Marine Le Pen renoncera-t-elle à sortir de l’euro pour être élue?

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Par Eric Verhaeghe Modifié le 27 mars 2017 à 3h58
Marine Le Pen Presidentielle 2017
28 %Le Front National a recueilli 28 % des suffrages lors des élections régionales de 2015.

Il suffisait de voir le discours de Marine Le Pen à Lille ce dimanche pour flairer le danger qu’elle représente pour les autres candidats. Avec évidence, elle « est dans » l’exercice et se positionne déjà dans la prise de pouvoir. Sa rhétorique est victorieuse et s’adresse habilement à tous les courants de l’opinion qu’elle est susceptible de mobiliser. Entre les messages envoyés aux indépendants, les ovations réservées à nos soldats et les appels à la grandeur retrouvée de la France, la présidente du Front National continue son travail de présence quasi-psychique auprès de toutes les zones refoulées d’un narcissisme français meurtri depuis plusieurs décennies par un discours européiste.

La perspective grandissante d’une victoire du Front National

Si, à Paris, la résistance à Marine Le Pen reste forte, l’adhésion n’en est que plus forte dans le reste de la France. Beaucoup de Français interprètent en effet la réaction nobiliaire que nous vivons comme une réaction parisienne à la décentralisation. Plus les Parisiens résistent au Front National, plus les provinciaux ont la conviction que Marine Le Pen claquera le beignet des aristocrates qui les oppriment.

C’est d’ailleurs ici que se trouve le tour de force de la présidente du Front National. Cette Parisienne de naissance, héritière et représentante des banlieues les plus chics est parvenue à incarner la France abandonnée. Elle peut chaleureusement dire merci à tous ceux qui la diabolisent, elle et sa famille, depuis des années. Sans ce rejet constant, son rôle de composition aurait été beaucoup plus difficile à jouer…

Il n’en reste pas moins qu’on la sent bien monter, cette vague de deuxième tour qui emportera sur son passage les ultimes réticences à une stratégie de rupture.

Qui Marine Le Pen peut-elle fédérer?

Dans la pratique, Marine Le Pen est en effet susceptible de fédérer trois types de population dont la conjonction a toutes les chances de la mettre en tête du premier tour.

Un premier groupe rassemble les frontistes convaincus, les « éternels », déjà fidèles à son père. Ceux-là sont les nationalistes ordinaires, globalement hostiles à l’immigration et partisans d’un retour à un ordre moral traditionnel. Très souvent, ils sont rejoints par les laissés-pour-compte de la révolution numérique et de la « mondialisation », ce monstre à plusieurs têtes que personne n’a véritablement vu, mais qui nourrit tous les relents nostalgiques.

Un deuxième groupe ne se reconnaît pas dans cette révolution morale, mais appelle de ses voeux à une stratégie de rupture politique profonde. Ceux-là pensent, pour des raisons circonstancielles, qu’il faut sortir de l’euro, voire de l’Europe, et qu’il faut un bon coup de dégagisme pour remettre le pays en ordre.

Un troisième groupe est plus hypothétique. Il rassemble, pour aller vite, tous ceux qui parient sur un épuisement de la Vè République, qui appellent de leurs voeux à un renouveau, mais qui sont indécis vis-à-vis des propositions économiques de Marine Le Pen. Pour cette frange de l’opinion, les recettes du Front National sont loin d’être une tasse de thé, mais l’exaspération vis-à-vis des institutions est telle que le vote Front National peut paraître le vote utile.

En revanche, pour une part importante de ces derniers, Marine Le Pen continue à proposer des solutions qui sont de véritables épouvantails.

Quelle stratégie pour Marine Le Pen au premier tour?

Pour Marine Le Pen, ce rassemblement de voix est une gageure. Il suppose de ne pas se tromper dans l’ordre des opérations.

Au premier chef, la présidente du Front National a besoin de rassembler son noyau dur. De ce point de vue, ses propositions sur l’Europe, d’ailleurs postées en numéro un dans le programme, sont essentielles et emblématiques. C’est avec elles que Marine Le Pen compte bien acquérir son ticket pour le deuxième tour. Le pari qui est fait ici est de fédérer l’euroscepticisme comme d’autres l’ont réussi en Europe, notamment UKIP en Grande-Bretagne.

Pour y parvenir, Marine Le Pen a structurellement besoin d’ossifier son discours anti-communautaire. On notera toutefois que, dans ses engagements présidentiels, elle demeure relativement évasive :

Retrouver notre liberté et la maîtrise de notre destin en restituant au peuple français sa souveraineté (monétaire, législative, territoriale, économique). Pour cela, une négociation sera engagée avec nos partenaires européens suivie d’un référendum sur notre appartenance à l’Union européenne. L’objectif est de parvenir à un projet européen respectueux de l’indépendance de la France, des souverainetés nationales et qui serve les intérêts des peuples.

On notera que la proposition est celle d’une négociation précédant un referendum qui pourrait déboucher sur un Frexit. Voilà qui donne de beaux gages à ses troupes historiques, sans insulter une inflexion future.

Quelle stratégie au second tour?

Dans l’hypothèse (probable) où Marine Le Pen obtiendrait son ticket pour le deuxième tour, commenceraient pour elle deux semaines folles où elle aurait à rassembler au-delà de son camp sans fâcher (complètement) son camp. Dans la pratique, elle devra rassembler les voix portées sur les candidats « divers droite » (Dupont-Aignan, Asselineau), soit un probable 5 ou 6%, peut-être un peu plus si un premier report s’effectue de Fillon vers Dupont-Aignan.

Si Marine Le Pen obtient 25% au premier tour, elle peut donc espérer flirter autour des 32% au second tour sans effort. Si Mélenchon n’est pas qualifié, elle pourra là encore bénéficier d’un report de quelques points venant de son camp. Bref, dans une fourchette haute (mais réaliste), Marine Le Pen pourrait alors compter sur un réservoir « naturel » d’environ 38% des voix.

Il lui resterait alors à viser une fourchette de 12 à 16 points venant des Républicains, soit une part importante de ceux-ci. L’enjeu consistera alors à opérer une inflexion du discours et des propositions en direction de l’électorat coeur de François Fillon.

Les obstacles à cette stratégie

Pour Marine Le Pen, la situation sera délicate, dans la mesure où elle devra opérer un retournement idéologique en tendant la main à un électorat massivement libéral et bien décidé à diminuer les dépenses publiques. Surtout, ce segment d’électeurs n’est pas forcément animé de sentiments très heureux vis-à-vis de l’Allemagne ou du capitalisme à l’anglo-saxonne, mais il est attaché aux réformes de structure et ne tient pas particulièrement à sortir de l’Union Européenne. Pour ceux-là, le discours anti-euro de Marine Le Pen risque d’être une pierre d’achoppement.

Dans ces conditions, la présidente du Front National n’aura guère le choix: elle devra tendre la main pour les faire venir à elle. Le bon sens consistera alors à annoncer une alliance de gouvernement avec les Républicains, à partir d’une plate-forme programmatique incluant le renoncement à la sortie de l’euro. Ce virage à 180° sera la condition de la prise de pouvoir, avec, probablement, des zakouskis monétaires destinés à rassurer ses propres troupes.

Le programme de Marine Le Pen prêt pour ce retournement

De façon astucieuse, la façon dont les engagements présidentiels de Marine Le Pen permettent de façon assez subtile d’imaginer un retournement de ce genre. Sur la question européenne, Marine Le Pen ne s’est fixé aucune obligation de réussite. Le moment venu, rien ne l’empêchera donc de proposer un maintien lâche dans l’Union et la zone euro, sous réserve que les contraintes budgétaires soient assouplies.

Mais tout cela, évidemment, n’a de sens que si et seulement si Marine Le Pen atteint le second tour et ne d’oppose pas à un candidat républicain.

Article écrit par Eric Verhaeghe pour son blog

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Né en 1968, énarque, Eric Verhaeghe est le fondateur du cabinet d'innovation sociale Parménide. Il tient le blog "Jusqu'ici, tout va bien..." Il est de plus fondateur de Tripalio, le premier site en ligne d'information sociale. Il est également  l'auteur d'ouvrages dont " Jusqu'ici tout va bien ". Il a récemment publié: " Faut-il quitter la France ? "

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