Relancer par la réforme ?

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Par Jean Pisani-Ferry Modifié le 14 novembre 2014 à 10h21

L'idée souvent avancée est qu'une mise en œuvre rapide de réformes économiques permettrait de juguler un chômage persistant et de stimuler une croissance en berne. Puisqu'une action en profondeur est nécessaire, dit-on, elle devrait être entreprise sans délai et contribuerait ainsi à relancer l'activité.

La nécessité de réformes ne fait pas de doute. De longue date, la performance économique de l'Europe est insatisfaisante, que ce soit en matière éducative, dans le domaine de la recherche, sur le front de l'emploi ou en ce qui concerne l'innovation. La crise financière et les ébranlements macroéconomiques qui lui ont succédé ont souligné le besoin d'une rénovation en profondeur du système économique de la plupart des pays européens. Et il est vrai que ces réformes trop longtemps différées sont devenues urgentes. Il ne résulte toutefois pas de ces constats qu'une action réformatrice aurait immédiatement et mécanique- ment un impact positif sur la croissance.

L'opposé pourrait même être vrai. L'expérience suggère par exemple qu'une redéfinition des règles de fonctionnement du marché du travail a souvent dans un premier temps des effets négatifs avant de commencer à produire des bienfaits. Ces politiques ont en quelque sorte le caractère d'un investissement qui coûte avant de rapporter. En temps normal, ce n'est pas très préoccupant : politique monétaire et politique budgétaire peuvent être utilisées pour contrebalancer des effets néga- tifs de court terme. Dans les circonstances présentes, cependant, la faiblesse des marges de manœuvre macroéconomiques ne permet guère d'envisager une telle stratégie.

Il y a même plus : lorsque, comme c'est le cas actuellement, l'inflation est trop basse et le taux d'intérêt de court terme bloqué à zéro, toutes les réformes dont les effets transitent par une baisse des prix ont pour effet immédiat d'accroître les pressions déflationnistes et d'augmenter le taux d'intérêt réel, sans que la politique monétaire puisse y remédier. Par exemple, un renforcement de la concurrence sur des marchés oligopolistiques est normalement favorable aux consommateurs, dont le pouvoir d'achat augmente, et conduit naturellement la banque centrale à baisser le taux d'intérêt pour accompagner le choc désinflationniste, ce qui stimule la demande. Une telle mesure a donc des effets de court terme positifs. Mais lorsque l'inflation est trop faible et que le taux d'intérêt est déjà nul, les effets récessifs de court terme sont accrus et peuvent au contraire l'emporter sur les effets expansionnistes[2]. Il faut prendre ce risque en compte, surtout à un moment où la probabilité d'une déflation en zone euro est déjà estimée à 30 % par le Fonds monétaire international (FMI).

De manière plus générale, conduire des réformes qui augmentent l'offre agrégée ou renforcent son élasticité alors que la croissance est bridée par le niveau de demande n'est pas forcément la meilleure des solutions.

1 Voir Juncker J.-C. (2014), « Un nouvel élan pour l'Europe : mon programme pour l'emploi, la croissance, l'équité et le changement démocratique », Orientations politiques pour la prochaine Commission européenne, juillet.
2 Pour une formalisation de l'argument voir Eggertsson G., Ferrero A. et Raffo A. (2014), « Can Structural Reforms Help Europe ? », Journal of Monetary Economics, vol. 61(C), p. 2 à 22.

TRibune initialement publiée sur la revue "Problèmes Economiques" éditée par La documentation française et reproduite ici avec l'aimable autorisation de son auteur.

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Economiste, président du comité de suivi du crédit d'impôt pour la compétitivité et l'emploi.

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