The times they are a changin’

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Par Hervé Goulletquer Publié le 6 juillet 2020 à 14h16
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11%Bercy table sur une récession en France de 11% en 2020.

Le coronavirus n'est toujours pas sous contrôle au niveau mondial. Et le marché de considérer que la politique économique devra être davantage actionnée. D'où ce matin des bourses asiatiques en nette hausse. Plus d'initiatives, sans doute ; mais de quelle nature et avec quelles implications sur l'environnement des marchés de capitaux ? C'est à ce niveau qu'il faut sans doute s'intéresser au changement de gouvernement en France.

L'épidémie de COVID-19 reste solidement implantée dans le paysage mondial. Depuis le début du mois de juillet, le nombre de nouveaux cas tourne autour de 200 000 par jour. Il y a un mois, on était à moins de 150 000. Le caractère aigu de la maladie dans les Amériques paraît donner du sens à l'idée que celle-ci est en train de finir son tour du monde, commencé en Chine au cours de l'hiver dernier. Mais la nette accélération en Inde pourrait être plus que l'« exception qui confirme la règle ». Bref, la situation d'ensemble reste peu lisible, voire préoccupante. En sachant que les difficultés, que les Etats-Unis continuent de rencontrer, empêchent les marchés de capitaux de regarder ailleurs.

Ce matin, le regard porté par la communauté financière sur son environnement induit un comportement « preneur de risque ». En Asie, les principaux indices boursiers sont significativement à la hausse, sur fond d'augmentation des taux longs américains. Pourquoi cela ? Du fait d'anticipations d'inévitables nouvelles initiatives de politique économique, dans le but de soutenir l'activité. Le contexte de taux d'intérêt fondamentalement bas et de liquidités toujours amples ne serait pas près de se transformer.

Que les pouvoirs publics continuent de s'inscrire dans l'interventionnisme ; dont acte. Que celui-ci puisse demain être plus marqué ; possible. Qu'il prenne systématiquement une forme in fine favorable aux marchés de capitaux ; pas certain. C'est à ce niveau qu'il faut s'intéresser aux évènements politiques français du moment.

La France a un nouveau Premier ministre ; péripétie ou signe d'un changement plus profond ? Je plaiderais plutôt pour la deuxième hypothèse et le marché doit alors en prendre note. Voici les raisons.

1. Le changement de gouvernement s'inscrit dans le cadre d'une crise de santé publique inédite, au moins au cours des décennies récentes. Celle-ci vient questionner l'arbitrage entre économie et santé, cher aux économistes libéraux et qui conduit au concept de valeur de la vie humaine, révélée par nos choix. Juste pour information, France Stratégie l'avait estimé en 2013 à 3 millions d'euros. Le montant est censé évoluer au gré du PIB par tête.
Comment ne pas voir que l'approche a été remise en cause par l'expérience du COVID-19 ? Toutes les initiatives de politique publique, prises ici où là autour du globe vont dans le sens d'une absence de valorisation monétaire de la vie humaine. Le constat remet au premier plan la vérité d'évidence que tout ne s'achète pas et que donc il y a des limites à la logique du marché.

2. Jean Castex, notre nouveau Premier ministre se réclame du gaullisme social. Le point d'ancrage de l'approche est la participation ; c'est-à-dire la possibilité pour les salariés d'une entreprise d'être partie prenante au partage des profits réalisés. La détermination du revenu du travail n'est pas qu'affaire d'équilibre entre l'offre et la demande sur le marché du travail.

3. J'ai été frappé par une expression employée par le Premier ministre lors de son interview à la télévision vendredi-soir : « l'autorité gardienne des libertés fondamentales ». Elle a fait écho chez moi au débat des premières décennies du XXème siècle sur l'efficacité de l'action de l'Etat, comme garante d'une Société à même de se développer de façon à la fois efficace et autonome. Débat qui a influencé des personnages importants de la deuxième moitié du même siècle, qu'il s'agisse de Charles de Gaulle ou de François Mitterrand.

Fort de ces débuts de piste, j'ai envie d'aller plus loin que les remarques de bon sens sur une politique française qui va vraisemblablement être caractérisée par deux grands axes, l'Europe et l'environnement, et qui va privilégier la méthode du dialogue social. J'ai l'impression que les plus hautes autorités de l'Etat considèrent qu'en ce moment charnière (une crise épidémique, une économie à faire redémarrer, un mécontentement social, un environnement international instable et une transition environnementale à mener avec succès) se contenter de prendre en compte les signaux envoyés par le marché et les corriger si besoin n'est pas la bonne méthode. Il faut organiser au niveau de la Nation, et sans doute à celui de l'Europe (le non-dit du moment présent ; il ne devrait pas durer), les réflexions, les méthodes et les actions pour trouver la porte de sortie par le haut des difficult és actue lles.

Dire cela revient à faire référence à trois moments de l'histoire : la crise des années 30 et les réflexions pour imaginer une intervention différente de l'Etat (la référence peut être pour la France le groupe de réflexion X Crise), la première moitié des années 40 et la planification de l'effort de guerre par les Etats-Unis et l'expérience française, tout au long des décennies suivantes, du Commissariat au Plan. Ce n'est peut-être pas tout à fait par hasard si France Stratégie, a publié le mois dernier une réflexion sur ce sujet (La planification, idée d'hier ou piste pour demain ? https://www.strategie.gouv.fr/point-de-vue/planific ation-id ee-dhier-piste-demain). L'analyse part du constat que « l'action publique, telle qu'elle est aujourd'hui conçue et mise en œuvre, se passe d'un plan d'ensemble qui intégrerait la totalité des enjeux et des dimensions ». A l'heure actuelle, « elle mise plutôt sur des outils de programmation thématiques, reliés entre eux par un cadre général centré sur les enjeux budgétaires, et sur la régulation plus ou moins rigide des initiatives privées ». L'approche répond-elle aux enjeux du moment ? Sans doute pas. Pourquoi alors ne pas considérer que la nomination de Jean Castex à Matignon répond à un changement de méthode, imposé par les évolutions en cours ?

J'ai insisté au cours des dernières semaines sur la nécessité de se ré-intéresser aux années 60 (le volontarisme de politique économique aux Etats-Unis et les implications en matière d'inflation mondiale) et j'ai pointé le dernier rapport annuel de la BRI, qui discute de la possibilité d'un retour à une régulation économique du type des décennies d'après la deuxième guerre mondiale. Aujourd'hui, il y a peut-être à faire un pas de plus dans la direction d'un environnement de marché qui pourrait changer : vers une économie qu'on veut plus stable, à défaut d'être plus efficace.

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Hervé Goulletquer est stratégiste de la Direction de la gestion de La Banque Postale Asset Management depuis 2014. Ses champs d’expertises couvrent l’économie mondiale, les marchés de capitaux et l’arbitrage entre classe d’actifs. Il produit une recherche quotidienne et hebdomadaire, et communique sur ces thèmes auprès des investisseurs français et internationaux. Après des débuts chez Framatome, il a effectué toute sa carrière dans le secteur financier. Il était en dernier poste responsable mondial de la recherche marchés du Crédit Agricole CIB, où il gérait et animait un réseau d’une trentaine d’économistes et de stratégistes situés à Londres, Paris, New York, Hong Kong et Tokyo. Il est titulaire d’une maîtrise d’économétrie, d’un DEA de conjoncture et politique économique et diplômé de l’Institut d’Administration des Entreprises de Paris.

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