La Cour des comptes a publié le 14 janvier 2025 un rapport intitulé « La filière EPR : une dynamique nouvelle, des risques persistants » qui s’attache à reporter aux calendes grecques une relance du nucléaire français voulue désormais par la majorité des français.
Nucléaire : quand la Cour des comptes outrepasse son rôle

Cette honorable institution (crée sous Napoléon, en 1807) offre généralement des rapports bien étayés qui s’inscrivent dans le cadre de sa mission qui est d’analyser les aspects économiques et financiers d’un sujet donné.
Or, elle outrepasse manifestement son rôle dans ce dernier rapport.
Faut-il freiner le nucléaire ?
La Cour recommande de « retenir » la décision finale d’investissement du programme des six nouveaux premiers réacteurs nucléaires EPR2 prévus dans la programmation pluriannuelle de l’énergie (PPE3), et tout investissement à l’international. Il faudrait démontrer des gains avant toute réalisation pour ne pas ralentir un programme français qu’elle recommande de… « freiner » (sic).
Le rôle de la Cour des comptes est de contrôler, certifier, juger et évaluer les comptes publics, et également d’apprécier les politiques publiques.
Or, dans ce rapport, elle s’arroge le droit de recommander au gouvernement et aux élus un coup de frein aux objectifs de relance du nucléaire, sans avoir les compétences industrielles requises. Elle présente une analyse à courte vue d’une industrie nationale majeure, exportatrice, et vitale pour la souveraineté nationale. Cette institution sort de son rôle en étendant ses prérogatives aux dépens des élus et du gouvernement, mais aussi des industries nationales.
Un relent antinucléaire
Cette même institution ne s’était guère inquiétée du programme d’électrification 100 % renouvelable proposé il y a quelques années par des ministres successifs de l’environnement qui jugeaient cette hypothèse « techniquement réalisable ». Elle s’est alors révélée incapable de faire un bilan financier solide du programme correspondant.
Faut-il s’en étonner quand siège dans ses rangs François Brottes, un Conseiller maître en service extraordinaire ? Ce dernier, qui a débuté comme animateur social puis de radio, avait résolument combattu le nucléaire, proposé et approuvé l’arrêt de 12 réacteurs nucléaires avant 2025 (soit une puissance électrique de 14 gigawatts) dans la loi dite « LTECV » de 2016, et promu une électricité tout renouvelable quand il était Président de RTE. Il avait même déclaré avec aplomb « qu’il y a toujours du vent quelque part », ce qui ne s’est jamais vérifié.
Ce fossoyeur du nucléaire, faute d’avoir été renouvelé à son poste, a été nommé au poste de conseiller maître en service extraordinaire à la Cour des comptes en 2020. A ce titre, il prend part aux décisions collégiales de la Cour des comptes concernant les jugements des comptes des comptables publics et « apporte son expertise sur les questions énergétiques et économiques » comme ancien président de RTE et de la commission des affaires économiques de l'Assemblée nationale.
Comment ne pas penser qu’il a pu peser sur les conclusions de ce rapport ? Comment oublier sa pitoyable audition en décembre 2022 devant la « Commission Schellenberger » sur la souveraineté et l’indépendance énergétique de la France ?
Quelques points positifs
Le rapport présente aussi (heureusement) des points positifs : la filière industrielle nucléaire française s’est restructurée, la gouvernance du nucléaire a été réformée, un vaste travail d’audit, d’évaluation des coûts et des contraintes a été lancé, et des programmes ont été engagés pour développer les compétences et anticiper les besoins de recrutements massifs des prochaines années.
Mais cet acquis est entaché d’une vision négative du passé. Certes, l’EPR de Flamanville, qui est un prototype faut-il le rappeler, a été livré avec beaucoup de retard et a coûté cher (avec des frais financiers considérables). Mais doit-on se fonder pour agir sur le prix d’un prototype ? Cela a-t-il été fait pour le solaire en 2005 et pour l’éolien flottant aujourd’hui ?
Pourquoi ne pas reconnaître le bon fonctionnement des EPR chinois et de l’EPR finlandais, pourtant aussi des prototypes dans leurs pays ? Le langage employé dans ce rapport est proche de celui des tenants de la politique antinucléaire du passé, dont beaucoup sont toujours en place…
La Cour outrepasse son rôle
La Cour des comptes va au-delà de ses missions. Elle tente de se substituer au pouvoir politique et au Conseil d’administration d’EDF, en s’arrogeant un rôle pour lequel elle n’a pas de compétences particulières. Le risque industriel demande certes une gestion prudente, mais également dynamique avec une vision stratégique à long terme. C’est un métier dans un environnement technico-économique difficile. Les concurrents internationaux se réjouissent de la lenteur de la France et bénéficient parfois de soutiens considérables dans d’autres pays avec moins de contraintes réglementaires.
La Cour des comptes aurait pu rappeler les dégâts de la politique passée avec 20 ans de non-décisions, EDF pillé avec le tarif de l’ARENH pour alimenter une fausse concurrence qui est sans responsabilités réelles dans l’équilibre du réseau électrique, ce qui lui était demandé, et qui s’est honteusement enrichie sans investir.
Plutôt qu’une nouvelle tentative de report du programme, la relance du nucléaire méritait mieux d’une si haute instance qui aurait pu prodiguer des conseils pour supprimer des obstacles inutiles, faciliter le financement d’un investissement à long terme, accélérer les multiples procédures génératrices de frais financiers considérables, s’ouvrir à l’international.
Les rédacteurs du rapport ont-ils oublié qu’il s’agit d’une technologie nationale, porteuse d’emplois dans de multiples entreprises et dans tous les domaines de la technologie ?
Ont-ils oublié qu’elle contribue à réduire le déficit de notre balance commerciale ? Comment accepter une vision à si courte vue, une ignorance de la vraie valeur d’un secteur industriel majeur pour notre économie et la relance de nos activités industrielles ?
La Cour des comptes est muette sur l’extraordinaire apport du programme Messmer pour la France, un modèle dont les Français vont encore bénéficier pendant des décennies. Pendant ces semaines froides d’hiver, 55 gigawatts de nucléaire fournissent parfois jusqu’à plus de 80% d’électricité aux Français quand le soleil hivernal et l’éolien sont souvent aux abonnés absents.
Il y a urgence : EDF et son actionnaire , l’État doivent s’engager
L'entreprise EDF fut un temps dirigée avec succès de 1967 à 1987 par un économiste (Marcel Boiteux) qui, lui, avait compris l'importance de la technique et de la technologie pour répondre aux besoins en électricité de la France et de l’Europe et qui a établi les bases d’EDF, cette grande entreprise devenue internationale. Il reste encore comme un exemple de dirigeant efficace dans l’organisation et la constitution de l'équipe dirigeante. L’électricité est un bien national, elle irrigue notre société et sa caractéristique, une livraison instantanée, en fait un vecteur énergétique dont la maîtrise doit être constante. Il faut assurer les livraisons dans l’instant, mais aussi à long terme : le nucléaire est un atout maître pour notre pays.
Devenons sérieux : En 1973, suite au rapport PEON, le premier ministre Pierre Messmer annonce la construction de « treize centrales nucléaires de 900 MW ». Le première sera mise en service industriel en moins de 7 ans. Nous sommes en 2025 et, si EDF s’est engagée sur ses fonds propres dans le développement d’un EPR optimisé, aucun engagement sérieux de l’État après le discours de Belfort ne se profile. Le rapport Collet-Billon/d’Escatha, de juillet 2018, recommandait pourtant l’engagement de 6 nouveaux réacteurs EPR et une programmation nucléaire dans une perspective de continuité. C’était il y a six ans et demi.
La France attend toujours un homme comme Messmer aux portes de la cité industrielle.
Par Jean-Pierre Pervès et Michel Gay, Le 22 janvier 2025