Quand deux entreprises publient les bans de leur mariage, elles font en général fièrement valoir leurs synergies, et leur union semble promise à un avenir radieux. Malheureusement, la réalité des bénéfices se révèle rarement aussi formidable qu’annoncée.
En matière de fusion d’organisations, investisseurs, salariés et clients constatent souvent qu’il y a loin de la coupe aux lèvres. Si on ne les a pas anticipées, les frictions qui peuvent naître des incompréhensions mutuelles peuvent suffire à faire dérailler une association qui semblait idéale sur le papier, et deux rapprochements sur trois n’atteignent pas les objectifs escomptés pour des raisons culturelles et humaines.
Quand deux entités fusionnent, il faut prendre conscience de part et d’autre de ce que l’on nomme les « contrats invisibles ». Il s’agit de toutes les règles tacites, forgées au fil du temps, qui structurent la relation d’une organisation à ses membres. De la même façon que l’image de marque constitue une promesse implicite pour les clients, les contrats invisibles définissent, au-delà du contrat de travail, tout ce que les collaborateurs attendent de l’entreprise en échange de leur investissement : prestige, savoir, richesses, sécurité, un sentiment d’utilité, le respect de certaines valeurs...
Identifier les contrats invisibles, c’est comprendre d’une part, ce qui motive les salariés et les rattache à l’entreprise, et d’autre part ce que l’entreprise attend d’eux. Les ignorer ou les briser, c’est courir de graves risques de démobilisation, de désengagement, et même de rejet. Or avec son changement de dimension, de stratégie, de direction, une fusion constitue un bouleversement majeur qui remet forcément en cause certains de ces contrats. Créer la nouvelle culture commune, avec les contrats invisibles qui la caractérise, va donc nécessiter un accompagnement pour avancer en évitant les faux-pas. C’est une tâche longue et délicate, qui prend au minimum quelques années… quand elle réussit. Dans combien de grands groupes dit-on, des années après les acquisitions qui les ont façonnés, qu’untel ou untel est un ancien ceci ou un ex-cela ?
À la veille de leur fusion effective, les régions françaises vont très exactement faire face à ce défi. Ce sont de vastes organisations, d’importances souvent équivalentes, mais dotées de leur culture propre, qu’il va donc falloir s’atteler à décrypter si l’on veut éviter de graves désillusions. Quels sont les comportements managériaux ? Comment se passe la prise de décision ? Y a-t-il des « vaches sacrées » pour les collaborateurs ? De cette analyse, puis des arbitrages qui en découleront, naîtra peu à peu la culture d’une entité qui sera de moins en moins perçue comme une addition, mais comme un tout. Prendre connaissance des contrats invisibles des deux entités qui fusionnent, de leurs proximités/ différences culturelles, c’est déjà faire 50% du voyage d’une bonne intégration culturelle.
Dans ce contexte, la réindustrialisation est un thème porteur, fédérateur et tourné vers l’avenir qui peut constituer un excellent catalyseur. Aucun territoire ne saurait s’en désintéresser et les régions ont un rôle clé à jouer dans la mise en œuvre de ce grand dessein national. Alliant force et proximité, les régions sont les moteurs qui peuvent aider à créer, par exemple via des démarches de type «Agilité Confiance », des dynamiques, des coopérations, des passerelles entre les donneurs d’ordre et leurs fournisseurs, entre les acteurs traditionnels et les start-up, entre le monde de l’entreprise et celui de la recherche. La région peut être le chef de file capable de transformer une galaxie d’acteurs isolés en un écosystème où l’ouverture et la collaboration peuvent faire surgir des gisements colossaux d’innovation et de performance. Un tel projet – en lui-même un autre défi culturel – peut permettre de transcender et d’oublier les anciennes frontières pour construire, ensemble, la nouvelle culture du territoire.