Roland Goigoux l'avait promis: son étude «Lire et écrire», financée par le ministère de l'Education nationale «couperait court aux affirmations péremptoires des polémistes de tout poil» et «éteindrait la guerre des méthodes». Voilà que ces nobles ambitions accouchent aujourd'hui, hélas, de conclusions bien couardes.
Sans même se pencher sur le fond, la forme de l'étude laisse déjà perplexe… Le ton est rapidement donné: «la recherche que nous conduisons se situe dans un autre paradigme de recherche, complémentaire au premier et qui permet, lui aussi, d'identifier des relations causales. Il s'agit d'un paradigme écologique dans lequel on postule qu'il est possible de comparer le fonctionnement d'une gamme diversifiée de pratiques d'enseignement et «d'apprendre de la variété» ainsi décrite». Sans commentaire.
Le problème vient par ailleurs de ce que ce rapport tente de donner un crédit scientifique à une méthodologie d'investigation qui elle ne l'est pas vraiment. Quatre types de méthodes pédagogiques sont comparées: les approches dites intégratives, phoniques, syllabiques et quasi globales. Mais le nombre de «variables qualitatives» étudiées est si important qu'au final, tout se tient et rien n'est déterminant en soi. Exit un véritable travail scientifique sur les corrélations méthode-cerveau. Place au ressenti, au caractère de l'enseignant (sic), au climat de la classe, et aux modes de regroupements des élèves…
Cette étude a été menée non sur une année scolaire, mais en réalité sur 3 semaines dans l'année «une par trimestre». Les items étudiés sont certes réels et tangibles. Mais comment ne pas contester un procédé qui recherche non la méthode la plus efficace en soi, mais à «identifier les éléments des pratiques enseignantes qui concourent à réduire les inégalités d'apprentissage entre élèves»? Le glissement de la sphère scientifique à la sphère idéologique n'est pas de nature à rassurer le lecteur. En d'autres termes, cette étude, si elle se fait plaisir à elle-même, oublie un paramètre essentiel, qui lui ne triche ni ne ment: le niveau de nos élèves qui baisse inexorablement chaque année. Les pompiers auront beau continuer à analyser la nature, la couleur, la force du feu, pendant ce temps-là, la maison continue de brûler.
Venons-en maintenant aux conclusions des travaux menés par Monsieur Goigoux: d'après les premiers éléments dont nous bénéficions, il valide l'importance… du déchiffrage. Seulement voilà: il était trop douloureux de donner raison aux défenseurs de la méthode syllabique, et plus douloureux encore de reconnaître que l'on s'est trompé depuis plus de vingt ans et que l'on a condamné plusieurs milliers d'écoliers à l'illettrisme par pur dogmatisme. Il convenait donc de noyer un peu le poisson: tout en reconnaissant l'importance du déchiffrage, l'étude refuse d'affirmer la supériorité d'une méthode sur une autre, sous prétexte qu'il ne «suffit pas de déchiffrer un texte pour le comprendre». En bref: Roland Goigoux a le verdict en main mais refuse de le prononcer.
En réalité, le seul moyen de sortir de cette «guerre» serait de la désidéologiser, en s'en remettant aux conclusions des sciences objectives. Celles-ci ont déjà tranché, sans surprise, en faveur du déchiffrage et des méthodes syllabiques. Les Anglais l'ont bien compris, qui ont mis en place en 2011 un test de déchiffrage passé par tous les élèves des écoles publiques en fin de la première année de primaire: l'évolution des pratiques pédagogiques qui s'ensuivit en faveur des synthetics phonics (méthodes exclusivement syllabiques) d'une part, l'émulation créée par la publication transparente des résultats de chaque établissement d'autre part, ont conduit à une résorption spectaculaire de l'illettrisme et à un accroissement significatif des performances de lecture. Qu'attend-on pour appliquer à nos élèves les méthodes qui marchent? Le temps presse: cette année encore, la couardise et le dogmatisme condamneront à l'échec 20% de nos écoliers.