Michel Sapin et Twitter : Papi fait de la finance

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Par Gaspard Koenig Publié le 22 août 2014 à 3h25

Le ministre des Finances ne peut ou ne veut pas comprendre que la rupture technologique en cours ne se résume pas à quelques gadgets supplémentaires, mais fait rentrer le monde dans une nouvelle ère.

La réponse de Michel Sapin aux questions pourtant innocentes de l'Opinion sur son usage de l'iPhone explique mieux que tous les rapports du FMI le désastre de la gouvernance économique en France. « Le machin avec la pomme, c'est ça ? » a-t-il demandé après un silence. Il est donc avéré que Michel Sapin ne commande pas de VTC géolocalisé et ne regarde pas son fil twitter, où l'on ne trouve, a-t-il précisé, qu'« imbécillité et appauvrissement ». Ce brave honnête homme congédie fièrement la possibilité qui lui est offerte de parcourir la dernière tribune du New York Times ou de Project Syndicate, de lire les commentaires de Nouriel Roubini ou de Joseph Stiglitz, de suivre les réflexions géopolitiques de son collègue suédois des Affaires étrangères (un fieffé twitto !), d'observer en direct les révoltes populaires de par le monde, de se nourrir des idées alternatives qui émergent sur le Net et, bien sûr, horresco referens, de participer aux débats de notre nouvelle démocratie digitale. Au lieu de cela, il doit feuilleter tous les matins la revue de presse préparée par les services de Bercy (bleue pour la presse nationale, orange pour la régionale), et surveiller les dépêches AFP où son nom est cité.

Ce qui serait attendrissant de la part d'un grand-père est nettement plus inquiétant s'agissant de notre ministre des Finances. Qui accepterait de monter dans un avion dont le pilote n'a pas mis au jour sa formation depuis quinze ans ? Comme la plupart des hommes politiques, le cerveau grillé par une vie d'élections locales et d'intrigues de couloir, Michel Sapin ne peut ou ne veut pas comprendre que la rupture technologique en cours ne se résume pas à quelques gadgets supplémentaires, mais fait rentrer le monde dans une nouvelle ère. Le machin avec les lettres en métal ? aurait-il probablement dit à l'invention de l'imprimerie.

Une ère où, comme l'a soutenu l'économiste américain Tyler Cowen, « average is over », et où la disparition des intermédiaires entraînera à la fois la crise de la classe moyenne et l'avènement de l'économie participative (plus besoin de librairies quand le livre est électronique, de banques à l'âge du crowdfunding, etc.).

Une ère où le salariat va progressivement disparaître pour laisser place à des formes variées d'auto-activité, ce qui rend bien dérisoire la loi pour la sécurisation de l'emploi que Michel Sapin a élaborée comme ministre du Travail, et dont il se gargarise dans un livre au titre si moderne et poétique, L'écume et l'océan.

Une ère où émerge ce « sixième sens » mis au point par le jeune ingénieur indien Pranav Mistry, qui greffe l'informatique sur nos gestes quotidiens.

Une ère où la révolution NBIC (nanotechnologie, biotechnologie, informatique et cognitique) va brouiller les frontières entre l'humain et l'intelligence artificielle. Le machin avec la pomme s'installera bientôt dans notre cerveau, provoquant des bouleversements sociaux et métaphysiques gigantesques.

Une ère où bien sûr le socialisme français a toute sa place : le machin avec la rose, c'est ça ?

Texte initialement publié sur l'Opinion et reproduit ici avec l'aimable autorisation de son auteur.

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Ancien élève de l'Ecole Normale Supérieure, agrégé de philosophie, Gaspard Koenig est Président du think-tank GenerationLibre. Il est également l'ancienne plume de Christine Lagarde.

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