Pigeons, dindons, cochons : c’est la révolution à la ferme !

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Par Charles Sannat Publié le 29 octobre 2012 à 13h09

Tout le monde est au courant, les moutons se sont mis en grève.

C’est Ernest qui a lancé l’idée. Il monte sur l’abreuvoir et prend la parole : pourquoi ce sont toujours les mêmes qui sont tondus ? Et pourquoi on ne fait pas des pulls en poil de chat, des chaussettes en duvet de canard, des caleçons en crin de cheval ou d’âne ?

Le troupeau tout entier hoche du museau. Encouragé, Ernest reprend de plus belle : Et qui a froid quand octobre arrive, et que le pré se couvre de gel au petit matin ? Les agneaux se regardent. Le moins timide lance : euh… nous ?

Qui du coup se met à tousser et à renifler ? - Nous ! - Et qui doit avaler des médicaments dégoûtants et supporter les piqûres du vétérinaire pour guérir ? - Nous ! Alors vous l’aurez compris, rien ne va plus à la Ferme du Bout du Pré. Lassés d’être tondus, une fois l’hiver venu, les moutons passent à l’action et se mettent… en grève ! Les chiens de berger parviendront-ils à maintenir l’ordre au sein de la ferme divisée ?

Evidemment, toute ressemblance avec des événements présents serait totalement fortuite… Quoique… Ce texte est issu du livre pour enfants (demandez à ma femme qui en est une fervente lectrice afin de politiser dès le plus jeune âge nos enfants !) de Jean-François Dumont, "La grève des moutons".



Après le mouvement des Pigeons, celui des dindons commence à gonfler, on peut même imaginer que nous aurons droit aussi à celui des moutons. Il faut bien comprendre qu’aucune catégorie ne souhaite être aujourd’hui le dindon de la farce. C’est un retour de bâton surprenant que prend le gouvernement. Il fallait que les impôts soient justes. C’est cela qui avait été expliqué par les socialistes. Or, de justice, il n’y en a point. D’où la cristallisation des mouvements anti-impôts pour ne pas parler de "jacqueries" modernes, facilités par Internet et les réseaux sociaux, qui sont des outils puissants pour fédérer des individualités.

Comment expliquer qu’en taxant à 65 % les chefs d’entreprises qui revendent on est juste, alors que dans le même temps l’idée de taxer à 0,5 % une œuvre d’art à l’ISF serait injuste ? Ce qui est admirable dans la dialectique de nos amis socialistes, c’est qu’en taxant les œuvres d’art à 0,5 % à l’ISF, voire pour les plus hautes tranches à 1,5 % de la valeur… cela va faire fuir nos tableaux à l’étranger.

Si je veux bien admettre ce raisonnement, nos mamamouchis du PS aurait dû se douter de la levée de boucliers d’une taxation à 65 % pour les entreprises ! Confondant de bêtise. Dimanche, c’est un véritable pavé qui a été glissé dans les chaussures du gouvernement par l’AFEP, l’Association française des entreprises privées. Elle regroupe ni plus ni moins que l’ensemble des plus grandes entreprises de notre pays. Nous pouvons l’ignorer. Ce serait une erreur politique et économique. Nous autres, citoyens-électeurs, sommes aussi les salariés de nos patrons.

En tant qu’employé, si mon patron à un problème, je sais que je vais avoir aussi un problème. Hélas, en France, nous aimons opposer notre patronat à notre salariat. Des vieux restes d’une lutte des classes dépassée. Ce qui ne veut pas dire que nous n’avons que de "saints" patrons. Loin de là d’ailleurs.



Que nous dit donc l’AFEP ? Qu’il faut baisser le coût du travail dans notre pays en transférant une grande partie des charges sociales (patronales) vers la TVA. C’était le fameux débat de la TVA sociale, lancé par Nicolas Sarkozy, qui nous avait fait un superbe rétropédalage sur ce sujet. C’était une erreur politique et économique.

Nous sommes dans un monde où nous refusons intellectuellement, mais également en raison d’accords internationaux. Le libre-échange est une religion que l’on ne peut pas attaquer… Pas encore en tout cas. Donc les moins crétins, qui savent faire une addition du type "1 + 1", ou plutôt une soustraction, ont quand même compris que les délocalisations massives, rendues possibles par la suppression de toutes barrières douanières, et des distorsions évidentes de concurrence en terme de différentiel de salaire entre un Chinois et un Européen nous condamnaient à perdre nos emplois au profit de ces pays à bas coûts.

Nos amis allemands ont donc taxé plus la consommation qui à 95 % se fait à partir de produits made in pays d’Asie et ont baissé le coût du travail. C’est une bonne idée économique. La TVA sociale, c’est du protectionnisme déguisé certes, mais cela ne peut que renforcer notre compétitivité. Le malheur, c’est que cela touche les prix à la consommation. Donc pauvre petit pauvre qui va devoir payer son Caddie 2 % de plus !

Un véritable drame social qu’un socialiste (ou en son temps le camp sarkozyste) se refusait d’assumer. C’est vrai que la perte de notre industrie et de nos emplois n’est pas un drame social d’une ampleur bien plus destructrice pour notre pays. Nous sommes stupides, nous raisonnons comme des pieds, et nous nous trompons.



Alors rassurez-vous, l’AFEP ne dit pas non plus que des choses intelligentes. Ils nous font aussi tout un topo sur l’exploitation des gaz de schistes. C’est l’exemple même de la fausse bonne idée. Nul ne peut ignorer les ravages environnementaux de l’exploitation des gaz de schistes. Le refus du Président sur ce sujet est une bonne chose et mon soutien sur ce point est total. Pourquoi ? Parce que je trouve stupide sous prétexte de créer un peu de croissance dans un monde de récession en exploitant ces gaz de pourrir pour l’éternité l’ensemble de nos nappes phréatiques.

Si la seule alternative que l’on me propose, c’est un peu plus d’emplois – sans que cela ne règle en plus définitivement le problème de sous-emploi – et les cancers assurés et la disparition de notre eau potable, ou alors de l’eau à boire mais pas de travail, je réponds sans hésiter que je préfère vivre d’amour et … d’eau fraîche ! Encore faut-il que cette eau soit buvable. Bon sang, les gaz de schistes pourrissent tout. On le sait !

Notre pays n’est pas aussi vaste que les USA dont 70 % des territoires sont vides ! Vides. La France est 17 fois plus petite que les États-Unis. C’est une évidence que tout le monde occulte dans ce débat. Enfin, l’eau étant juste l’élément de base nécessaire à la vie, on peut quand même dire que c’est important. Notre eau potable vaudra plus cher que leur gaz de schistes !

Alors imaginez la petite histoire suivante. "USA 2032. - Dis papa, demanda Bill, un petit américain de Denver âgé de 8 ans, pourquoi les Français ils ne veulent plus nous vendre de l’eau et qu’ils ont augmenté les prix comme ça ? - Tu sais, répondit le daddy (pas le sucre, le papa), tu n’étais pas encore né, mais dans les années 2010, lorsque j’étais jeune, nous avions décidé d’exploiter notre gaz de schiste. Nous avons, en quelques années, perdu l’ensemble de nos nappes phréatiques, mais, que veux-tu, nous avions des problèmes d’emplois alors on se disait qu’il fallait bien faire quelque chose.



Et puis tu sais, on ne pensait pas que la soupe de produits chimiques que l’on déversait dans des milliers de puits et de forages sous haute pression allait à ce point pour des siècles rendre notre eau impropre. Bref, tu sais, à cette époque, nous avons refusé d’en vendre pas cher aux Français… Ils ont eu une grosse crise économique. Mais leur Président de l’époque, que la CIA encouragée par le lobby de nos grandes entreprises pétrolières a tenté de faire assassiner, n’a jamais voulu que la France gâche ses ressources en eau. Beaucoup de Français pensent qu’il faut travailler pour vivre, mais pas qu’il faut vivre pour travailler. Qu’il ne fallait pas tuer l’environnement à long terme pour un gros profit à court terme.

Aujourd’hui, la France est le seul pays exportateur d’or bleu. C’est pour ça que l’on appelle cela le 3e choc de l’or bleu. A chaque fois que les Français veulent augmenter le prix de l’eau, nous sommes obligés de l’accepter car sinon nous mourrons de soif. - Mais dis papa, pourquoi on ne leur fait pas la guerre ? On pourrait leur apporter la démocratie américaine à eux aussi ? - Mais non mon chéri, la démocratie US ne peut être donnée qu’à des pays qui ne possèdent pas la bombe atomique. Or la France, si on l’attaque, se défendra. - Tu veux dire qu’on ne peut rien y faire et que les Français sont condamnés à être riches pour toujours alors que nous, il faudra qu’on leur achète notre eau toujours de plus en plus cher ? - C’est ça, mon bonhomme. Nous avons fait n’importe quoi.

Aujourd’hui, nous le payons. Et encore, les Français ne sont pas si méchants que ça car ils nous livrent toute l’eau dont nous avons besoin avec l’Aqualine sous l’Atlantique. Et puis comme ce sont les seuls à avoir de la bonne eau avec les Allemands, ils ont les meilleurs produits alimentaires. Alors du coup, l’Europe est devenue le continent le plus riche. - Tu veux dire papa qu’en refusant la facilité à court terme, ils ont permis à leurs enfants de devenir riches ? - C’est exactement ça."

Oui, il faut baisser notre coût du travail. Et nous devons aussi à tout prix protéger notre environnement qui sera la richesse de nos enfants dans un monde de pollutions et de dégradations. J’accepte une vie de pauvreté si mes enfants, par ce sacrifice, obtiennent une vie meilleure. Je refuse, alors que nos problèmes d’emplois sont clairement liés aux délocalisations et à l’automatisation, de croire que nous pouvons devenir riches facilement en exploitant quelques gisements sans nous préoccuper de l’état dans lequel nous laisserons notre environnement à nos enfants.

Il ne faut pas se leurrer. La terre, la forêt et l’eau ont de tout temps été la seule véritable richesse des peuples. L’ère du pétrole a un siècle… Une misère par rapport au plus de 10 000 ans de notre espèce sur cette planète. Ne nous trompons pas. Et n’oublions pas l’essentiel.

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Charles SANNAT est diplômé de l'Ecole Supérieure du Commerce Extérieur et du Centre d'Etudes Diplomatiques et Stratégiques. Il commence sa carrière en 1997 dans le secteur des nouvelles technologies comme consultant puis Manager au sein du Groupe Altran - Pôle Technologies de l’Information-(secteur banque/assurance). Il rejoint en 2006 BNP Paribas comme chargé d'affaires et intègre la Direction de la Recherche Economique d'AuCoffre.com en 2011. Il rédige quotidiennement Insolentiae, son nouveau blog disponible à l'adresse http://insolentiae.com Il enseigne l'économie dans plusieurs écoles de commerce parisiennes et écrit régulièrement des articles sur l'actualité économique.

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