d’énergie. De l’autre, juger de la volonté de compromis des protagonistes n’est pas un exercice aisé.

Le vice-président chinois Wang Qishan ne vient-il pas d’affirmer que le régime « maintient le cap » en termes de ligne politique, tout en reconnaissant l’importance à donner à la coordination, la coopération et la stabilité ? Comment ne pas être tenté de comprendre que les objectifs demeurent, mais que les moyens à mettre en œuvre pour les atteindre sont adaptables, au titre d’une nécessaire prise en compte des « contraintes » imposées par l’environnement. Les négociateurs américains, pour leur part, paraissent se contenter de noter les avancées proposées par Pékin, au regard de leurs exigences, et d’insister sur la nécessité de mettre en place les moyens de suivre les évolutions décidées. En sachant que les thèmes de première importance pour Washington, que sont la propriété intellectuelle et les transferts de technologie, ne paraissent pas avoir enregistré de progrès significatifs.

Le scénario du pire évité

On en serait là ; le scénario du pire (celui de la guerre commerciale ouverte) est évité, au moins pour le moment. Est-ce pour autant que l’avenir est balisé clairement ; ce qui permettrait de conclure que les perspectives deviennent plus encourageantes ? On ne peut pas répondre positivement à cette question. Avant tout au titre du choix, semble-t-il fait par les Américains, de mettre en avant des considérations tactiques. En sachant que la position des autorités de Pékin serait de trouver le bon équilibre entre donc « maintenir le cap » et répondre aux pressions en provenance de Washington.

Que peut-on dire alors de la synthèse à réaliser au sein de l’Administration Trump entre aspects stratégiques et dimension davantage tactique ? On sait que trois "visions" cohabitent à la Maison Blanche. La première, défendue par Mnuchin et Kudlow (le secrétaire au Trésor et le conseiller économique) insiste sur l’ouverture du marché chinois et le rééquilibrage des comptes extérieurs bilatéraux. La seconde, celle de Lighthizer, le représentant pour les négociations commerciales, pointe la nécessité de distendre les liens économiques avec la Chine, pays aux ambitions prédatrices. La troisième, défendue par le conseil à la sécurité nationale (sous la responsabilité de Bolton), met en avant l’ardente obligation d’empêcher la Chine de combler ses retards par rapport aux Etats-Unis en matière technologique, économique et de capacités militaires.

Traditionnellement, le Président Trump avait une préférence pour les vues plus dures de Lighthizer et de Bolton. Il apparaît pourtant que les récents doutes sur la dynamique de l’économie américaine et les épisodes de stress de marché l’ont incité à se rapprocher de ligne Mnuchin – Kudlow. Juste un peu ou plus complètement ? Evidemment, on ne sait pas dire. Il apparaît toutefois que cette « nouvelle donne » économique et financière est prise en compte dans les plans dressés au sein de la Maison Blanche. On devine que la perspective de la campagne électorale en vue d’un deuxième mandat présidentiel est déjà au centre des préoccupations. Eu égard à une certaine réserve de l’opinion publique américaine par rapport à son Président (une cote de popularité autour de 40%), il est impératif que l’environnement économique et financier soit porteur. Et ceci afin de maximiser les chances de succès. Puisque les tensions commerciales sont analysées comme une des raisons principales aux doutes apparus dans les milieux d’affaires et financiers, il faut donc s’employer à les faire baisser.

Une incertitude qui risque de durer

CQFD, est-on tenté de dire. Mais, si l’approche analytique est la bonne, comment comprendre la réaction prudente des marchés ? Plusieurs lectures sont sans doute possibles. Premièrement, les investisseurs avaient intégré ces derniers jours l’hypothèse d’une conclusion plutôt constructive de ce « rendez-vous ». Deuxièmement, il y a peut-être une prise de conscience des dimensions « spatiales et temporelles » de débats. Spatiales, car à côté des aspects commerciaux, il va falloir à prendre en compte les angles économiques et géopolitiques ; temporelles, car trouver un terrain d’entente entre la Chine et les Etats-Unis va demander du temps, probablement beaucoup de temps.

Comment ne pas donc admettre qu’il y aura forcément des hauts et des bas et que l’incertitude sur ce dossier est là pour durer ? Aujourd’hui, les deux camps ont un intérêt commun à progresser dans la voie des négociations. Combien de temps ce qui apparaît pour les marchés une fenêtre d’opportunité va-t-il rester en place ? Quels sont les éléments à suivre pour anticiper un éventuel changement de climat dans les rapports entre les deux pays ? On ne sait pas bien répondre aujourd’hui à ces questions. De quoi peut-être justifier une certaine distance par rapport à l'évènement.

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Hervé Goulletquer est stratégiste de la Direction de la gestion de La Banque Postale Asset Management depuis 2014. Ses champs d’expertises couvrent l’économie mondiale, les marchés de capitaux et l’arbitrage entre classe d’actifs. Il produit une recherche quotidienne et hebdomadaire, et communique sur ces thèmes auprès des investisseurs français et internationaux. Après des débuts chez Framatome, il a effectué toute sa carrière dans le secteur financier. Il était en dernier poste responsable mondial de la recherche marchés du Crédit Agricole CIB, où il gérait et animait un réseau d’une trentaine d’économistes et de stratégistes situés à Londres, Paris, New York, Hong Kong et Tokyo. Il est titulaire d’une maîtrise d’économétrie, d’un DEA de conjoncture et politique économique et diplômé de l’Institut d’Administration des Entreprises de Paris.

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