L’actualité vue par Louis XVI : Comment éviter une révolte des mahométans en France ?

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Par Eric Verhaeghe Modifié le 22 juillet 2013 à 3h39

Une chose est sûre, François (même si cette chose est loin de Paris, loin de la cour et loin des beaux quartiers que les courtisans fréquentent) : certains habitants du royaume connaissent de véritables souffrances qui rappellent celles des pires années de l'Ancien Régime.

Essayons ensemble d'en faire la liste.

D'abord, ce sont les mathématiciens du surintendant des Finances qui le disent, certains sujets du Royaume ne mangent pas à leur faim. Dire qu'ils dépérissent serait exagéré. Mais ils comptent et se privent. Ils se contentent d'une pitance de mauvaise facture, qui ne comble pas leur appétit. Les femmes isolées avec des enfants, les familles nombreuses, connaissent bien ce sentiment de ne pouvoir manger comme ils le veulent. Et tu le sais, la faim est mauvaise conseillère.

L'administration n'est plus adaptée au territoire

Souvent, ces manants qui se privent vivent dans des faubourgs que l'administration n'a jamais voulu visiter. Oh! Ce n'est pas (que) mauvaise volonté. C'est aussi affaire de vieillerie. Les bureaux sont dans les campagnes, dans les provinces anciennes. Les fermer pour en ouvrir de nouveaux dans des faubourgs mal famés, où les sujets votent peu parce qu'ils sont étrangers, est une mesure qui en coûte forcément à son promoteur. Et si le roi que tu es ne l'impose pas, personne ne se risque à le suggérer.

La Cour des Comptes l'a dit la semaine dernière: l'administration n'est plus adaptée au territoire.

Ces manants sont donc, jour après jour, plongés dans le désagréable bain d'une existence abandonnée par l'Etat, et livrés aux multiples trafics des petites bandes qui prospèrent dès que la maréchaussée laisse faire - et depuis si longtemps elle laisse faire! Ces gens qui se privent subissent sans relâche le triste spectacle du désordre qui règne dans le royaume.

Que dis-je! Ce n'est pas seulement le spectacle qu'ils subissent, ce sont aussi les méfaits: ces incivilités, comme on dit, ces petites tracasseries, ces petits larcins, ces gens qui ne se lèvent plus dans l'autobus pour céder leur place à une parturiante ou à une dame âgée, cet environnement dégradé, ces biens communs qui ne sont plus respectés, et cette peur qui s'immisce, peu à peu, dans les esprits et dans les gestes. Bref, ces manants ont tout pour se sentir exclus d'une communauté huamine portée par un destin commun.

Parfois, ces manants sont des mahométans accueillis en France pour des tâches ingrates, dans des usines ou des mines qui ont fermé, et dont plus personne ne se préoccupe. Leurs enfants ne savent plus pourquoi ils sont là, et comme ils le peuvent ils s'inventent un monde qui a du sens.

Ce sens occupe tout l'espace que leur laisse la République: un espace immense à vrai dire, et en même temps tout petit. Ils croient en Mahomet, mais ne peuvent construire de mosquées alors que tant d'églises sont vides.

L'école n'est plus que l'ombre d'elle-même

Leur univers est partagé entre le bien et le mal. Le mal, c'est le trafic, le deal, le larcin, assez peu puni par une maréchaussée occupée ailleurs, et qui permet de s'enrichir. Le bien, c'est le culte de Mahomet, le voile sur la tête des femmes, la barbe qui pointe sur le menton des hommes.

Sous la IIIè République, certains visionnaires avaient imaginé que ces univers-là devaient accueillir une école pour tous, à l'issue de laquelle chaque enfant aurait un diplôme et un travail. Depuis longtemps, cette école n'est plus que l'ombre d'elle-même, et aucun de ceux qui la fréquentent ne peut espérer en retirer un travail.

Dans les faubourgs, ceux qui ne sont pas mahométans vivent avec frustration ce cours de la vie où la règle de l'Etat ne s'applique pas, par faiblesse, par abandon, par oubli, par mépris. Ce dépit ne favorise guère l'harmonie quotidienne. Un monde sans loi commune est un monde divisé.

La disette venant, ces faubourgs deviennent des cocottes-minute: tant que le couvercle résiste, il n'émet que des sifflements aigus, mais, François, tu le sais comme moi, vient un jour où la résistance cède et plus personne ne peut résister à la déflagration qui s'ensuit.

Il y a quelques semaines, Paris fut témoin d'un premier sifflement: la place du Trocadéro fut transformée en champs de ruines lors d'une célébration sportive où les effectifs de police, trop peu nombreux, avaient déserté les lieux par crainte de «bavures». La France médusée avait assisté au spectacle étrange de sa capitale livrée aux pillards et aux émeutiers.

Ces derniers jours, c'est dans le faubourg de Trappes qu'un incident a éclaté: une mahométane dont le voile n'était pas conforme à la loi est devenue le symbole d'une frustration religieuse, là où la seule frustration est celle de l'abandon des quartiers laborieux par les classes dirigeantes. Le faubourg s'est embrasé et face à cette jacquerie la maréchaussée s'est trouvée à la peine.

François, tu dois préciser le statut des mahométans dans le royaume

Tu le sais, François, le royaume est sur la corde raide de ces incidents, et tu devrais t'en préoccuper avec la véritable intention de rééquilibrer la présence de l'Etat dans ces faubourgs abandonnés depuis des années. Il est vrai que cet abandon est un mystère pour toi: dans ton fief de Corrèze, qui est suradministré, il faudrait imposer bien des sacrifices pour augmenter les moyens des faubourgs. Cela te rendrait encore plus impopulaire.

Mais cette réforme en profondeur de ton administration ne suffira pas. Il te faut plus. Tu dois maintenant éteindre l'incendie qui couve et préciser le statut des mahométans dans le royaume. Préciser le statut, cela signifie dire clairement quels sont leurs droits, et leur accorder, au fond, un édit de Nantes. Et quels sont leurs devoirs, sur des sujets épineux et difficiles à aborder: la place des femmes, la place de l'Etat, la place de la loi.

Bonaparte, en son temps, avait fait un concordat qui avait apaisé pour un siècle les relations entre croyants et incroyants. Un nouveau concordat, pour mahométans, devient urgent, si tu veux, cher François, éviter des moments difficiles au pays.

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Né en 1968, énarque, Eric Verhaeghe est le fondateur du cabinet d'innovation sociale Parménide. Il tient le blog "Jusqu'ici, tout va bien..." Il est de plus fondateur de Tripalio, le premier site en ligne d'information sociale. Il est également  l'auteur d'ouvrages dont " Jusqu'ici tout va bien ". Il a récemment publié: " Faut-il quitter la France ? "

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