Savoir ce que l’on est, savoir ce que l’on veut

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Par Michel Destot Modifié le 29 novembre 2022 à 10h08

La tenue d'Etats généraux des socialistes doit nous donner le devoir de dire clairement ce qu'est aujourd'hui le Parti socialiste, le projet qu'il porte, et ce qu'il propose aujourd'hui, alors qu'il a la principale responsabilité du pouvoir. Ce n'est pas une tâche aisée tant les difficultés que connaît le pays créent un climat de scepticisme et de défiance. Mais ce n'est pas parce qu'une situation est compliquée qu'il ne faut pas avoir des idées claires et qu'il faut se réfugier dans des concepts flous. Les problèmes économiques de la France, avec l'affaiblissement de la compétitivité de nombre de ses entreprises depuis une dizaine d'années, et la panne de croissance que connaît l'Union européenne, expliquent que les gouvernements fassent des choix qui n'avaient pas été débattus durant l'élection présidentielle de 2012 – même si l'impératif du redressement avait été explicité – et qui sont discutés. Et tenir compte des réalités est une nécessité lorsqu'on a en charge les responsabilités d'un pays.

L'urgence du moment est de définir les conditions qui permettraient aux socialistes de trouver un nouvel élan et de renouer les fils de la confiance. Il faut, pour cela, dire nettement ce que nous sommes et ce que nous voulons. Ces deux objectifs doivent être assumés ensemble. Les Français veulent certes des réponses pour leur vie quotidienne et n'attendent pas une doctrine. Mais il n'y a pas d'action politique réussie qui ne s'inscrive pas dans un grand dessein.

Une part de nos problèmes actuels tient à ce que nous n'avons que partiellement tiré les conséquences du siècle écoulé et des transformations récentes survenues dans l'état du monde. Ce ne sont pas nos valeurs qui sont en cause. L'instabilité et la dangerosité du monde, les inégalités majeures entre les nations et les différents groupes sociaux, l'inégale répartition des richesses naturelles, les dangers écologiques continuent de justifier le message du socialisme démocratique, quelles que soient ses appellations, unissant le progrès économique à la justice sociale. Ce qui est en débat, c'est l'actualisation de la pensée socialiste.

Voici ce qui nous paraît l'essentiel à partager en peu de mots. Le socialisme demeure aujourd'hui comme hier, une philosophie de la liberté pour tous, d'une liberté réelle qui donne à chacun une capacité d'agir, donc la capacité politique et la capacité économique. Aujourd'hui, comme hier, le socialisme n'a de sens que s'il a une visée internationaliste et prend en compte les besoins de l'humanité et des générations à venir. La question sociale et la question environnementale ne peuvent être actuellement qu'une seule et même question.

Les leçons à tirer de l'histoire du XXème siècle doivent être clairement explicités. L'éthique doit être une valeur cardinale : la fin ne justifie pas les moyens, car la valeur morale de la fin se trouve aussi dans la valeur morale des moyens. Un socialisme qui ne serait pas moral, n'a pas de sens. Cela dénaturerait son ambition humaniste. On ne peut, donc, pas mettre un signe égal entre l'échec du communisme historique et les difficultés du socialisme démocratique. L'économie administrée n'est pas une alternative –le siècle écoulé l'a suffisamment démontré. Dans l'état actuel de nos sociétés, l'économie de marché demeure le meilleur mécanisme connu pour délivrer les informations et donner les stimulations nécessaires. Mais le capitalisme ne peut être laissé à lui-même, compte tenu de l'accroissement des inégalités sociales et des atteintes à la nature. « Le marché est un mauvais maitre, mais un bon serviteur », disaient déjà les sociaux-démocrates des années 1930 !

Concrètement, le capitalisme contemporain, devenu essentiellement financier, dans une économie de marché mondialisée, a tendance à prendre comme seul et unique critère d'efficacité, la « valeur créée pour les actionnaires » à l'exclusion de tout autre. Il en résulte un oubli du long terme et l'externalisation de tout ce qui peut l'être, en termes sociaux et environnementaux, dont le traitement est abandonné à la société. Cette situation est dangereuse et inacceptable. Le projet social-démocrate moderne, tout en conservant l'efficacité économique de marché, doit être de mettre en place les régulations nécessaires au niveau de l'entreprise, au niveau national, aux niveaux européen et mondial. Cela demande des actions, menées avec constance dans le temps, pour une réforme des prélèvements obligatoires favorisant le système productif, pour mettre en œuvre une conception de l'entreprise qui associe tous les partenaires dans un projet commun, pour activer une nouvelle politique industrielle corrigeant les insuffisances du marché, pour une politique de croissance dans l'Union européenne. La compétitivité n'est pas un gros mot : la reconquérir est un impératif pour une nation ouverte sur l'extérieur, dans une économie mondialisée. Pour autant, vouloir une économie forte peut aller de pair avec un système productif qui intègre les coûts sociaux et environnementaux aujourd'hui souvent rejetés à la charge de la société.

Les politiques de redistribution demeurent nécessaires. Il faut cependant tenir compte de la nature multiple des inégalités dans notre société et des revendications des individus à une réelle autonomie. Etre solidaire des chômeurs et lutter contre la pauvreté, suppose, pour les uns, d'installer de puissants moyens de formation et de garantie de revenu, pour les autres, la mise en place d'un impôt négatif. L'éducation, la santé, le logement, la sécurité professionnelle demandent d'investir dans les services publics rénovés. Les biens publics fondamentaux relèvent du service public – ce qui n'interdit pas d'utiliser les entreprises privées pour en assumer des réalisations à l'intérieur de cahiers des charges précis.

Cette conciliation suppose de remettre au cœur du projet socialiste le progrès, l'innovation, la recherche. Nous ne voulons pas d'un socialisme frileux, replié sur lui-même et en définitive conservateur.

Le projet socialiste ne concerne cependant pas que la production et la redistribution des richesses. Il a eu d'emblée l'ambition de désaliéner les hommes des contraintes diverses qui pèsent sur eux dans le travail, la vie sociale et culturelle. Conduire la transition écologique de nos sociétés demande de repenser nos cadres de travail et de vie. Il faut tisser de nouvelles formes de solidarité, qui tirent partie des capacités des individus. Nous entrons également dans de nouvelles formes de relations avec la politique. Cela suppose une démocratisation plus accomplie qui sache articuler la démocratie représentative et des formes de démocratie directe.

La mondialisation restera une donnée incontournable que les transformations technologiques l'entretiennent. Mais, ce qui est en question, c'est l'usage qui en est fait par les Etats. Pour aider à réguler le monde, il faut une base de puissance suffisante. Les socialistes doivent donc continuer à porter un projet européen, quelles que soient les difficultés actuelles et les oppositions politiques. Forger une vision politique, qui articule clairement ce qui doit être fait au niveau de la Nation et ce qui doit l'être au niveau européen, est une tâche prioritaire. Le projet de civilisation que nous portons aura sa véritable dimension dans et par l'unité européenne.

Ces orientations essentielles, nous essayons de les faire entrer dans la réalité avec des succès et des échecs. Des éléments ont été mis en œuvre pour les gouvernements depuis 2012. Mais leur cohérence n'apparaît pas encore suffisamment. La période qui s'ouvre doit être l'occasion pour le faire.

Beaucoup de chantiers ont été ouverts depuis l'élection de François Hollande à la Présidence de la République, et beaucoup de réformes engagées. Mais le temps court. Inexorablement. Il faut aujourd'hui répondre aux demandes du pays et se concentrer sur les sujets décisifs pour notre avenir. Deux ans et demi, c'est beaucoup et peu à la fois.

La première des exigences est le redressement de notre économie, dont la compétitivité ne cesse de se détériorer depuis 20 ans. Mais il y a aussi une impatience face au sentiment de la baisse du pouvoir d'achat malgré une inflation dans la zone euro historiquement faible. Cessons d'opposer les deux. Cette querelle n'a pas de sens. Sans une économie forte, des entreprises solides, pas d'emploi durable. Or, le chômage progresse encore et sans création dans le secteur marchand et le tiers secteur, le fléau continuera d'affecter durablement le pays. Comme si en réponse à un livre de Michel Rocard « l'inflation au cœur », c'est aujourd'hui le chômage que nous avons au cœur ! Il faut que l'Etat dans son rôle de stratège définisse les priorités et fixe le cap. Bien sûr des blocages apparaîtront mais le cap sera donné. On ne peut pas tergiverser et des décisions fortes et stables doivent être prises dans la clarté et dans la durée.

Comment faire adhérer ceux qui doutent et surtout ceux pour qui l'espoir s'est évanoui avec les galères, le chômage, l'usure du temps ? Pas en leur dissimulant la vérité : la route sera longue et souvent difficile ; leur mentir est ce qu'ils craignent le plus. Mais il faut aussi donner du sens à cet effort.

Comme après la seconde guerre mondiale, la France doit se relever et redessiner les contours de son économie. Nous n'avons pas vocation à continuer d'être déclassés en termes de compétitivité. La France est riche de talents. Laissons-les s'exprimer plutôt que les décourager. Cela passe par une refonte en profondeur de nos règles pour créer, produire, travailler.


Aujourd'hui, la France doit faire face à un triple enjeu :

Elle doit maintenir sa crédibilité sous peine de se voir attaquée au plan financier et voir ses taux d'intérêt augmenter, ce qui la ligoterait durablement, comme l'ont été l'Espagne, la Grèce ou le Portugal ;
Elle doit également recréer les conditions d'une croissance réelle, car c'est le seul véritable moyen de retrouver un équilibre budgétaire, comme le prouvent à la fois les analyses théoriques et toutes les analyses factuelles. La spirale de la déflation est la pire des choses pour atteindre les objectifs fixés par l'Europe ;
Elle doit enfin le faire dans la justice sociale, à la fois pour des raisons politiques évidentes, mais aussi parce que cette justice sociale est la condition même du redressement économique et financier de notre pays.

Concrètement, il faut trouver la capacité à relancer la machine économique sans faire dériver les comptes publics par rapport aux objectifs européens.

Ceci suppose un accord clair de la France pour maintenir sa propre rigueur budgétaire en matière de dépenses de fonctionnement mais en même temps un effort de l'Europe pour créer les conditions d'une véritable relance par l'investissement public sur des projets clairement européens, de type grands réseaux d'infrastructures ou relance de l'innovation (Europe 2020) et qui seul permettra de redonner confiance à la fois aux entreprises et à nos concitoyens... et aux marchés, comme le montre le cas américain.

Relancer la croissance, c'est aussi en France créer les conditions d'une meilleure compétitivité de nos entreprises. Cela suppose qu'un certain nombre de charges fiscales et sociales et de contraintes règlementaires qui pèsent sur elles et empêchent le rebond nécessaire soient allégées. Cela suppose aussi que des éléments essentiels de la « compétitivité hors-prix » comme le coût de l'énergie, l'accès au crédit, une formation professionnelle adaptée aux besoins, une relation PME-donneurs d'ordre rééquilibrée, permettent des avancées significatives, Cela suppose enfin une véritable négociation sociale qui ne soit pas simplement l'affirmation par l'un des partenaires (en l'occurrence, ici, le MEDEF) des exigences sans aucune contrepartie et sans volonté de véritable négociation.

La France doit sortir par le haut comme elle l'a déjà fait dans son histoire. De grandes questions se posent sur la compétitivité de notre pays et notamment sur ce qu'on appelle la compétitivité hors prix. Un effort de tous, Etat, entreprises, collectivités, pour mieux vendre la France à l'étranger est indispensable.

Cette croissance doit se faire dans la justice. Sans obérer en quoi que ce soit les comptes publics, des mesures simples peuvent montrer que la France a fait le choix d'une croissance dans la justice sociale. Pourquoi ne pas accompagner le pacte de responsabilité de la mise en place de taux différenciés d'impôts sur les bénéfices, selon qu'ils seront réinvestis dans l'entreprise ou distribués sous forme de dividende ? C'est la meilleure garantie que le CICE ne sera pas transformé en dividendes, ce que personne ne comprendrait ici. De la même façon, une vraie négociation sociale peut permettre de diminuer les cotisations patronales, qui pèsent trop sur le travail, vers la CSG tout en maintenant le salaire net des salariés. Cette opération qui s'assimile à celle réussie, en 1998, par le gouvernement de la gauche plurielle peut se refaire aujourd'hui ; mais elle suppose une négociation honnête et globale avec les partenaires sociaux puisqu'il s'agit de cotisations patronales.

Rien de cela n'est impossible, rien de cela ne contrarie nos objectifs de maintien de la crédibilité de la France, en Europe et sur les marchés financiers. Tout de cela peut permettre une croissance dynamique.

Le véritable enjeu pour notre pays est de donner à chacun un horizon et une direction clairs, et qu'à la suite de ce qui est déjà engagé, les trois piliers de la crédibilité, de la croissance et de la justice sociale soient mis en œuvre en même temps.

Agir en France c'est aussi agir en Europe.

Comment pourrions-nous renoncer à la construction de l'Europe ? Ce serait une formidable régression si nous cédions à l'hydre du nationalisme - comme si nous n'avions rien retenu de la funeste destinée de l'Europe alors que déflation, chômage, repli sur soi et boucs émissaires faisaient le lit du fascisme et du national-socialisme ;

Nous ne pouvons plus procrastiner : le moment est venu d'oser un pas de plus vers la fédération des Etats- nations. Les souverainistes en tout genre n'ont pas compris que seule l'Europe unie est capable d'avoir une voix qui compte dans les affaires du monde. Nous avons commencé par le plus dur, la monnaie ; il nous faut maintenant l'union budgétaire. Il nous faut aussi un contrôle de l'appareil bureaucratique de Bruxelles, le rééquilibrage de la politique de l'Union vers la croissance et l'emploi et la fin de la toute-puissance de la seule politique de la concurrence. Le citoyen n'est pas qu'un consommateur !

Nous devons veiller au fléchage des 300 milliards d'investissements supplémentaires affichés par la Commission au profit de politiques industrielles, de programmes d'infrastructures et d'énergie. Un effort majeur dans l'économie de la connaissance doit être poursuivi : la stratégie de Lisbonne est déjà loin et le monde bouge dans ce domaine plus que dans tout autre.

Le couple franco-allemand est en panne. La relance passe donc par l'intensification du dialogue au sein de la zone euro. Si tout le monde n'est pas disposé à plus d'intégration, avançons avec ceux qui le veulent.

La France n'est pas condamnée au déclin ; sa place et son rayonnement dépendent de l'achèvement du rêve européen !

La France n'est pas plus condamnée à vivre dans une organisation territoriale dite en « millefeuille ». Ce serait faire injure à cette célèbre pâtisserie que de penser qu'elle ne puisse pas être allégée !

Or c'est bien de cela qu'il s'agit. Nos collectivités entrecroisent les compétences et hélas les incohérences ; trop nombreuses, trop complexes. Illisibles pour le citoyen. Cet immense chantier piétine de rapports en annonces. Prenons garde à ce que trop d'hésitations et de variations dans le temps n'amènent à plus de complexité. Partons d'un constat économique et social plus que juridique. L'investissement public, source de croissance et d'emplois, est aujourd'hui généré par nos territoires ; plus de 70% de l'investissement public est le fait des collectivités territoriales. Les collectivités locales doivent contribuer à la maîtrise des dépenses publiques en comprimant leurs dépenses de fonctionnement. Mais la baisse notable des dotations de l'Etat dans les trois ans à venir risque de se traduire mécaniquement par une chute de l'investissement public, porteur de croissance et d'activité et donc malheureusement, par une augmentation du chômage en France.

Et puis, une grande partie de l'innovation est intimement liée à la décentralisation. C'est dans les territoires que se fait l'essentiel du maillage entre recherche et entreprise, que se forment les réseaux informels synonymes de progrès et de création de valeur. Mais regardons la réalité en face. Alors que le potentiel scientifique est important et que la région Ile de France avec sont l'une des toutes premières places mondiales de la recherche, nous peinons à valoriser économiquement ce potentiel considérable. Nous devons maintenant nous employer à rassembler les moyens humains, juridiques et financiers de tous ordres au niveau de chaque région revisitée pour les rendre comparables à leurs concurrentes européennes. L'heure n'est pas à la nostalgie historique mais à l'audace d'entreprendre. C'est ce qui doit nous guider dans le nécessaire regroupement que le gouvernement a entrepris.

On ne peut continuer de raisonner en fief mais en centre de création de richesse. Le langage est aussi signe soit de nostalgie soit de modernité !

La France peut beaucoup, en Europe et dans le monde. Elle doit oser. Nous ne devons plus nous dérober, notre égoïsme signerait un arrêt de mort, nous devons penser à frais nouveaux.

Le socialisme, c'est l'espoir, pas le fatalisme.

Edwige Avice
Alain Bergounioux
Jean Cottave
Dominique de Combles de Nayves
Philippe Desgouttes
Michel Destot
Sébastien Fournier
Philippe Jurgensen
Michel Ottaway
Philippe Panerai
Jean-Claude Prager
Marie Richard
Bernard Soulage
André Staropoli
Jean-Pierre Sueur
Catherine Tasca
Fabien Verdier

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Michel Destot est un homme politique socialiste français, né le 2 septembre 1946, à Malo-les-Bains (Nord).Il est actuellement député de l'Isère. Il a également été maire de Grenoble pendant 19 ans et président de l'Association des maires de grandes villes de France (AMGVF).

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