Bloquer le soleil ? Le test secret qui a échoué en Californie

Un projet secret. Des financements colossaux. Un objectif insensé. L’expérience menée dans la baie de San Francisco avait tout pour faire trembler le ciel — littéralement. Ce qui s’est réellement passé dépasse de loin les hypothèses les plus audacieuses des climatologues… et des scénaristes de science-fiction.

Paolo Garoscio
By Paolo Garoscio Published on 28 juillet 2025 6h20
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soleil-experimentation-blocage-ingenierie-nuage - © Economie Matin
10%L’ADEME a chiffré fin 2023 le coût de l’inaction climatique à 10% du PIB

C’est une date qui pourrait marquer un tournant dans la lutte contre le réchauffement climatique… ou une alerte gravée dans la mémoire collective. Le 17 juillet 2025, un projet d’expérimentation scientifique hors normes a été interrompu in extremis dans la baie de San Francisco. Objectif ? Diminuer l’intensité du rayonnement solaire à la surface de la Terre, en modifiant artificiellement la couverture nuageuse. Un projet de masquage solaire — oui, littéralement, un bouclier contre le soleil.

Derrière cette opération se cachait une coalition discrète mais redoutablement puissante : des scientifiques de l’Université de Washington, une organisation nommée SilverLining, des mécènes fortunés issus de la Silicon Valley… et un porte-avions désaffecté de la Seconde Guerre mondiale, l’USS Hornet, reconverti en base d’expérimentation flottante. L’idée ? Pulvériser de fines particules de sel marin pour brillantiser les nuages, augmentant ainsi leur pouvoir réfléchissant.

Cacher le soleil en Californie ? L’idée fait « pschit »

Tout était prêt. Le financement était assuré, la logistique rodée, les scientifiques motivés. Mais l’expérience a duré moins longtemps qu’un bulletin météo : vingt minutes, montre en main.

Pourquoi cet échec fulgurant ? Parce que la population locale, les autorités municipales d’Alameda, et plusieurs élus de l’État ont découvert l’existence du test trop tard — et en ont exigé l’arrêt immédiat. « Il est inconcevable qu’un tel test soit mené sans consultation publique préalable », a dénoncé une élue de la ville, citée dans Politico, le 27 juillet 2025.

La décision de tout suspendre fut prise en urgence. Le porte-avions USS Hornet, amarré dans le port de San Francisco, est resté muet. Pas de panaches dans le ciel. Pas de simulation. Juste un rêve de géo-ingénierie évaporé dans l’air salin de la baie.

Manipuler l’atmosphère pour réduire le soleil

Ce test, baptisé « marine cloud brightening », s’inscrivait dans une tendance inquiétante de la recherche climatique : celle des techniques dites de géo-ingénierie solaire. Concrètement, il s’agit de manipuler l’atmosphère pour réfléchir une partie de l’énergie du soleil — en diffusant par exemple des aérosols dans la stratosphère ou en modifiant les nuages marins. L’objectif : ralentir, ou stabiliser, l’augmentation des températures planétaires.

Mais ces expérimentations divisent profondément la communauté scientifique. Nombreux sont ceux qui y voient une fuite en avant technologique, voire une prise de contrôle risquée du système climatique terrestre. « Ce genre de manipulation pourrait avoir des effets imprévisibles sur les courants atmosphériques, les précipitations, voire provoquer des déséquilibres régionaux », alertait récemment la climatologue Sarah Doherty, membre du projet, dans une déclaration transmise à Scientific American le 23 juin 2024. Le projet avorté en Californie n’est pas un cas isolé. En mars 2024, une autre tentative de masquage solaire menée en Suède par l’Université de Harvard avait elle aussi été annulée, après une vague d’opposition publique. Deux annulations en moins de six mois.

Les milliardaires payent pour réduire le rayonnement solaire

Ce qui frappe, au-delà de l’ambition technologique, c’est le profil des financeurs. Parmi eux : Rachel Pritzker (fondatrice du Pritzker Innovation Fund), Chris Larsen (cryptomilliardaire), le couple Chris et Crystal Sacca (capital-risqueurs), ou encore Alan Eustace (ex-dirigeant chez Google). Tous convaincus de la nécessité d’accélérer la recherche sur la géo-ingénierie à défaut de vouloir changer réellement les choses, réduire leur empreinte carbone et améliorer la vie sur Terre.

« Nous continuerons à financer ces expérimentations pour comprendre si elles sont viables et souhaitables », a affirmé Rachel Pritzker dans un communiqué relayé par Scientific American. Quant à David Spergel, président de la Simons Foundation, il a déclaré : « Nous voulons établir une base scientifique solide pour évaluer les coûts et les bénéfices des injections d’aérosols stratosphériques ou du brillantement des nuages ».

Le plus étonnant ? Selon Scientific American, la Quadrature Climate Foundation prévoit d’investir 40 millions de dollars dans ces recherches au cours des trois prochaines années. Une somme équivalente à l’ensemble des fonds injectés entre 2008 et 2018 par tous les mécènes du domaine.

Une expérimentation ultrasecrète

Le test de juillet 2025 avait été conçu dans un silence quasi-total. Aucun débat public. Aucune étude d’impact locale. Les élus d’Alameda n’ont été informés qu’en dernière minute, provoquant un scandale local relayé nationalement. Le porte-avions USS Hornet, pourtant emblème de l’histoire navale américaine, a failli devenir l’épicentre d’un bouleversement climatique expérimental.

Kelly Wanser, directrice de SilverLining, a affirmé dans Scientific American que sa structure avait financé environ 10 % du projet. « Il n’y a pas d’argent issu des énergies fossiles », a-t-elle précisé. « Ce sont des financements climatiques philanthropiques. »

Malgré ces échecs, les promoteurs du masquage solaire ne désarment pas. L’Université de Washington et ses partenaires affirment, dans un communiqué commun, être « déjà en train d’explorer d’autres pistes » pour poursuivre leurs recherches.

Paolo Garoscio

Rédacteur en chef adjoint. Après son Master de Philosophie, il s'est tourné vers la communication et le journalisme. Il rejoint l'équipe d'EconomieMatin en 2013.   Suivez-le sur Twitter : @PaoloGaroscio

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