Ici et maintenant versus partout et demain

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Par Hervé Goulletquer Publié le 6 août 2020 à 13h22
Union Europenne Crise France Allemagne
1074 MILLIARDS ?Le budget total de l'Union européenne pour 2021-2027 est fixé à 1.074 milliards d'euros.

La Banque d'Angleterre devrait décider de ne pas modifier son réglage de politique monétaire. On s'intéressera à l'ampleur de la révision à la hausse de ses vues en matière de croissance économique. Sachant qu'elle réaffirmera sa capacité à « en faire plus » si nécessaire. La posture est aujourd'hui presqu'universelle dans le « petit monde » des banques centrales, avec le sentiment pour l'observateur d'être confronté à une urgence qui dure.

L'UE a rogné les budgets portant l'ambition d'une Europe puissance. La situation économique actuelle l'exige peut-être. Mais, sur la durée, le continent ne trouvera sa place dans les affaires du monde quand s'y imposant.

Le comité de politique monétaire de la Banque d'Angleterre (BoE) présentera ses nouvelles conclusions à 09h00 ce matin. Le marché s'interroge beaucoup sur la possibilité de positionner le taux directeur en territoire négatif (il est actuellement à 0,1%) et d'augmenter la taille de l'enveloppe d'achat de titres (le programme de Quantitative Easing). Si le questionnement est légitime, tant l'époque traversée est difficile et la visibilité, réduite. Il n'empêche que la BoE devrait nous annoncer qu'elle a décidé de ne pas modifié son réglage monétaire.

Il faut se rappeler que l'activisme a été marqué au cours des derniers mois : baisse du taux directeur, refinancement des banques et programme d'achat de titres. Ce fût le cas le 19 juin dernier, date de la précédente réunion du comité, avec la décision d'augmenter la taille du QE de 100 milliards de GBP. Aujourd'hui, le temps est probablement surtout à prendre la mesure de là où en est l'économie, à anticiper vers là où elle devrait aller et à s'interroger sur les éventuelles nouvelles mesures à prendre dans un futur proche.

Revenons trois mois en arrière. La BoE explique que, face à l'incertitude forte rencontrée, elle ne présente, dans le cadre de son rapport trimestriel de politique monétaire, qu'un scénario illustratif et pas son classique jeu de prévisions actualisées. Elle envisageait alors une chute du PIB de 14% en 2020, suivi d'un rebond de 15% en 2021. La vue apparait aujourd'hui excessivement pessimiste. Le consensus Bloomberg table sur -9% cette année et +6% la suivante. L'Office for Budget Responsibility, institution en charge de fournir une analyse et des prévisions, produites de façon indépendantes, sur les finances publiques, envisageait à la mi-juillet en scénario central une baisse du PIB de 12,4%, puis une hausse de 8,7%.

Par ailleurs les hypothèses faites à l'époque en matière de politique sanitaire et budgétaire sont aussi à rafraîchir. Le dé-confinement est intervenu plus tôt et le soutien apporté par le gouvernement a été revu à la hausse, avec en particulier les mesures de chômage partiel étendu jusqu'à la fin octobre.

On le comprend ; un environnement moins dégradé qu'envisagé et des mesures de politique monétaire qui ont encore à se propager dans le système économique et financier (le classique effet-retard) donnent du temps à la banque centrale. Du temps à utiliser pour préparer les réponses à apporter à trois questions :

− Quel profil pour la croissance au cours des prochains trimestres ?

− Y aura-t-il de nouvelles initiatives de politique budgétaire et si oui lesquelles ?

− En fonction de la façon dont elle se positionne par rapport à ces deux points, quand mettre éventuellement en place de nouvelles mesures d'assouplissement ?

La croissance économique sera très forte en T3 et encore bien dynamique en T4. Par la suite, elle sera assurément plus faible, le processus « mécanique » de rattrapage étant largement effectué. Peut-on être plus précis ? Face à une incertitude qui resterait « épaisse », avec comme conséquence une reprise mollassonne de l'investissement des entreprises et un taux de chômage encore élevé, la crainte est que les chiffres déçoivent. Le gouvernement sera-t-il à même de soutenir toujours aussi fortement les entreprises et leurs employés ? Probablement pas. Ce qui vient renforcer la crainte d'une déception en termes de croissance. Fort d'une analyse de ce type, il est probable que la BoE se prépare à « en faire plus ». Pour agir si nécessaire à quelle date ? Le faire, si besoin, en novembre, au moment de la publication du nouveau rapport de politique monétaire, semblerait indiqué.

Concluons cette analyse sur la BoE en élargissant le débat. On le voit ; la macroéconomie pousse à se maintenir sur une trajectoire d'assouplissement du réglage monétaire. Ce qui veut dire qu'une fois encore on va laisser de côté les préoccupations d'endettement, de prix des actifs financiers et de mauvaise allocation des ressources ; avec assurément de bonnes raisons. Mais quand sera-t-il possible d'avoir un regard plus englobant sur l'action des banques centrales ? L'urgence ne doit durer qu'un temps et ne peut pas devenir un état permanent.

Changeons de sujet et revenons sur l'accord européen du 22 juillet. On en discutait en début de semaine ; le compromis s'est fait largement « sur le dos » de la capacité d'action disponible au niveau de la Commission, c'est-à-dire du centre de l'Union. Avec quelles implications en termes d'efficacité des mesures de politique économique à engager ? Une réponse tranchée n'est pas facile à proposer, même si on sent bien que l'attitude consistant à « rogner les ailes » de Bruxelles butera vite sur ses limites.

Revisitons le point, mais avec une perspective différente. Comment l'ambition de l'Union de s'affirmer comme une puissance géopolitique sort-elle du dernier Sommet européen ? En fait pas très bien, car les budgets correspondants ont été aussi fortement rognés. Ainsi le budget 2021 – 2027 de la coopération et de l'aide humanitaire, proposé initialement à 100 milliards d'euros, se montera à 80 milliards. De même les différents budgets relevant de la défense passent d'une proposition de 26,4 milliards d'euros à une décision de 13,5 milliards. Rappelons que le budget total de l'UE sur la période a été fixé à 1074 milliards d'euros.

Il est évidemment possible, voire justifié, de dire que l'Europe ne sera à même de se projeter en tant que puissance dans le reste du monde qu'à partir d'une situation économique assainie et renforcée et qu'à ce titre une hiérarchie évidente des priorités s'impose. Cela ne doit cependant pas empêcher de préparer le « coup d'après ».

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Hervé Goulletquer est stratégiste de la Direction de la gestion de La Banque Postale Asset Management depuis 2014. Ses champs d’expertises couvrent l’économie mondiale, les marchés de capitaux et l’arbitrage entre classe d’actifs. Il produit une recherche quotidienne et hebdomadaire, et communique sur ces thèmes auprès des investisseurs français et internationaux. Après des débuts chez Framatome, il a effectué toute sa carrière dans le secteur financier. Il était en dernier poste responsable mondial de la recherche marchés du Crédit Agricole CIB, où il gérait et animait un réseau d’une trentaine d’économistes et de stratégistes situés à Londres, Paris, New York, Hong Kong et Tokyo. Il est titulaire d’une maîtrise d’économétrie, d’un DEA de conjoncture et politique économique et diplômé de l’Institut d’Administration des Entreprises de Paris.

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