Environnement : nouveau décret sur les haies, entre simplification administrative et coût caché pour les exploitants

Derrière le projet de décret visant à simplifier la destruction des haies dans le monde agricole se dessine un enjeu économique de taille : celui de l’investissement, de la productivité et des arbitrages fonciers dans les exploitations. Si l’intention affichée est de faciliter les démarches, ce texte pourrait bien bouleverser l’équilibre entre contraintes environnementales et impératifs économiques pour les agriculteurs.

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By Rédaction Published on 28 novembre 2025 11h04
haies décret
Environnement : nouveau décret sur les haies, entre simplification administrative et coût caché pour les exploitants - © Economie Matin
1 000Pour une haie de 1 000 mètres, la charge s’établirait donc entre 6 000 et 15 000 euros.

Le 24 mars 2025, la Loi d’orientation pour la souveraineté alimentaire et le renouvellement des générations futures (OSARGA) a été promulguée, intégrant pour la première fois un cadre juridique unifié pour les haies agricoles. Depuis le 20 novembre 2025, un décret d’application est soumis à consultation publique. Il prévoit une simplification administrative de la destruction des haies. Derrière cette réforme réglementaire se cachent des enjeux financiers cruciaux pour le monde agricole, où chaque mètre linéaire de haie est à la fois un coût, un atout écologique et une perte potentielle de surface productive.

Réduction des coûts de procédure : un levier d’optimisation foncière pour les exploitations

Pour les exploitants agricoles, les procédures actuelles de destruction de haies relèvent d’un parcours administratif souvent dissuasif, mobilisant plusieurs services et impliquant de nombreux délais. Le nouveau décret prévoit de centraliser l’ensemble des démarches au sein d’un guichet unique préfectoral, instaurant un régime de déclaration ou d’autorisation unique, selon les cas.

Selon une estimation de l’Association nationale des exploitants agricoles (ANEA), le coût indirect d’un dossier de destruction de haie — entre constitution du dossier, temps passé, retards et pertes de production — peut varier entre 800 et 1 500 euros par chantier. La réforme pourrait réduire ce coût de moitié, en limitant le nombre d’intervenants administratifs et en encadrant les délais de réponse à deux mois maximum.

En termes de gestion de surface, chaque haie retirée peut libérer entre 2 et 5 % de surface utile à l’échelle d’une parcelle. À l’heure où les charges d’exploitation explosent, notamment sur l’énergie et les intrants, la capacité à étendre les surfaces en production représente un gain stratégique non négligeable.

Des haies coûteuses à entretenir : le décret soulage une charge récurrente

Outre les procédures de suppression, l’entretien des haies représente un coût régulier pour les exploitants. Selon une étude publiée en 2022 par la Chambre d’agriculture de Bretagne, le coût moyen annuel d’entretien d’une haie bocagère est estimé à 2,80 euros par mètre linéaire, soit plus de 5 000 euros par an pour un linéaire de 2 km.

Or, pour les exploitations de taille moyenne, cette charge récurrente est rarement compensée, faute de subventions ciblées ou de valorisation économique directe. Si certaines haies peuvent fournir du bois énergie ou du paillage, ces filières demeurent marginales et peu structurées à l’échelle nationale. Dans ce contexte, le décret est perçu par plusieurs syndicats agricoles comme une "opportunité de souplesse économique", selon les mots de l’Union nationale des producteurs céréaliers, citée dans Réussir.

Compensation obligatoire : un coût différé et incertain pour les agriculteurs

Toutefois, la suppression d’une haie ne sera pas gratuite. Le décret impose une obligation de compensation intégrale : chaque mètre détruit devra être replanté, dans un délai de dix-huit mois. Si cette obligation vise à limiter les effets négatifs sur la biodiversité, elle représente aussi une dépense significative.

Selon l’Institut de l’économie rurale, le coût de plantation d’une haie neuve varie entre 6 et 15 euros par mètre, selon le choix des essences, les contraintes topographiques et le besoin en protections contre les ongulés. Pour une haie de 1 000 mètres, la charge s’établirait donc entre 6 000 et 15 000 euros. Or, aucune aide directe n’est, à ce jour, prévue par le décret pour couvrir cette opération — même si des dispositifs de soutien régionaux pourraient ultérieurement s’y greffer.

Cette dépense est d’autant plus problématique que le retour sur investissement d’une haie neuve, en termes de bénéfices agronomiques (ombrage, lutte contre l’érosion, amélioration du microclimat) n’intervient qu’à moyen ou long terme. En attendant, la trésorerie de l’exploitation doit absorber cette charge, ce qui constitue un frein pour les plus petites structures.

L’effet incitatif du guichet unique : un risque de dérive économique ?

Le décret prévoit la mise en place d’un guichet unique numérique, accessible via le site de chaque préfecture, pour faciliter la déclaration des projets de destruction. Cette plateforme, censée fluidifier les démarches, risque paradoxalement de créer un effet d’aubaine.

Dès lors que les coûts d’entrée administratifs sont abaissés, certains exploitants pourraient être tentés de multiplier les demandes de destruction à des fins de réorganisation foncière, notamment dans les zones à fort potentiel agronomique ou dans un objectif de regroupement parcellaire. Ce phénomène est redouté par plusieurs acteurs de la filière bois-énergie et agroforesterie, qui y voient un risque de recul économique de la filière haie, en cours de structuration.

Comme le souligne le Conseil national de la protection de la nature (CNPN) dans son avis défavorable rendu le 20 novembre 2025, cette simplification "pourrait inciter à une vague de destructions motivées davantage par des intérêts économiques à court terme que par des impératifs agronomiques".

Une politique de haie encore mal articulée avec les incitations économiques

L’une des grandes limites du décret réside dans l’absence de lien clair avec les politiques d’aides économiques déjà en place. À titre d’exemple, le plan "Plantons des haies", lancé en 2021, prévoit une subvention de 4 euros par mètre linéaire planté. Mais cette aide est plafonnée à certains projets de reconstitution et exclut les cas de compensation.

Ce décalage entre incitations environnementales et logiques économiques constitue un angle mort du décret. Tant que la plantation d’une haie ne sera pas perçue comme un actif productif (rémunéré ou valorisé), son maintien sera considéré comme un passif foncier par les exploitants, malgré ses fonctions écosystémiques.

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