France Brevets est-elle au service de l’innovation ?

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Par Vincent Mauricard Modifié le 29 novembre 2022 à 10h10

Comme à chaque crise économique, c’est par l’innovation et la capacité d’entreprendre de ses entreprises que la France renouera avec la croissance. Dès lors, le rôle des pouvoirs publics est de garantir un environnement juridique et fiscal qui ne freine pas les initiatives et la créativité des entrepreneurs. De ce constat, fut créée notamment le fonds d’investissement en propriété industrielle France Brevets, en mars 2011. Mais les problèmes liés à l’innovation peuvent-ils être réglés par l’interventionnisme étatique ?

Détenue à parité par l’Etat et la Caisse des dépôts, France Brevets est une société par actions simplifiée (SAS) qui rachète des brevets et tente de faire fructifier l'investissement au travers d'un régime de licences collectives de propriété intellectuelle. Ses secteurs d’intervention sont limités : les Technologies de l’Information et de la Communication, l’Aéronautique et l’Espace, les Energies Nouvelles, la Chimie, les Matériaux, les Sciences du Vivant et l’Environnement.

L’idée de départ est plutôt bonne : valoriser l’innovation en facilitant la coopération des opérateurs sur le marché des brevets.

Toutefois, les règles de fonctionnement de France Brevets risquent de créer l’effet inverse.

En effet, France Brevets est officiellement un "Patent Pools". Elle achète des droits de licence de brevets, les regroupe au sein d’une grappe (pool) et constitue ainsi un point de passage obligatoire pour toutes les entreprises innovantes d’un secteur. De fait, il existe un risque de bloquer l’innovation des petites entreprises qui n’ont pas les moyens d’acheter des brevets par grappe. Par ailleurs, des brevets peuvent être agrégés, obligeant les fabricants à acheter des licences pour des packs de brevets dont certains n’ont pas de rapport avec les techniques qu’ils exploitent. Pis, des brevets peuvent être déposés et agrégés par des entreprises d’un secteur très précis, sans être exploités. Toute entreprise voulant innover dans ce secteur prend le risque d’être attaquée pour contrefaçon de brevets, si elle ne paye pas. Bien souvent, les procès sont longs et couteux ; et portent atteinte à l’image de l’entreprise poursuivie.

Un premier contentieux a d’ailleurs été ouvert en décembre 2013. France Brevets a annoncé attaquer les fabricants de téléphones LG et HTC pour contrefaçon de brevets portant sur les technologies de communication sans contact (NFC). La démarche n’a pas surpris les spécialistes de la propriété intellectuelle, qui s’interrogent sur les missions réelles de France Brevets.

En fonctionnant comme un fonds d’investissement souverain doté d’un budget de 100 millions d’euros, France Brevets peut-elle exercer une mission de service publique non lucrative ? Non. Car selon la Convention du 2 septembre 2010 conclue entre l’Etat, l’Agence nationale de la recherche et la Caisse des dépôts et consignations relative au programme d'investissements d’avenir, France Brevets a un objectif de rentabilité avec un taux de retour sur investissement de 8%. La monétisation des droits d’exploitation des brevets est en contraction avec les principes qui régissent la protection des brevets. Par exception au principe de liberté d’exploitation et d’entreprendre, le droit des brevets réserve un monopole d’exploitation, en récompense de l’effort inventif. Ce monopole est légalement encadré, strictement limité à l’activité inventive, pour une durée limitée et subordonné à une exploitation effective.

Une société de droit privée, alimentée par des fonds publics, en situation de monopole sur le marché des brevets fausse inévitablement la concurrence entre les entreprises innovantes. Il est donc indispensable de redéfinir les missions de France Brevets. Elle doit agir en régulateur et favoriser l’accès de nouveaux entrants sur le marché des brevets. La protection de la propriété intellectuelle ne doit pas désavantager les concurrents ou faciliter les collusions et les ententes. France Brevets doit également vérifier que les brevets déposés sont valides et exploités, afin d’éviter la constitution de bulles spéculatives sur une technologie.

Si ces mesures ne sont pas prises, France Brevets se contentera d’encaisser des royalties et de mutualiser les éventuelles actions en justice, au détriment de l’innovation de jeunes start-up. Que deviendront alors les considérations d’intérêt général qui ont présidé à sa création ?

Dans un contexte économique encore fragile, notamment dans le secteur des nouvelles technologies, l’activité de France Brevets pourrait donc s’avérer plus dissuasive qu’encourageante pour les entreprises.

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Juriste et Chargé de mission à la Communauté urbaine de Bordeaux sur la thématique de France Brevets.  

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