Italie : sur le fil du rasoir

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Par Stéphane Déo Modifié le 17 octobre 2018 à 13h37
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2,4%Le déficit italien est attendu à 1,8% cette année et à 2,4% en 2019.

Un dîner est organisé ce mercredi 17 octobre pour tenter de trouver un accord sur les termes du Brexit. Stress et tensions sont à leur comble. Quant à la situation italienne, elle est aussi synonyme de questions sans beaucoup de réponses claires.

Point de marché : Brexit, le stress monte

Alors que les négociations sur le Brexit achoppent, une fois de plus, sur la question de la frontière irlandaise, le temps passe… et les marchés s’inquiètent de plus en plus. Ce mercredi 17 octobre, un dîner est organisé à Luxembourg pour trouver un accord. Les autorités proches du dossier ne sont pas très optimistes, il faudra certainement un sommet de plus avant de faire des progrès significatifs.

Si la livre sterling, souvent vue comme le baromètre du Brexit, s’est appréciée contre l’Euro de plus de 3% depuis fin août, le stress sur ce marché est de plus en plus évident. Le niveau de la volatilité implicite sur les options de change (dit autrement : le coût pour un investisseur d’une assurance contre une forte variation de la livre) a très nettement progressé et reviens proche des plus hauts de l’année. Certes, on est encore très loin des niveaux atteints après le vote du Brexit en juin 2016, une volatilité implicite de 28. Mais la tendance est très clairement à la hausse depuis cet été.

Pas de panique donc, on en est encore loin, mais le marché est de plus en plus nerveux.

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Budget italien : un peu d’arithmétique

Nous avons enfin des détails sur le projet de loi des finances italien, ce qui nous permet d’analyser les chiffres.

  1. Où va le déficit ?

Premier point, le déficit est attendu à 1,8% cette année et à 2,4% en 2019. Nous avions estimé sur la base du déficit mensuel publié jusqu’à présent que le déficit 2018 serait « proche de 2% », l’analyse semble validée, et l’objectif semble crédible au vu de l’exécution du budget 2018.

En revanche le document ne donne pas la trajectoire du déficit post-2019. Mais il donne la trajectoire de la dette, du PIB et des prix, on peut donc estimer le déficit implicite utilisé par le gouvernement pour construire ses chiffres. Le résultat : pas de baisse du déficit après 2019, nous obtenons 2,5% sur les deux années suivantes, à l’arrondi prés, pas de changement.

Il n’y aurait donc pas de trajectoire à la baisse du déficit sur un plan pluriannuel.

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  1. Les hypothèses sont-elles crédibles ?

Il faut partir de la croissance potentielle italienne, le gouvernement nous donne 0,9% pour 2019, l’OCDE est moins généreux avec seulement 0,5%.

Le déficit de l’Italie ajusté des variations cycliques, donc la partie qui dépend purement des décisions du gouvernement, passe de 0,8% de déficit en 2018 à 1,8% en 2019. Une augmentation de 1 point de déficit, ce que les économistes appellent le « stimulus fiscal ». Ceci devrait en théorie ajouter 0,5% à la croissance et on trouve bien alors une croissance de 1,5% (0,9% de potentiel plus 0,5% en résultat du stimulus fiscal).

Avec une croissance potentielle à 0,5%, comme le dit l’OCDE, la situation est moins brillante, on n’obtient que 1,0% de croissance totale, et donc le déficit serait impacté par cette moindre croissance et s’établirait alors à 2,6% au lieu de 2,4%.

Les hypothèses macroéconomiques semblent optimistes, le projet de loi des finances, tel que présenté par le gouvernement est plus cohérent avec un chiffre au-dessus des 2,½%.

  1. La trajectoire de la dette

Dernier point, quelle est la trajectoire de la dette ? Le gouvernement attend une réduction, certes désespérément lente de la dette (130,9% en 2018, 126,7% en 2021). Là aussi nous avons fait tourner les chiffres avec des hypothèses de croissance plus raisonnables, une croissance à 1,0%. Même dans ce cas, la trajectoire de la dette sur PIB est baissière, mais le rythme devient presque imperceptible (129,3% en 2021). A noter, avec une croissance à 0,5% (si l’OCDE a raison sur la croissance potentielle et si on fait l’hypothèse un peu extrême que la relance fiscale n’a absolument aucun effet), la dette sur PIB est alors stable.

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Conclusion : finalement l’équation fondamentale n’a pas vraiment changée substantiellement en Italie.

  • On reste sur une trajectoire baissière de la dette sur PIB, mais si le rythme était faible, il est maintenant encore plus lent.
  • Le vrai problème est plutôt la capacité de l’Italie à gérer la prochaine crise, avec un déficit potentiellement dans la fourchette 2,5-3,0% en pic de cycle et une dette sur PIB au-dessus de 130%, les marges de manœuvres durant la prochaine crise sont tout simplement inexistantes. Et le risque est important de se retrouver alors sur une trajectoire fiscale très compliqué à gérer.

Bref, l’Italie est sur le fil du rasoir : le problème italien n’est pas un problème immédiat, c’est un problème de gestion de la prochaine récession.

Le problème des Treasuries

Avant-hier, nous avons eu le déficit du budget américain pour l’année fiscale 2017-2018 (l’année fiscale commence le 1er octobre aux Etats-Unis) : un déficit de 779 milliards de dollars, contre 440 prévus, et donc de 3,9% du PIB, contre 2,2% prévu. L’année prochaine on devrait allègrement dépasser les 1000 milliards de déficit, et approcher les 6%. En comparaison le budget italien est un parangon d’orthodoxie budgétaire.

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Mardi 16 octobre; nous avons eu les « TIC », les flux d’achats de Treasuries par les étrangers, ce qui met les chiffres de déficit encore plus en relief. Certes les achats en août étaient importants, 63,131 milliards de dollars, le chiffre mensuel le plus élevé depuis plus de 3 ans. Mais ce chiffre suit une série de mois particulièrement médiocres. Sur les 12 derniers mois, les étrangers ont acheté seulement 57 milliards, alors que sur les mêmes 12 mois, jusqu’à août, le déficit était de 890 milliards.

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Depuis un an, les étrangers n’ont donc financé que 6% du déficit américain. Rien d’étonnant, si entre 1990 et 2012, les étrangers ont financé en moyenne la moitié du déficit américain (43% pour être précis), ils ont été vendeurs nets, certes marginalement, de 2013 à 2017.

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Alors que les taux américains sont orientés à la hausse le désintérêt des étrangers pour les Treasuries est inquiétant au vu de la montagne de papier à placer dans les mois qui viennent.

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Stéphane Déo est stratégiste chez La Banque Postale Asset Management. Il est diplômé d'HEC, a un DEA en économie à l'Ehess (Ecole des hautes études en sciences sociales) et un doctorat en finances à HEC. Il a effectué des études post-doctorales à l'université de Berkeley (Californie). Après l’OCDE et Goldman Sachs, il travaille chez UBS en 2001 comme économiste puis stratégiste jusqu’en 2015. Il poursuit son expérience chez Empirical Research Partners comme stratégiste actions globales.

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