La nouvelle douteuse attire positivement : elle confirme un biais idéologique, elle est gratifiante (il est prestigieux d’être parmi les premiers à savoir et faire savoir) ; elle renforce la solidarité entre ceux qui partagent les mêmes convictions (et dont, en retour, l’approbation renforce la crédibilité du fake). Mais elle s’impose aussi négativement : par le contraste qu’elle offre avec la vérité dite officielle ou dominante. Non seulement l’internaute coproducteur et diffuseur est persuadé d’être du côté de la vérité mais surtout de la vérité étouffée.
La révélation met en lumière ce qui était jusque-là ignoré ou caché. C’est de la lutte contre le secret que se réclame le faux ou le douteux. Elle suppose rupture d'une contrainte (quelqu'un empêchait de publier un fait ou un document) ou au minimum la fin d'une cécité, qui aurait pu être délibérée : comment avait-on pu ignorer que... Rupture implique violence au moins symbolique (viol de l'omerta).
Bien entendu, les media « classiques » comme le Canard Enchaîné mettent encore en lumière des scandales « à l'ancienne », mais il y a quand même dans les media 2.0 une prédisposition à déconstruire la version « officielle ». C’est, pour une part, un problème de vases communicants. La confiance ou le temps de cerveau humain accordés aux réseaux sociaux sont perdus pour les media « classiques », autorités politiques ou techniques, pour les journalistes « professionnels », experts, etc. Ils le sont d’autant plus que la somme d’information disponible est énorme et que l’attention tend à privilégier ce qui vient du proche et du semblable.
Mais la lutte de pouvoir change. Traditionnellement, l’exerçait celui qui décidait du secret (le secret d’État qu’il conservait, ce qu’il était permis de savoir et de dire) et qui énonçait ce qu’il fallait croire. La réceptivité à l’information alternative n’est plus seulement une compensation (rumeurs, secrets imaginaires, explications bricolées…), c’est une contre-croyance et un contre-secret. La défiance à l’égard de l’information « officielle » présuppose qu’elle soit là pour nous ahurir et pour occulter une réalité bien plus inquiétante en général. Mais aussi sur le fait qu’elle nous est proposée à égalité avec d’autres versions.
Car le nouveau croyant/incroyant est à la fois un grand sceptique et un grand naïf. Il ne peut admettre les bruits les plus fous sur le compte secret de Machin ou les privilèges de Truc, que s'il est solidement persuadé que les media et les élites lui mentent et s’il postule qu'il y a « les » élites et « les » media. Bref le doute est ici un moment du faux : il rend réceptif à l'explication « alternative » celui qui croit résister aux pressions du système.
Un de leurs arguments les plus courants est simplement : le roi est nu, regardez. On demande au public de constater ou de faire appel à son expérience personnelle, comme lorsque Marine le Pen déclare que, contrairement aux statistiques officielles sur la proportion de femmes parmi les migrants réfugiés, il lui semble surtout voir des hommes jeunes, qui pourraient rester dans leur pays pour combattre : évidence contre chiffres.
Ceci est un extrait du livre « Fake news » écrit par François-Bernard Huyghe paru aux Éditions VA Press. (ISBN-13: 979-1093240572). Prix : 14 euros.
Reproduit ici grâce à l'aimable autorisation de l'auteur et des Éditions VA Press.