S’inspirer des équipes d’interventions spécialisées pour réussir

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Par Landry Richard Publié le 29 août 2018 à 20h50
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Posture mentale de la réussite

En s’inspirant des techniques de la programmation neurolinguistique, on remarque que les unités d’intervention spécialisées travaillent les trois piliers fondamentaux qui conditionnent la réussite de l’action. Par extension, quel que soit le domaine, l’alignement de ces trois éléments « Focus », « Dialogue intérieur » et « Posture physique » est un excellent outil au service de la performance dans l’action. Facile à mettre en œuvre, il peut être utilisé dans tous les domaines professionnels.

Focus

Le focus est un dénominateur commun parmi les membres des unités d’intervention, dès l’alerte l’esprit se porte sur l’action à effectuer, le point à atteindre. L’objectif, l’intervention, la mission devient priorité. La mise en focus n’est pas une façon de se couper du monde, elle est un moyen de lâcher mentalement les éléments perturbateurs de la pensée pour se centrer sur ce qui est essentiel. Le transit vers un lieu d’intervention n’est pas le moment de faire mentalement sa liste de course ou de réfléchir à l’achat de sa nouvelle salle de bain. Le focus mental oriente la pensée vers la mission à réaliser, le cerveau va alors activer les zones concernées par la sollicitation opérationnelle. La stimulation des zones du cerveau est comme un « échauffement » précompétitif. Le cerveau va stimuler les mêmes zones et produire les mêmes hormones en visualisant l’intervention que s’il la vivait réellement, il va simplement inhiber l’action physique.

« J’ai la bouche sèche, la langue pâteuse. Comment en suis-je arrivé là ? Est-ce que toute ma vie, tous mes choix, tous mes actes m’ont conduit vers ce coin perdu du désert ? “Le présent serait plein de tous les avenirs, si le passé n’y projetait déjà une histoire. Mais, hélas ! Un unique passé comme un unique avenir — le projette devant nous, comme un point infini sur l’espace.”

La citation d’André Gide résonne brièvement dans ma tête. Je la chasse. Je dois rester attentif au moindre détail. Concentrer sur mon seul objectif : libérer les otages. L’homme que je suis venu rencontrer, seulement accompagné de mon guide est totalement désarmé, est dit-on cruel est aveuglé par une fois sanguinaire, il détient sept otages, dont cinq Français. Et je suis chargé de négocier leur libération.

Je me suis beaucoup préparé. Je me suis isolé comme je le faisais auparavant pour mettre au point mes missions en tant qu’agent de la DGSE. Le calme du recueillement et de la méditation m’a permis d’anticiper tout ce dont je vais besoin pour mener à bien cette opération. »

- Jean-Marc Gadoullet, ex-DGSE, « Agent secret, Robert Laffont

Concentré sur l’objectif, le focus mental ne déconnecte pas pour autant le cerveau limbique, émotionnel. Le focus, par un travail de visualisation fait les rappels visuels, auditifs et kinesthésiques liés à l’expérience, aux réflexes acquis pendant l’entraînement, à la projection de l’action. Lorsqu’en salle de briefing le responsable de l’intervention présente le plan de la maison à investir, le cerveau se focalise, visualise. Il est trois heures du matin, avec les gendarmes du PSIG nous allons interpeller un groupe de trafiquants de drogue sur le secteur, l’action est coordonnée avec le GIGN, certains membres du réseau sont armés. En salle de réunion, le Lieutenant commandant le PSIG dessine le plan de l’appartement de notre « Target ». Le schéma de l’intervention nous est présenté, qui fait quoi, où sommes-nous positionnés… Chacun d’entre nous s’imprègne des consignes afin de ne rien manquer, de dessiner dans nos têtes ce lieu encore jamais visité.

Dialogue intérieur

Après la visualisation de l’action, le focus, l’accès à la performance passe par un dialogue intérieur réfléchi et orienté. Nous savons qu’il y a une influence du dialogue intérieur vers notre façon de penser, le dialogue intérieur influence le néocortex et le cerveau limbique de façon significative. Faites l’expérience de vous répéter « je ne vais pas y arriver, je ne vais pas y arriver, je ne vais pas y arriver », et soyez sûr que votre cerveau va commander à votre corps de mettre en œuvre les conditions de l’échec. Nous sommes capables de nous auto-influencer, vers l’échec comme vers la réussite. C’est un principe bien connu des entraîneurs sportifs à travers la traditionnelle « causerie » d’avant match. L’objectif est de créer, à l’instar d’un message publicitaire, une résonnance mentale positive orientée vers la réussite. C’est ce que l’on connaît de la méthode « Coué ». Le cerveau entendant les mots d’une orientation choisie mettra en œuvre les conditions de l’action. Rien de magique dans la méthode, mais même si le cerveau humain est complexe, il garde des fonctionnements simples comme celui par exemple de faire ce qu’on lui demande. L’exécution de l’action passe par le commandement. Dans le cadre de l’urgence ou des situations exceptionnelles, à forts enjeux, il n’est plus question de s’auto-convaincre de la réussite d’une opération. C’est un moment de commandement cérébral des actions à effectuer, le rappel des tâches. Le dialogue intérieur sera de refaire le point sur l’ensemble des missions qui me sont propres : « En arrivant sur les lieux je me place à tel endroit, je vérifie telle chose, je me mets à disposition du commandement, etc. »

L’esprit humain à tendance à croire ce que le cerveau lui raconte. L’orientation mentale de la réussite s’appliquant à chaque champ de la vie peut être regardée à l’angle de la pratique des sportifs de haut niveau. À aucun moment le sportif ne s’autorise à se répéter qu’il va échouer, il en est de même dans les groupes d’interventions spécialisées. La posture mentale se situe à un autre niveau. Il ne s’agit pas non plus de s’autoconvaincre « bêtement » que tout va bien se passer comme s’il s’agissait de se rassurer avant l’épreuve du feu. On peut aisément imaginer avec humour le jeune policier transi de peur se répéter que tout va bien se passer comme un mantra tibétain le corps tremblant de peur. Même si l’incertitude est maîtresse de l’intervention et que nous avons tous déjà fait l’expérience de « danser avec le diable », se remémorant à l’issue d’une intervention que la mort nous a frôlés, la mission prend toujours le pas sur la peur en amont de l’action. La peur n’est pas non plus une émotion que nous combattons, simplement dans le moment de la préintervention, il y a autre chose à faire, autre chose à penser.

« Cela va tellement vite que l’affect ne vient pas me perturber à ces instants critiques », « L’émotion ne vient pas, elle viendra plus tard ».

- Matthieu Langlois, Médecin du RAID

Posture physique

Le travail de la posture physique est lui aussi d’une importance capitale. Les lecteurs issus des rangs de la police reconnaîtront cette pénible vérité, même en civil, un policier à une tête de policier. Ainsi combien de personnes croisées lors de missions en civil auront détecté une présence policière se voulant discrète ? Les policiers en civil n’ont pas réellement de « tête de policiers », mais bien une posture de policier. Représentants de l’autorité, œil vif, torse bombé et dos droit, ça ne trompe pas un regard averti. Les opérateurs du renseignement sont eux passés maîtres dans l’art de se fondre dans la population, mais si vous n’êtes pas initiés aux techniques de camouflage urbain, vous serez vite démasqués, trahi par votre attitude naturelle, celle de votre ADN. À l’inverse, lorsque vous souhaitez produire quelque chose, une influence sur autrui, une manifestation compatissante ou une forme de compréhension et de modestie, votre posture physique sera déterminante. C’est le « haka » des All-blacks, créé pour exercer une influence sur « l’ennemi ». Générateur de peur pour l’adversaire, il va provoquer le doute et la panique à qui fera lecture des gestes guerriers tribaux annonçant une détermination sans faille pour le combat.

S’il est vrai que nos postures physiques peuvent influencer les autres, elles peuvent également nous influencer nous-mêmes. C’est également démontré par l’expérience, s’il est vrai que nos pensées vont avoir des manifestations physiques (par exemple si je suis triste, mes épaules vont descendre, mon dos se voûter et les muscles de mon visage vont se crisper, si je suis en colère mon corps va manifester des signes d’agitation, mes sourcils vont se froncer, etc.), le contraire est vrai également. Notre posture physique a une influence sur le mental. Un concept qui peut paraître étrange, mais j’invite les lecteurs à en faire l’expérience, si vous êtes tristes en ce moment, prenez les postures physiques de la joie. Souriez, bombez le torse, prenez de grandes inspirations, votre tristesse va très rapidement diminuer. De la même façon, dans le cadre de la préparation opérationnelle, au combat ou à la réalisation de missions opérationnelles votre posture compte. Évidemment par extension, la technique peut s’appliquer à tous les domaines, des processus de séduction à la compétition sportive. Un joueur de football professionnel m’avait consulté sur la problématique de sa baisse de performance physique lors des matchs. Après analyse, son préparateur physique n’identifiait pas de déficit particulier, la piste mentale était à exploiter. Et en effet, sur analyse vidéo j’ai observé qu’à chaque fois qu’il perdait un duel ou qu’il ratait une passe, il prenait une posture physique assez remarquable. Sa tête entrait dans ses épaules, les bras tombants le long du corps. Je lui ai demandé de m’expliquer. Il me raconta sa façon de se s’en vouloir à chaque échec. Je lui ai alors demandé de travailler uniquement sa posture physique, de se « forcer » à relever la tête, les avant-bras et à bomber le torse à chaque échec. Il a suffi des trois matchs suivants pour que la technique fonctionne, les pseudo-baisses de qualité physique avaient disparu. La posture physique a engendré une forme d’injonction mentale induisant un dialogue intérieur ayant chassé la déconsidération de soi pour la transformer en confiance en soi et en persévérance dans l’action.

Lorsqu’elle est parfaitement maîtrisée, la posture physique est un excellent outil d’influence sur l’environnement et sur soi-même.

Le non-combat en Aïkido, quête de tout combattant, est l’art d’avoir une telle maîtrise de la discipline, que le combat même n’est plus nécessaire à la victoire. Le concept dans sa philosophie orientale peut être regardé avec le filtre de cet outil. Le juste emploi de focus, dialogue intérieur et posture physique est le fruit d’une force maîtrisée et stable. Remarquez, plus vous savez vous battre, et moins vous avez besoin de le faire. La confiance en soi, grâce à la maîtrise de son art produit les effets de la concentration, du focus, d’un dialogue intérieur fait de détermination et justement orienté, elle génère la posture guerrière lorsque c’est nécessaire, si influente sur les autres.

« Dès lors que vous aurez foi en vous-même, vous saurez comment vivre. »

- Goethe

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Landry Richard est sapeur-pompier depuis plus de 20 ans, spécialiste NRBC, officier de réserve de la Gendarmerie Nationale, est expert de l’optimisation des potentiels. Il accompagne des sportifs de haut-niveau et des dirigeants dans le développement des performances individuelles et collectives et dans la gestion des situations de crises. Après être intervenu au Népal en 2015 et en Équateur en 2016 par suite des tremblements de terre, il intègre le MBA spécialisé Management de la Sécurité de la Gendarmerie Nationale pour se spécialiser dans les questions de la sûreté et le développement de la performance des équipes d’intervention spécialisées.

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