L’entreprise recentrée sur ses spécificités

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Par Dominique Michaut Publié le 23 février 2017 à 5h00
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3,1 millionsLa France compte 3,1 millions de PME.

Notre époque perçoit encore trop confusément que des clarifications et des réorientations économiques de fond sont possibles et nécessaires. Cela tient pour beaucoup à sa crispation sur la conception subjective de l’entreprise, comme par désir irrépressible de bloquer l’instruction enfin impartiale de questions cruciales.

Le maximum de profit ou de plus-value est-il une norme que l’économie de marché oblige vraiment les entreprises à respecter ? L’élévation au rang d’impératif catégorique d’un maximum de ce genre est-elle aussi libérale qu’on le donne à entendre ? Répondre résolument oui ou même plutôt oui que carrément non conduit à soutenir que les réalités économiques sont intrinsèquement asociales et amorales. L’enfermement dans l’erreur conceptuelle et politique d’un ordre économique replié sur lui-même n’en devient que plus sévère. Dans ce contexte, la reconnaissance des spécificités de l’entreprise change tellement la donne que l’instruction de ces questions se présente sous un tout autre jour, ainsi que le montre de façon particulièrement claire Le verdict de Peter F. Drucker sur le profit (titre d’un article à paraître ici la semaine prochaine).

Définition en compréhension

L’entreprise est la seule entité qui n’existe que pour la pratique d’échanges marchands. Vous avez bien lu, ce n’est pas plus compliqué que ça : seules les entreprises ont cette caractéristique. Les individus, les familles et les autres associations non commerciales ne l’ont pas. Les États et leurs organes ne l’ont pas davantage ; en revanche l’assimilation de ces derniers à des entreprises (François Hollande, janvier 2012 : « Moi président, … je gérerai l’État comme une entreprise ») montre que ses colporteurs cèdent quand ça les arrange à la confusion des genres et des rôles pourtant si contraire à l’esprit de la lumineuse méditation de Montesquieu sur la séparation des pouvoirs.

Constater que l’entreprise est la seule entité qui n’existe que pour la pratique d’échanges économiques procure une définition au sens de ce concept en logique des ensembles finis. Cette définition est de la sorte dite en compréhension, à savoir par l’énoncé de la propriété commune à tous les éléments de l’ensemble considéré et à eux seuls. Elle vaut pour toute entreprise commerciale quels que soient au cas d’espèce le statut juridique, la durée d’existence, l’appartenance sectorielle (agricole, artisanale, industrielle, financière entre autres), la propriété (privée ou publique ou mixte), l’immatriculation ou pas en tant qu’entreprise. L’objectivité en économie se doit de ne plus passer à côté, tout comme l’éducation soucieuse de faire la part belle à la transmission de vérités certaines.

Le monde de l’entreprise

De nombreuses sociétés commerciales vendent et gèrent des mises en location. Le produit générique que ces entreprises commercialisent est, par distinction d’avec les marchandises élémentaires (Economie Matin du 26 janvier), la marchandise composée constituée par la mise en vente du service de la location. Les autres bailleurs auxquels des locataires sont susceptibles d’acheter ce type de prestation sont des particuliers, des associations privées et des entités publiques. Lorsque l’un de ces autres bailleurs n’établit pas ce commerce en une entreprise juridiquement constituée, ledit commerce n’en existe pas moins, mais sous la seule forme d’une entreprise de fait. Dans tous les cas, le loyer acquitté par le locataire est du chiffre d’affaires pour qui le perçoit. Du bénéfice constitutif d’un revenu de placement n’existe alors que par différence entre du chiffre d’affaires et des coûts (il ne s’agit que d’un mode de calcul, lequel mode ne rend compte de l’existence générique du profit qu’à l’entendement de celui qui à chaque fois que la sauvegarde de ses attendus le nécessite omet cette autre vérité certaine : la mesure d’une chose n’est pas une explication de la raison d’être et des fonctions de cette chose). Les revenus de la propriété foncière proviennent en réalité des bénéfices d’entreprises qui, dans le cas de l’agriculture et de l’exploitation forestière, louent à d’autres entreprises ; tout un pan de l’histoire critique de l’économie politique est à revoir à la lumière de cette réalité en vigueur depuis des millénaires.

Aucune des situations similaires à celle des particuliers qui louent des usages de biens n’est conceptuellement négligeable. Qui se met à vendre de la marchandise composée crée de ce fait une entreprise. Quand Mariette et Pierrot décident de vendre une partie des fruits, des légumes et des fleurs de leur jardin, ils créent une entreprise à durée indéterminée. Quand Franck et Francine vendent une partie de la grande quantité des livres que leurs parents leur ont léguée, de fait ils établissent à cette fin une entreprise temporaire. Quand Joséphine et Alphonse vont de foires à tout en vide-greniers pour y tenir un stand, ils font fonctionner une entreprise intermittente. Bien le voir aide à prendre conscience que les revenus proprement dits sont exclusivement des rémunérations du service du travail et du service de placements – des contreparties en échange de marchandise élémentaire. Ce n’est pas négligeable du tout non seulement conceptuellement mais aussi civiquement. Alors que citoyennes et citoyens sont des titulaires, effectifs ou potentiels, de revenus proprement dits, les choses en quoi consistent les entreprises et les marchés et les robots ne sont ni des citoyennes quoiqu’on en dise sans vergogne, ni des contribuables autrement que de façon fictive quoiqu’on y fasse en accès de délire contagieux.

Autres spécificités les plus remarquables

Le propre de l’entreprise fait d’elle un marché, bien que ce ne soit évidemment pas pour autant qu’il faille voir dans tout marché une entreprise, ou bien une entreprise dans l’une au moins des parties prenantes dans n’importe quel échange marchand. Sur le marché plus ou moins étendu et diversifié que toute entreprise constitue, les échanges économiques qui tissent sa contribution sociale sont entre elle, l’entreprise, et plusieurs rôles marchands. Dans ces rôles il y a celui des apporteurs ou de l’apporteur du financement stable de l’entreprise (capital) ; celui des travailleurs employés par l’entreprise ; celui des autres fournisseurs ; celui des clients dont la satisfaction est d’autant plus nécessaire à la viabilité de l’entreprise que les autorités de la concurrence veillent à la comparabilité des offres sans calcul à faire (ce qui pour l’heure est de moins en moins le cas à cause de la réalisation en cours du risque dont il va être tout de suite question). Qu’un de ces rôles soit exercé au détriment des autres n’apparaît de façon sûre qu’au regard de normalités qu’il revient à la science des prix de dégager, avec le risque à long terme très dommageable que la doctrine dominante prise pour cette science se ramène à une pétition de principe (Economie Matin du 16 février, les bons en math installés dans l’ignorance de ce qu’est une pétition de principe ne sont pas rares, notamment chez les économistes en l’état actuel de leur formation diplômante).

Notons trois autres points.

1) Une marchandise élémentaire n’est achetable que par des entreprises. Cette marchandise est le placement en capital directement par des épargnants, contre la rémunération de ce service par du bénéfice. Plus est porté atteinte à cette contrepartie et plus on s’éloigne de la séparation des rôles et des pouvoirs qui est l’une des conditions sine qua non de la concurrence régulatrice. Et plus aussi on fait arbitrairement et imprudemment du créditisme un horizon indépassable. Les emplois étant eux-mêmes des échanges économiques, leur manque et leur précarisation sont largement susceptibles de provenir d’une cause initiale : la seule marchandise élémentaire achetable par les entreprises est trop peu achetée par elles… tout en le restant trop aux yeux d’une part des zélateurs de la maximisation de la rentabilité finale de l’entreprise par effet de levier, d’autre part des antilibéraux eux aussi convaincus que cette maximisation est un impératif libéral.

2) L’entreprise en nom personnel est une entité distincte de son propriétaire. Si les comptes personnels de ce dernier sont confondus avec ceux de son entreprise, c’est une faute de gestion que l’analyse économique n’a pas à déclarer normale ou fatale. Les propriétaires fonciers et leurs notaires n’ont pas été à la pointe de l’évitement de cette faute.

3) La qualité d’actionnaire et celle de salarié sont distinctes. Les pratiques de gestion d’entreprise ne sont assez fermement structurées que si elles comportent des dispositifs de séparation des rôles et des pouvoirs respectifs de ces qualités et d’autres. La participation de quiconque au capital des société commerciales, oui mais aux mêmes conditions pour tous société par société, l’économie s’en portera mieux ne serait-ce que parce qu’elle aura été simplifiée sur un point qui est sans aucun doute d’intérêt général.

Propositions premières

Dans les Propositions premières de science économique que j’ai assemblées, celles qui traitent des questions ci-dessus abordées sont numérotées 3.1, 3.3, 3.6, 3.7 et 3.8.

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Dominique Michaut a été directeur des études du Centre consulaire de formation de Metz puis conseiller de gestion, principalement auprès d’entreprises. Depuis 2014, il administre le site L’économie demain, dédié à la publication d’un précis d’économie objective (préface de Jacques Bichot).

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