La semaine vue par Louis XVI : La Cour sera exemptée de tout effort

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Par Eric Verhaeghe Modifié le 20 avril 2013 à 10h07

Voici le royaume de France entré dans un moment fort périlleux de son histoire.

D'un côté, le peuple murmure. Le chômage croît chaque jour, et les Français ont peur de manquer. Partout ils attendent signaux bienveillants, encouragements et réassurances. Ils ne trouvent qu'indifférence, haussements d'épaule et de ton, surdité et arrogance.

D'un autre côté, la Cour t'a convaincu, cher François, comme elle m'avait convaincu moi-même, qu'elle ne peut faire plus pour partager la souffrance de la plèbe. Les hauts fonctionnaires qui t'entourent te disent que dans les bureaux, les couloirs, les ateliers de l'Etat, plus aucune diminution de dépenses ne peut s'imaginer.

Ils ont fait mouche! Car devant la lucarne magique, tu as dit à tes sujets que désormais les économies porteraient sur la sécurité sociale et épargneraient les charges et offices dispensés par tes soins. Ah! La jolie manoeuvre! Les faquins qui t'ont persuadé de ces balivernes t'ont magnifiquement circonvenu!

Car tu l'ignores sans doute, mais partout les robins et autres clercs augmentent leurs émoluments sans l'avouer, et prétextent de la dureté du temps pour ne point restreindre leur train de vie. Tu devrais, pour bien percer ce mystère, lire avec attention les bleus et les jaunes budgétaires que ton contrôleur général des Finances publie chaque année avant l'adoption de la loi des Finances. Il y détaille les coûts moyens de chaque haut fonctionnaire.

Lis, et tu t'apercevras toi-même que certains de tes fonctionnaires sont stipendiés comme s'ils étaient de vrais manufacturiers. Si j'en juge au talent qu'ils ont de le dissimuler et de te déterminer à agir en contradiction avec ce fait, j'en déduis que cette solde est bien méritée.

Mais examine maintenant la vérité sous le signe des symboles par le truchement desquels tes sujets la lisent. Que constates-tu? D'abord qu'aucun Français ne peut admettre sans contrariété les décisions que tu prends. Chacun d'entre eux a, dans sa famille, un fonctionnaire qui lui montre l'impropriété de tes mesures: l'un bénéficie d'abondance de congés, l'autre d'un réhaussement de sa solde, le dernier d'une promotion glanée au bénéfice de l'âge.

Ces témoignages de prospérité au milieu des malheurs des temps ne sont guère prudents. Même les gazettes qui te sont favorables soulignent ce fait. Par exemple, tu ne sembles pas vouloir agir pour modifier le droit à la retraite des fonctionnaires. Pourtant ceux-ci sont les mieux traités du royaume et les privilèges qu'ils engrangent deviennent de moins en moins supportables au tout venant. Pourquoi ceux qui ne sont guère menacés par la chômage peuvent-ils percevoir un revenu de remplacement pendant une période plus longue de dix ans que les salariés des manufactures? Pourquoi ce revenu de remplacement est-il calculé sur d'autres bases arithmétiques que les pensions des salariés?

Toutes ces questions appellent des réponses claires. Le silence est mauvais conseillers pour les esprits échauffés par la dureté de la vie quotidienne, taraudés par la peur des jours difficiles, prompts à tout caprice collectif dès lors que celui-ci apaise la peur et nourrit l'espérance. Et qu'espèrent les Français sinon un retour aux beaux jours de leur printemps doré, lorsque la vie était simple, facile, riches en labeur et en lendemains meilleurs?

Rassure-toi, je ne te jette aucune pierre. Je sais que tu n'as guère d'espace pour esbaudir ta gaillardise corrézienne. Dans ce palais où les jeux de pouvoir étouffent tout, même les yeux justes, tu n'es pas libre de tes mouvements. Tu dois arbitrer entre des contraires dont personne ne connaît la résolution, et j'imagine que souvent le doute t'assaille.

Dans ces moments, les éléments se liguent contre toi. As-tu besoin d'isolement, de communion avec la nature et la simplicité des choses? Tu décides de rejoindre ton fief de province. Et les chroniqueurs ne manquent pas de répandre la rumeur: il s'est retiré six fois en Corrèze depuis le début de son règne, mais n'a rendu visite ni à l'empereur de Chine, ni au président des Américains.

As-tu besoin de retrouver un lien intime avec tes sujets? Tu utilises un langage simple, adapté à l'entendement des petites gens, et tu parles, pour gouverner, de «boîte à outils». Sans barguigner, les chroniqueurs du régime persiflent et insinuent que tu n'as pas la stature pour assumer la charge que le peuple t'a confiée. Je sais combien ces félonies peuvent ruiner l'amour que le peuple te porte, s'il t'en porte encore. Et je sais combien le rejet que tu inspires paralyse l'action. Maintenant, quel parti dois-tu prendre pour préserver le cours de ton règne?

D'une part, tu peux, comme tu l'as annoncé, préserver la noblesse et faire payer au tiers état le prix du marasme qu'il subit sans l'avoir créé. Pour ce faire, les recettes que tu prônes sont d'ores et déjà connues.
D'abord, tu vas annoncer aux Français qu'ils partiront plus tard à la retraite. Cette décision est sans doute nécessaire, mais tu es probablement l'homme le moins bien placé pour imposer cette idée. Avant d'être élu, tu n'as en effet guère mâché tes mots sur cette solution, de telle sorte que la défendre demain fera de toi un renégat, une girouette ou un menteur. Comme je viens de te le dire, si tu n'appliques pas cette décision aux fonctionnaires, elle sera encore plus rejetée.

Ensuite, tu devras réduire les dépenses de santé, c'est-à-dire réduire l'accès de tous les Français à la guérison. Là encore, la prestidigitation sera à l'oeuvre: des médicaments plus chers, des hôpitaux plus rares, moins ouverts, mais des médecins épargnés par les économies et les grandes machines de la fonction publique hospitalière toujours aussi gourmandes d'argent et de main-d'oeuvre abandonnées à leur propre mouvement que personne ne parvient à subjuguer.

Enfin, tu devras réduire les allocations familiales et toutes ces dépenses qui allègent le prix de l'éducation que les Français dispensent à leurs enfants. Dans le même temps, tu réduis le temps passé à l'école. Tu organises ainsi le mécontentement de tes sujets qui paieront plus d'impôts, disposeront de moins de services de l'Etat, et recevront moins d'aides pour assumer leurs dépenses par ailleurs.

Souviens-toi, François, deux choses comptent plus que tout dans la vie des Français: la santé et l'éducation de leurs enfants. Pour ne point contrevenir à la volonté des fonctionnaires, tu t'attaques pourtant à ces deux mamelles du bonheur national, en réduisant les dépenses au profit de tous, en préservant le bonheur de quelques-uns.

Face à ces périls, tu pourrais faire le choix que je ne fis pas en mon temps: mettre la Cour au pas, reprendre autorité sur elle et lui imposer les mesures de salut public qu'elle refuse obstinément. Elle ne veut pas que tu touche à ses émoluments? Laisse-les lui. Mais annonce que les 50.000 fonctionnaires les mieux payés devront tous payer une contribution de 6.000 euros dans l'année, aux fins de soulager les misères du peuple.

Prends sur toi d'annoncer cette mesure symbolique qui ne te rapportera que 300 millions d'euros, et tu observeras son effet sur le peuple: son amour pour toi reviendra et tous les Français se rassembleront sous ta bannière pour retrouver la prospérité.

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Né en 1968, énarque, Eric Verhaeghe est le fondateur du cabinet d'innovation sociale Parménide. Il tient le blog "Jusqu'ici, tout va bien..." Il est de plus fondateur de Tripalio, le premier site en ligne d'information sociale. Il est également  l'auteur d'ouvrages dont " Jusqu'ici tout va bien ". Il a récemment publié: " Faut-il quitter la France ? "

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