Pour protéger son acier face au marché chinois, l’Union européenne sort le grand jeu

L’Union européenne dévoile un virage protectionniste assumé pour son acier : réduction de près de moitié des quotas d’importation et relèvement des droits applicables au-delà à 50 %. Objectif affiché : enrayer l’effondrement d’une filière stratégique plombée par la Chine, l’énergie chère et la demande atone.

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By Adélaïde Motte Published on 7 octobre 2025 9h50
Pour Proteger Son Acier Face Au Marche Chinois Lunion Europeenne Sort Le Grand Jeu
Pour protéger son acier face au marché chinois, l’Union européenne sort le grand jeu - © Economie Matin
70 %La production d’acier européen ne tourne plus qu’à 70 % de ses capacités

Bruxelles entre en résistance pour défendre son acier

L’annonce est tombée ce mardi 7 octobre 2025 à Bruxelles : la Commission européenne a confirmé un durcissement de ses règles commerciales sur l’acier. Les quotas d’importation seront réduits de près de moitié, et les droits de douane applicables au-delà grimperont de 25 % à 50 %. Une mesure d’urgence pour enrayer la spirale du déclin sidérurgique en Europe. D’après les chiffres de la Commission, la production d’acier européen ne tourne plus qu’à 70 % de ses capacités, contre plus de 90 % avant la crise énergétique de 2021.

Cette politique protectionniste s’inscrit dans un contexte explosif. Les producteurs chinois, soutenus par de lourdes subventions publiques, inondent le marché mondial avec un acier à bas prix. En 2024, la Chine a produit plus de 1 000 millions de tonnes, soit la moitié de la production mondiale, quand l’ensemble de l’Union européenne n’en a généré qu’à peine 130 millions. Stéphane Séjourné, commissaire à l’Industrie, a défendu ce virage comme un « acte de souveraineté industrielle » visant à « redonner de l’air à un secteur essentiel à la défense et à l’énergie ». Cette décision a été approuvée à l’unanimité des États membres, y compris l’Allemagne, habituellement prudente sur les barrières douanières.

Acier européen : des quotas réduits et des droits doublés

Concrètement, la réforme abaisse les volumes d’acier pouvant être importés sans surtaxe d’environ 45 %. Au-delà de ces seuils, un droit additionnel de 50 % s’appliquera dès le premier trimestre 2026. Les autorités européennes souhaitent ainsi « freiner les importations opportunistes », selon un document interne. L’acier chinois, turc ou indien sera le premier concerné, mais l’ensemble des flux hors Union sera soumis à un contrôle trimestriel renforcé.

Les quotas seront désormais ajustés selon la consommation réelle de chaque État membre, afin de mieux coller aux besoins industriels. Bruxelles veut aussi éviter le phénomène de « ruée sur les licences », observé chaque début de trimestre. Le système de gestion électronique des quotas sera donc révisé pour intégrer une clause d’alerte automatique. En parallèle, les anciens plafonds introduits en 2019 sont abrogés : le nouveau cadre s’aligne sur la moyenne d’importations de 2012 à 2015, considérée comme plus représentative d’un marché normal.

Un protectionnisme assumé, adossé à la décarbonation de l’acier

Ce virage n’est pas seulement commercial : il est aussi politique et environnemental. La Commission justifie sa ligne dure par la nécessité de financer la transition vers un acier bas carbone. L’Europe compte une trentaine de projets de fours électriques ou d’unités à hydrogène vert, mais leur rentabilité est menacée par la concurrence d’un acier asiatique produit au charbon, vendu jusqu’à 30 % moins cher. En verrouillant son marché, Bruxelles espère soutenir un cycle d’investissement évalué à 35 milliards d’euros d’ici 2030.

Le commissaire Séjourné l’a répété devant le Parlement européen : « Ce n’est pas du protectionnisme idéologique, mais de la réciprocité économique. » Paris a salué la mesure. Emmanuel Macron a déclaré qu’il fallait « protéger secteur par secteur l’industrie européenne », reprenant une idée selon laquelle le protectionnisme sélectif devient un outil de politique industrielle. En Allemagne, le ministre de l’Économie Robert Habeck a lui aussi soutenu la décision, estimant que « la sidérurgie ne peut pas être la variable d’ajustement d’une concurrence déloyale mondiale ».

Quelles conséquences pour les entreprises et les consommateurs européens ?

Pour les producteurs d’acier, ce renforcement est vécu comme une bouffée d’oxygène. Les grands groupes européens, d’ArcelorMittal à Thyssenkrupp, ont salué une « mesure de survie ». Le PDG d’ArcelorMittal Europe a précisé que les importations avaient bondi de 30 % en un an, faisant chuter les prix intérieurs de 15 % : « Nous étions au bord de la fermeture de plusieurs hauts-fourneaux », a-t-il confié à BFMTV. À Dunkerque, Liège ou Tarente, cette décision pourrait préserver jusqu’à 25 000 emplois directs et indirects, selon les syndicats.

Pour les acheteurs industriels – automobile, construction, mécanique –, le risque immédiat est celui d’une hausse des coûts. Certains fabricants redoutent des retards d’approvisionnement ou un renchérissement de 5 à 10 % de l’acier spécialisé. Mais Bruxelles mise sur la stabilité : la réduction des importations massives devrait éviter des faillites en chaîne dans la filière. En parallèle, le Fonds européen pour une transition verte prévoit 4 milliards d’euros d’aides ciblées pour compenser les surcoûts de production liés à la décarbonation. Autrement dit, les mesures protectionnistes s’accompagnent d’un soutien industriel direct. De quoi faire craindre à certains la création d'une nouvelle usine à gaz, alors que d'autres mesures de simplification réglementaires ou fiscales auraient peut-être pu résoudre le problème.

Une Europe plus ferme face à la Chine et aux États-Unis

L’Union européenne assume désormais une posture de fermeté face à Pékin et Washington. Depuis juin, les États-Unis imposent eux aussi des droits de 50 % sur l’acier chinois. Sans réaction européenne, une partie des exportations asiatiques risquait d’être redirigée vers le Vieux Continent. Ce risque de « détournement de flux » a été déterminant dans la décision de Bruxelles. La Chine a déjà exprimé son mécontentement et menacé de déposer un recours auprès de l’Organisation mondiale du commerce (OMC).

De son côté, le Royaume-Uni redoute un afflux massif d’acier réorienté vers ses ports. Le gouvernement britannique envisage donc d’adopter des mesures similaires pour éviter un choc concurrentiel.

Ade Costume Droit

Diplômée en géopolitique, Adélaïde a travaillé comme chargée d'études dans un think-tank avant de rejoindre Economie Matin en 2023.

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