Smart et la mort lente de l’anarcho-syndicalisme

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Par Eric Verhaeghe Modifié le 29 octobre 2015 à 15h08
Smart
@shutter - © Economie Matin
56%56% des salariés de Smart se sont prononcés pour un retour aux 39 heures.

Le referendum de l’usine Smart met en difficulté le syndicalisme français traditionnel.

La France a toujours été fâchée avec le syndicalisme d’adhésion et de représentation des salariés. Elle lui a préféré, à la différence de ses voisins, un syndicalisme de rupture, de confrontation, dont la Charte d’Amiens en 1906 fut à la fois l’acte de naissance et l’emblème séculaire. Exproprier les patrons au lieu de négocier avec eux, tel était le mot d’ordre de cet anarcho-syndicalisme, qui se méfiait autant des partis politiques que des logiques de « dialogue social » comme on dit aujourd’hui.

La Grande crise de 2008 précipite la décomposition de ce modèle fondé sur le recours à la grève comme moyen de pression et comme manifestation symbolique de l’action collective. Progressivement, la négociation et l’action juridique se substituent à ces formes anciennes. De son côté, le monde patronal recourt volontiers au referendum pour couper l’herbe sous le pied du syndicalisme de combat.

Le referendum comme nouvelle arme patronale

Longtemps, les grandes confédérations représentatives sont parvenues à bloquer le droit patronal au referendum d’entreprise. Elles avaient toutes bien compris le menace qui pesait sur leur représentativité. Alors que le délégué syndical est désigné par son organisation et tient sa légitimité de cette désignation, le referendum instaure le principe de l’élection et court-circuite l’intermédiation syndicale.

L’affaire Smart le montre. Alors que les syndicats majoritaires dans l’entreprise sont hostiles à un accord de compétitivité qui augmente le temps de travail et diminue les rémunérations en échange d’un maintien de l’emploi, les salariés (et singulièrement les cadres) ont voté en sa faveur. Deux syndicats (CFTC et CGC), qui représentent 47% des salariés aux dernières élections au comité d’entreprise, ont d’ailleurs signé le texte négocié avec la direction.

La manoeuvre patronale est redoutable, dans la mesure où elle tue la légitimité des « corps intermédiaires » que sont les délégués syndicaux et les élus au comité d’entreprise, au profit d’une démocratie directe dont personne n’a mesuré jusqu’ici les effets structurants à long terme.

La victoire du syndicalisme de négociation

Juridiquement, les syndicats majoritaires de Smart (CFDT et CGT) peuvent faire valoir leur droit d’opposition à l’accord négocié par les minoritaires. Toute la difficulté dans le cas présent tient aux résultats du referendum organisé dans l’entreprise. Les opposants à l’accord sont majoritaires aux élections au comité d’entreprise, mais ils sont minoritaires sur la question de l’accord de compétitivité soumis au referendum.

Pour les majoritaires, la situation est évidemment intenable. Ils remporteront incontestablement une victoire juridique, en bloquant un accord qu’ils condamnent. Mais, politiquement, leur défaite sera durable et bien plus large que les murs de l’entreprise elle-même. Ils vont en effet administrer la preuve que les « corps intermédiaires » profitent de rentes ennemies de l’emploi et s’opposent par tous les moyens à la volonté des salariés.

La même rupture était apparue de façon embryonnaire dans le conflit Sephora où les syndicats du commerce parisien s’opposaient à une ouverture le dimanche qui avait reçu des soutiens parmi les salariés du groupe.

D’une certaine façon, la direction de Smart est parvenue à cornériser l’ensemble de l’anarcho-syndicalisme en dévoilant la fragilité de ses bases « politiques »: une stratégie de contestation peut être ruinée par un recours au referendum interne.

L’action juridique plutôt que la grève

L’arme du referendum constitue donc un véritable séisme pour le syndicalisme français traditionnel, celui hérité de l’arrêté ministériel qui reconnaissait une présomption irréfragable de représentativité à la bande ces 5 choisis par le pouvoir comme dignes d’exister: la CGT, la CFDT, la CFTC, la CGC et FO. Désormais, l’action syndicale « représentative » selon le bon vouloir du prince entre en concurrence avec l’expression libre des salariés.

Cette concurrence nouvelle a pour premier effet de disqualifier fortement la grève, ou en tout cas de la rendre périlleuse. Un syndicat qui appelle au conflit et qui est démenti par un referendum organisé par la direction se met en position extrêmement délicate au sein de l’entreprise et y perd pour longtemps sa crédibilité.

Cette modification du rapport de force explique que les organisations les plus dynamiques comme le Clic-P, l’intersyndicale du commerce parisien, aient d’ores et déjà changé leur fusil d’épaule. Au lieu d’organiser des grèves ou des conflits ouverts avec les employeurs, ces organisations utilisent plutôt leur qualité à agir devant les tribunaux pour obtenir des condamnations contre les entreprises qui dérogent de façon défavorable aux textes légaux en vigueur.

Ce changement de stratégie risque toutefois d’être fortement contrarié par la future loi sur le dialogue social. Dans l’hypothèse où les entreprises auraient désormais la faculté de déroger à la loi sur un certain nombre de chapitres par accords majoritaires, l’action juridique sera de plus en plus complexe à mener. Ce petit point technique risque donc de rendre les discussions sur ce texte particulièrement houleuses et tendues.

Article écrit par Eric Verhaeghe paru sur son blog et sur Décider et Entreprendre.

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Né en 1968, énarque, Eric Verhaeghe est le fondateur du cabinet d'innovation sociale Parménide. Il tient le blog "Jusqu'ici, tout va bien..." Il est de plus fondateur de Tripalio, le premier site en ligne d'information sociale. Il est également  l'auteur d'ouvrages dont " Jusqu'ici tout va bien ". Il a récemment publié: " Faut-il quitter la France ? "

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