Pour un désarmement fiscal unilatéral

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Par Julien Bayou Publié le 30 juillet 2018 à 5h01
Bercy Fraude Optimisation Fiscale Regularisation Dossier France Chiffres 2015
60 milliards d'euros60 milliards d'euros échappent à l?impôt français chaque année.

C’est quand chacun de nous attend que l’autre commence qu’il ne se passe rien.

- L’abbé Pierre, Manifeste contre la pauvreté

De la même manière que l’armement d’un pays entraîne la course à l’armement chez ses voisins, la guerre fiscale se nourrit de la course au moins-disant fiscal dans toute l’Europe. La crédibilité du désobéissant viendra aussi de sa capacité à mener, dès le début, un processus de désarmement fiscal unilatéral.

J’estime que, pour convaincre, la France doit être exemplaire. Or elle ne l’est pas, loin de là. Dès lors, chaque demande d’harmonisation fiscale se verra opposer une fin de non-recevoir malheureusement légitimée par nos propres turpitudes. « Tirez les premiers » répondront en substance les Pays-Bas, l’Irlande ou le Luxembourg avant d’envisager de colmater les trous de leur système fiscal.

En conséquence, le gouvernement qui voudra être crédible devra convaincre par l’exemple. La liste des mesures à prendre est simple et longue à la fois. La tribune publiée par Eva Joly dans Le Monde diplomatique, « Pour en finir avec l’impunité fiscale » ou les propositions de Transparency International, de Tax Justice Network ou de la Plateforme paradis fiscaux et judiciaires serviront de boussole.

Ce processus devra se concentrer autour de trois axes prioritaires.

Le premier consistera à demander un audit à la Cour des comptes pour identifier l’ensemble des niches fiscales, lois et outils réglementaires qui facilitent ou rendent possibles l’optimisation et l’évasion fiscales. Cet audit permettra de mettre cartes sur table. Il s’agit de persuader les opinions publiques européennes pour mieux convaincre leurs gouvernements de la sincérité de la démarche, mais il s’agit également de réparer notre démocratie, sapée par l’évasion fiscale massive.

Deuxièmement, un gouvernement français souhaitant mener la bataille de l’harmonisation fiscale au niveau européen devra mettre fin au verrou de Bercy. Le ministère de l’Économie et des Finances a en effet le monopole sur les poursuites pénales pour fraude fiscale. La justice fiscale ne peut pas s’autosaisir contrairement à tous les autres domaines. C’est un cas unique au monde pour un pays démocratique. Alors que l’administration fiscale opère chaque année 40 000 redressements en moyenne, la commission qui décide des dossiers fiscaux à transmettre aux tribunaux ne traite dans la même période qu’un petit millier de cas. Le flou des critères et l’opacité renforcent le sentiment d’arrangement à l’amiable. Et l’on ne parle pas que des particuliers ! En l’état, c’est ce dispositif qui permet de négocier le redressement des multinationales au détriment de l’égalité devant la justice pénale : il en va ainsi pour McDonald’s qui a « payé seulement 300 millions d’euros au lieu de plus d’un milliard dus » selon le député Fabien Roussel (PCF), ou pour les prochaines négociations avec Google évoquées par le ministre du Budget. De quoi se voir légitimement accusé par les voisins européens d’offrir aux multinationales une impunité et des impôts bien plus bas que le taux nominal affiché.

Sans attendre, il est possible et souhaitable de faire sauter ce verrou et ce monopole de Bercy. Cela constituerait une petite révolution et un signal fort envoyé aux opinions publiques européennes... Les déficits en seraient par ailleurs quelque peu réduits car « la procédure pénale est bien plus efficace et rapide que la procédure fiscale » selon Charles Prats, ancien magistrat à la Délégation nationale de la lutte contre la fraude.

Enfin, s’il faut désigner un dispositif fiscal particulièrement fautif et à changer d’urgence, c’est le crédit impôt recherche. Déjà pointée du doigt par les services de la Commission européenne, cette niche fiscale est un véritable gouffre pour le budget de l’État et un cadeau fiscal par excellence pour les – souvent grandes – entreprises capables de remplir les bien vagues critères d’attribution. Cette niche fiscale qui coûte plus de 5 milliards d’euros par an aux contribuables jouit d’une telle opacité que le rapport de la commission d’enquête menée par la sénatrice communiste Brigitte Gonthier-Maurin a été interdit de publication. Le budget a pourtant été multiplié par dix ces dernières années, sans impact sur le nombre de brevets ou l’embauche de doctorants. D’après Libération, Renault parvient même à en bénéficier pour une filiale sans effectif. Pourtant, d’après la sénatrice, « moins de 1,7 % des entreprises ayant recours au CIR ont été contrôlées » alors que la Cour des comptes avait pointé en 2013 qu’il s’agissait d’un « instrument d’allègement sélectif de l’impôt sur les sociétés »... En clair, d’un outil d’optimisation fiscale. La refonte complète du dispositif marquerait une véritable volonté de ne plus prendre part au jeu de la concurrence fiscale entre États membres.

Augmenter les effectifs des services enquêteurs du fisc ou du nombre de juges spécialisés sera nécessaire pour accompagner cette nouvelle ambition, rendre indépendants les procureurs vis-à-vis du pouvoir politique et poursuivre les intermédiaires financiers qui organisent les montages complexes d’évasion fiscale... Les mesures ne manquent pas pour enfin lutter efficacement contre l’évasion fiscale et récupérer une partie de ces 60 milliards d’euros qui échappent à l’impôt français chaque année.

Au mieux, la France convainc de la sincérité de sa démarche en Europe. Au pire, elle répare une anomalie démocratique et améliore ses rentrées fiscales.

Ceci est un extrait du livre « Désobéissons pour sauver l'Europe » écrit par Julien Bayou paru aux Éditions Rue de l'Échiquier (ISBN-10 : 237425111X ISBN-13 : 978-2374251110). Prix : 10 euros.

Reproduit ici grâce à l'aimable autorisation de l'auteur et des Éditions Rue de l'Échiquier.

Désobeissons pour sauver l'Europe de Julien Bayou

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Conseiller régional EELV Ile-de-France, porte-parole national

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