TotalEnergies : une plainte pour complicité de crimes de guerre au Mozambique

Alors que TotalEnergies mise sur son mégaprojet gazier au Mozambique pour doper sa croissance, une plainte pour complicité de crimes de guerre, de torture et de disparitions forcées vient bousculer la narration officielle. Pour les investisseurs comme pour l’opinion, la réponse de la justice autour de TotalEnergies s’annonce décisive.

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By Adélaïde Motte Published on 18 novembre 2025 10h30
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TotalEnergies : une plainte pour complicité de crimes de guerre au Mozambique - © Economie Matin

Le 17 novembre 2025, une plainte pénale a été déposée au parquet national antiterroriste contre TotalEnergies et contre X pour complicité de crimes de guerre, de torture et de disparitions forcées au Mozambique. Ce recours, porté par l’ONG européenne ECCHR et soutenu par plusieurs organisations, place le groupe au centre d’un dossier de justice internationale sensible, dans lequel la question clé sera de déterminer ce que l’entreprise savait et ce qu’elle a continué de financer.

TotalEnergies face à une plainte pour complicité de crimes de guerre

Au cœur du dossier, la plainte vise le rôle de TotalEnergies dans le projet gazier Mozambique LNG, présenté depuis des années comme l’un des plus grands investissements privés du continent africain. Selon les ONG et l’ECCHR, le groupe détient environ 26,5 % de ce projet, pour un investissement global estimé à près de 20 milliards de dollars, soit environ 18,5 milliards d’euros, et en a fait un pilier de sa stratégie gazière mondiale, ce qui explique l’attention portée par la justice à ses choix de sécurisation du site. Le projet Mozambique LNG de TotalEnergies est installé dans la province de Cabo Delgado, une région marquée depuis plusieurs années par une insurrection djihadiste, des déplacements massifs de population et des violences extrêmes, ce qui justifie, selon les plaignants, un niveau accru de vigilance de la part de TotalEnergies.

Pour protéger les installations du projet, TotalEnergies a signé en 2020 un mémorandum de sécurité avec l’État mozambicain créant une unité dédiée, la Joint Task Force (JTF), composée de militaires et de policiers. D’après la plainte, le groupe aurait hébergé, nourri, équipé et indemnisé ces soldats, et donc contribué de manière décisive à leur déploiement autour du site. Entre juillet et septembre 2021, cette JTF est accusée d’avoir arrêté des dizaines de civils fuyant les combats, de les avoir enfermés dans des conteneurs métalliques près des installations de TotalEnergies, de les avoir frappés, affamés, privés de soins, et d’avoir ainsi provoqué des morts et des disparitions. Ce « massacre des conteneurs », documenté par des enquêtes journalistiques et repris par les ONG, est présenté comme le cœur des crimes dont TotalEnergies aurait pu être complice, ce qui place l’entreprise face à un enjeu de justice pénale inédit pour un groupe français de cette taille.

Complicité et justice : ce que la procédure contre TotalEnergies doit établir

Pour les juristes qui ciblent TotalEnergies, l’enjeu central est celui de la connaissance et de la continuité du soutien. La plainte souligne que TotalEnergies disposait, avant même l’été 2021, de rapports internes signalant des violences, extorsions, arrestations et disparitions attribuées aux forces de sécurité autour du projet. Un rapport commandé par TotalEnergies à un cabinet externe dès décembre 2020 évoquait déjà des « risques élevés » d’atteintes aux droits humains et des incidents d’agressions physiques ou de harcèlement imputés à des soldats. En outre, un rapport covering avril à septembre 2021 faisait à nouveau remonter des allégations de violations graves commises par ces forces, dont la JTF, ce qui, pour les plaignants, tend à montrer que TotalEnergies ne pouvait ignorer durablement la nature des acteurs qu’elle finançait. « TotalEnergies savait que l’armée mozambicaine était accusée de violations des droits humains et de crimes de guerre », affirme ainsi la juriste Clara Gonzales, citée par les ONG, qui insiste sur le fait que la justice devra trancher si cette connaissance place TotalEnergies dans une position de complicité.

La plainte devant le parquet national antiterroriste s’inscrit dans une tendance plus large où la justice cherche à encadrer le rôle des entreprises dans les conflits armés. « Les entreprises ne sont pas des acteurs neutres lorsqu’elles opèrent dans des zones de conflit », résume Clara Gonzales, juriste à l’ECCHR, en rappelant que, lorsque leurs financements ou leurs infrastructures facilitent des crimes, elles peuvent être poursuivies pour complicité. Pour TotalEnergies, la question est donc de savoir si le soutien logistique et financier apporté à la JTF, malgré les signaux d’alerte internes, constitue une assistance consciente à des crimes de guerre, ou si, au contraire, la compagnie pourra convaincre la justice qu’elle n’avait pas de connaissance précise des faits et qu’elle a réagi dès qu’elle a été informée. Ce point sera décisif pour l’issue de la plainte visant TotalEnergies, mais aussi pour la manière dont les investisseurs évalueront désormais le risque judiciaire attaché aux activités en zone instable.

Mozambique LNG : pourquoi la justice interroge la stratégie de TotalEnergies

Pour comprendre la portée de la plainte, il faut replacer TotalEnergies dans un contexte judiciaire déjà chargé autour du Mozambique. En 2023, des survivants et proches de victimes de l’attaque djihadiste de Palma, survenue à proximité du projet, ont déjà déposé une plainte en France contre TotalEnergies pour homicide involontaire et non-assistance à personne en danger. En mars 2025, le parquet de Nanterre a ouvert une enquête préliminaire sur ces faits, montrant que la justice s’intéresse déjà de près aux responsabilités potentielles de TotalEnergies dans la région. La nouvelle plainte pour complicité de crimes de guerre, déposée en novembre 2025, va encore plus loin, puisqu’elle vise la participation possible de TotalEnergies à des crimes internationaux, ce qui renforce la pression judiciaire sur la stratégie globale du groupe. Pour les ONG, le fait que TotalEnergies veuille relancer le projet Mozambique LNG, alors que le conflit et la crise humanitaire se poursuivent, justifie d’autant plus que la justice examine en profondeur les conditions de sécurisation du site.

Face à ces accusations, TotalEnergies défend une ligne claire de dénégation. La direction de Mozambique LNG a affirmé « n’avoir eu aucunement connaissance des événements dont il est question » au moment des faits, en expliquant que l’entreprise n’a jamais reçu de signalement lui indiquant que des civils auraient été enfermés, torturés ou tués à proximité du site. Par ailleurs, TotalEnergies souligne avoir demandé, en novembre 2024, l’ouverture d’enquêtes officielles au Mozambique après les révélations de presse sur des exactions imputées aux forces de sécurité, et indique coopérer avec les autorités. Le groupe rappelle que le procureur général du Mozambique a ouvert en mars 2025 une enquête pénale, et que la Commission nationale des droits humains mène également ses propres investigations, ce que TotalEnergies présente comme une preuve de sa volonté de laisser la justice établir les faits. Pour l’entreprise, il s’agit donc d’affirmer que, loin d’être complice, TotalEnergies promeut une approche de justice et de transparence, même si les ONG jugent ces démarches tardives et insuffisantes.

Pour les communautés locales, pour les ONG et pour les acteurs financiers, cette affaire cristallise enfin un autre débat autour de TotalEnergies : celui de l’impact climatique et social du projet. Les plaignants rappellent que Mozambique LNG pourrait générer sur sa durée de vie des émissions équivalentes à plusieurs milliards de tonnes de CO₂, ce qui en ferait, selon eux, une véritable « bombe carbone ». Ils évoquent aussi un surcoût budgétaire de plusieurs milliards de dollars, soit plus de 4 milliards d’euros, à la charge du budget mozambicain, ainsi qu’un réseau d’au moins une trentaine de banques publiques et privées impliquées dans le financement. Dans ce contexte, la plainte pour complicité de crimes de guerre contre TotalEnergies ne se limite pas à la seule question pénale : elle interroge la cohérence globale d’un modèle de développement, la gouvernance des risques, et la capacité des grandes entreprises à anticiper, plutôt qu’à subir, les exigences de la justice internationale. Pour TotalEnergies, c’est autant l’image d’un champion industriel français que la soutenabilité juridique d’un mégaprojet stratégique qui se retrouvent désormais sur le banc des accusés.

Ade Costume Droit

Diplômée en géopolitique, Adélaïde a travaillé comme chargée d'études dans un think-tank avant de rejoindre Economie Matin en 2023.

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