Retraites : qu’attend François Fillon pour se doter d’un programme digne de ce nom ?

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Par Jacques Bichot Publié le 2 février 2017 à 5h00
France Reforme Retraite Francois Fillon
14 %Le système de retraite français représente 14 % du PIB.

François Fillon a joué un rôle clé dans deux réformes des retraites : celle de 2003, en tant que ministre des Affaires sociales, du travail et de la solidarité, et celle de 2010, en tant que Premier ministre.

L’importance de ce sujet pour les finances publiques est considérable : 14 % du PIB, plus du quart du total des dépenses de notre système social, de l’État et des collectivités territoriales réunies. On pourrait donc s’attendre à ce que son programme présidentiel soit, sur ce point, à la hauteur des enjeux. On pourrait attendre la même chose du programme du parti Les Républicains, qui fournira, si le succès est au rendez-vous, le gros de sa majorité parlementaire. En tant que spécialiste des retraites, j’ai le triste devoir de dire que c’est loin d’être le cas, et qu’il serait grand temps de corriger le tir.

Le site officiel du candidat Fillon est particulièrement peu disert en matière de retraites : la 15e « mesure phare » indique simplement « recul de l’âge de la retraite à 65 ans et unifier tous les régimes pour maintenir le pouvoir d’achat des salariés ». Le passage à un régime universel est une réforme structurelle en faveur de laquelle je plaide depuis plus de 20 ans (Quelles retraites en l’an 2000 ? Armand Colin, 1993) : je ne vais donc pas faire la fine bouche ! Mais s’agissant d’une opération de grande ampleur, il ne suffit pas de l’annoncer dans une petite phrase qui commence par une mesure paramétrique portant sur une variable de commande qui aurait toute chance de disparaître dans un régime rénové où la liberté rendue possible par l’adoption de la neutralité actuarielle remplacerait enfin les carcans bureaucratiques actuels. François Fillon semble avoir fait allusion oralement à l’adoption d’un système pas points : c’est cela, et d’autres dispositions constitutives d’un régime efficace et juste, qu’il faudrait porter à la connaissance du corps électoral.

Le site du parti Les Républicains entre davantage dans les détails. On y lit d’emblée : « Nous assurerons l’égalité stricte entre le public et le privé sur le calcul des pensions de retraite et demandons un âge identique de départ à la retraite pour tous les salariés. Nous voulons la suppression des régimes spéciaux de retraite. » Mais veut-on emmener les Français, épris de liberté, en rang par deux, vers un âge de « départ » obligatoire ? Alors que chacun aspire à organiser sa vie comme il l’entend, le premier préférant le loisir à l’argent, le second désirant travailler plus longtemps pour pouvoir dépenser davantage, et le troisième souhaitant une période de transition comportant une activité professionnelle réduite et la perception d’une fraction de sa pension ! Cette liberté, rendue compatible avec l’égalité et l’efficacité par l’adoption d’un régime universel en points appliquant un principe de neutralité actuarielle, serait-elle en dehors des limites de l’épure LR ? Plus loin – page 290 et suivantes du programme – sous un chapeau « garantir une fois pour toutes le financement des retraites », arrivent les dispositions concrètes, dont les quatre principales méritent d’être connues et commentées.

- « Porter à 63 ans en 2020 l’âge légal de départ à la retraite, puis à 64 ans en 2025. » Cette phrase qui nous promet la répétition des réformes paramétriques précédemment réalisées, est terrifiante, car elle montre à quel point les auteurs du programme ignorent la nécessité de dépolitiser la gestion de notre système de retraites. La loi doit fixer la structure du système, y compris la nature des leviers de commande, mais manœuvrer ces leviers pour atteindre, notamment, l’équilibre budgétaire, est de la responsabilité des gestionnaires. Ni le Parlement, ni même le Gouvernement, n’ont intérêt à se mêler de la gestion des retraites : une fois mis en place un bon système, avec des buts bien définis, il faut laisser son équipe de direction prendre ses responsabilités, quitte à la semoncer, voire à la renvoyer, si elle fait mal son travail.

- « Supprimer les régimes spéciaux tout en alignant le mode de calcul des pensions de retraite du public sur celui du privé (les 25 meilleures années, primes comprises) ». Voilà de bonnes intentions, mais de celles dont l’enfer est pavé. Car une telle mesure sera encore plus difficile à mettre en œuvre que le passage à un régime universel par points, du fait notamment que les régimes spéciaux ont pour équivalent non pas le régime général, mais l’ensemble formé par les 3 régimes des salariés du privé, assurance vieillesse du régime général, Arrco et Agirc. Se donner un mal fou, et déclencher des grèves paralysantes, pour se retrouver avec des régimes de fonctionnaires et de cheminots calqués sur le régime mal fichu qu’est celui des salariés du privé, quel gâchis en perspective !

- « Nous demanderons aux gestionnaires des régimes Arrco et Agirc de poursuivre leurs efforts d’économie et d’aligner leurs coûts de gestion sur ceux de la CNAV. » Si le programme de LR avait été écrit ou relu par quelqu’un connaissant le sujet, il poserait de façon bien différente l’importante question du coût de gestion. Exprimé en pourcentage, le coût d’un régime complémentaire, distribuant des pensions plus modestes que le régime de base, paraît évidemment élevé, puisque gérer des droits requiert les mêmes opérations, et coûte donc autant d’euros, que la pension mensuelle obtenue au terme d’une carrière complète soit 300 €, 600 €, ou 1 200 €. Ce phénomène s’observe également en assurance maladie, où les complémentaires fonctionnent avec des frais de 10 % à 25 % des remboursements qu’elles effectuent, contre moins de 5 % pour la sécu. Ce qui réduirait fortement les frais de gestion des retraites, c’est l’instauration d’un régime universel !

Fillon et Les Républicains ont actuellement comme atout principal la nullité de leurs adversaires. On aimerait que, d’ici les élections, la raison de voter pour eux ne soit plus le choix du moindre mal, mais celui d’un candidat et d’un mouvement politique ayant un bon projet.

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Jacques Bichot est économiste, mathématicien de formation, professeur émérite à l'université Lyon 3. Il a surtout travaillé à renouveler la théorie monétaire et l'économie de la sécurité sociale, conçue comme un producteur de services. Il est l'auteur de "La mort de l'Etat providence ; vive les assurances sociales" avec Arnaud Robinet, de "Le Labyrinthe ; compliquer pour régner" aux Belles Lettres, de "La retraite en liberté" au Cherche Midi et de "Cure de jouvence pour la Sécu" aux éditions L'Harmattan.

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