Le tribunal administratif de Rouen a ordonné, le 17 octobre 2025, le démantèlement du terminal méthanier flottant de TotalEnergies au Havre. Cette décision vient clore une bataille judiciaire de plus d’un an, menée par plusieurs associations écologistes.
Gaz : vers une pénurie après la fermeture du terminal GNL flottant du Havre ?

La présence du « Cape Ann » ne s'est pas pleinement justifiée
Le « Cape Ann », ce navire géant long de 283 mètres, équipé pour regazéifier du gaz naturel liquéfié (GNL), devait incarner la réponse rapide de la France à la crise énergétique provoquée par la guerre en Ukraine. Il pourrait finalement quitter le port normand d’ici quelques semaines, sur ordre de la justice.
Installé en octobre 2023, le terminal flottant devait permettre d’assurer environ 10% de l’approvisionnement national en gaz, soit une capacité annuelle maximale de 5 milliards de mètres cubes. Relié au réseau de transport de GRTgaz, il venait compléter les infrastructures existantes de Dunkerque, Montoir-de-Bretagne et Fos-sur-Mer. Lors de son inauguration, TotalEnergies vantait un outil « flexible et stratégique », capable de renforcer la sécurité énergétique du pays tout en répondant aux variations saisonnières de la demande. Mais le contexte a évolué plus vite que prévu : la crise d’approvisionnement redoutée à l’hiver 2022 n’a finalement pas eu lieu, et le « Cape Ann » n’a fonctionné qu’à une fraction de ses capacités. Selon les associations requérantes, il serait même resté inactif depuis août 2024.
Une « menace grave » sur la sécurité d’approvisionnement n'est plus à l'ordre du jour
Le tribunal administratif a estimé que les conditions exceptionnelles justifiant l’installation du terminal n’étaient plus réunies. L’autorisation délivrée par l’État en 2023 reposait sur une disposition du texte sur le pouvoir d’achat adopté au plus fort des tensions sur le marché du gaz. Cette loi permettait la mise en service du terminal flottant pour une durée de cinq ans, à condition qu’existe une « menace grave » sur la sécurité d’approvisionnement. Or, pour les juges, cette menace a disparu. « Un régime juridique sur mesure avait été construit pour TotalEnergies qui voulait conserver cette porte d’entrée pour le gaz de schiste », a dénoncé l’avocat Julien Bayou, représentant de l’association Ecologie pour Le Havre, à l’origine du recours.
La décision judiciaire, qui enjoint à l’État d’abroger l’arrêté d’autorisation dans un délai de deux mois, représente une victoire symbolique pour les écologistes. « C’est la victoire du pot de terre contre le pot de fer », a commenté Julien Bayou, saluant un « signal fort envoyé à ceux qui pensent que l’urgence climatique peut être mise entre parenthèses ». Pour l’association requérante, l’infrastructure ne se justifie plus : « Il n’y a plus de menace sur l’approvisionnement, et le terminal n’a pratiquement pas servi depuis un an », a résumé sur BFMTV Pierre Dieulefait, le président d’Écologie pour Le Havre.
Les contrats passés par TotalEnergies avec des partenaires devront être annulés
Pour TotalEnergies, ce revers est lourd de conséquences. Le groupe n’a pas souhaité réagir publiquement, mais la décision pourrait perturber une partie de sa stratégie gazière. Le « Cape Ann » avait été conçu pour s’intégrer à la chaîne mondiale de GNL du groupe, l’un des plus importants acteurs du secteur avec près de 12% du marché mondial et un portefeuille de plus de 50 millions de tonnes par an. En France, la présence de ce terminal renforçait la position de l’entreprise sur le segment du gaz, que TotalEnergies présente comme un « pilier de la transition énergétique » dans ses communications officielles.
Le démantèlement du terminal aura aussi des conséquences économiques. Ce type d’infrastructure, bien que moins coûteux qu’un terminal terrestre, représente un investissement important : au-delà du navire lui-même, il mobilise des installations portuaires, des connexions au réseau de transport et des services de maintenance spécialisés. Son arrêt anticipé risque d’entraîner des coûts non négligeables et de fragiliser les contrats conclus avec les partenaires techniques et commerciaux.
Pour la justice, la conjoncture ne justifie plus l'implantation de ce terminal méthanier
Du côté des autorités, la décision de la justice administrative relance un débat délicat : celui du rôle du gaz naturel dans la politique énergétique française. Le gouvernement avait soutenu l’installation du terminal du Havre au nom de la souveraineté énergétique. Mais la baisse de la consommation de gaz en 2024 et la diversification des importations européennes ont rendu cet argument moins défendable. En rappelant que la condition d’« urgence d’approvisionnement » ne saurait être prolongée indéfiniment, le tribunal de Rouen envoie un message clair : l’environnement et la sécurité juridique doivent être considérés au même titre que la sécurité énergétique.
Le « Cape Ann » reste pour l’instant amarré au Havre, en attente d’une éventuelle procédure d’appel devant le Conseil d’État. Si la décision est confirmée, TotalEnergies devra le désinstaller et le remorquer vers un autre port ou une zone de stockage. L’épisode illustre à quel point les grands projets énergétiques du groupe sont désormais scrutés, non seulement pour leur pertinence économique, mais aussi pour leur compatibilité avec les engagements environnementaux. En Normandie, la bataille du gaz flottant semble s’achever. Mais elle laisse derrière elle un avertissement : même les symboles de la souveraineté énergétique peuvent être fragiles face au droit et à l’évolution rapide du contexte mondial.
