Pourquoi les généralistes doivent tous tester leurs patients

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Par Bertrand Legrand Publié le 6 juin 2020 à 5h02
Medecin Laboratoire
151.325Au 2 juin 2020, le total des cas confirmés de Covid-19 s'élevait en France à 151.325 cas.

Le 30 avril 2020 j’ai dit non à la doctrine officielle du ministère de la Santé : elle réservait aux patients symptomatiques du Covid-19 les tests RT-PCR avec écouvillonnage du nez. Depuis j’ai pratiqué dans mon cabinet plus de 350 tests, à tous les patients qui l’acceptaient. Car le gouvernement s’est trompé fondamentalement sur l’emploi de ce test : il n’est pas fait pour diagnostiquer le Covid-19. L’examen clinique suffit à diagnostiquer. Il est fait pour débusquer les personnes contaminées asymptomatiques, celles qui font encore circuler à leur insu le virus de Wuhan dans la population.

L’armée d’enquêteurs promise par le Premier Ministre est inutile. Son intention déclarée est de détecter 3.000 personnes testées positives par jour, et de trouver pour chacune 25 personnes avec lesquelles elles ont été en contact dans les jours précédents, puis de tester ces cas contacts. Hormis le problème de cette mesure pour le secret professionnel des médecins, je me pose de sérieuses questions sur la possibilité de trouver 75.000 cas contacts par jour, soit 525.000 par semaine ! Quelle administration pourrait faire ça ? Surtout que la procédure fait perdre cinq à six jours entre la contamination et l’identification des contacts - ce qui leur laisse tout le temps pour disséminer le virus autour d’eux. Le problème n’est pas solvable de cette manière. Il faut le prendre par l’autre bout.

525.000 cas contacts par semaine, ça aboutit vite à considérer que chaque Français est le cas contact de quelqu’un. Donc autant s’épargner ces efforts de surveillance généralisée, et pratiquer le test aléatoire que nous conseille la science. Un biologiste voisin me fournit des tests RT-PCR au cabinet. Je prélève, et il analyse mes prélèvements.

La France aurait intérêt à s’appuyer sur l’important réseau des médecins de ville pour repérer les personnes porteuses beaucoup plus tôt et agir à temps pour limiter la contagion. Pas seulement pour prescrire les tests, mais pour les effectuer – avec la petite formation qui s’impose. Ainsi le patient ne perd pas de temps à trouver un laboratoire, et il n’abandonnera pas non plus en chemin.

Autre raison : il y a trop de contraintes administratives pour faire des prélèvements massifs dans un laboratoire d’analyses médicales. Sans compter qu’on n’est pas sûr que la demande sera au rendez-vous : les patients font plus confiance à leur médecin traitant qu’à un « drive » ou à un « centre Covid » avec des médecins inconnus. Notre espoir est d’inciter les confrères à faire de même, seule manière de massifier les prélèvements dans le pays.

Je ne fais pas ces tests pour gagner de l’argent en plus ; je ne suis même pas rémunéré pour cet acte ; je le fais parce que j’en ai ma claque des mesures idiotes du gouvernement. Je veux lever le frein qu’ont les médecins, soit parce qu’ils ont peur, soit parce qu’ils ne sont pas rémunérés. C’est vraiment notre travail à nous : tester quand l’extension des tests est décidée, tout de suite, sans laisser au patient le temps de changer dix fois d’avis par peur qu’on lui annonce une mauvaise nouvelle. Il faut ferrer le poisson à l’instant.

Bien sûr je me suis pris une rafale de critiques. Elles viennent surtout de la part d’infectiologues et d’autres confrères, essentiellement du monde public hospitalier. Ils me reprochent essentiellement de remettre en cause la doctrine officielle. C’est le syndrome du premier de la classe : on leur a dit qu’il faut faire comme ça, et donc ils suivent les instructions sans les remettre en cause. On a beau leur démontrer par A plus B que la doctrine officielle est stupide car elle va augmenter les faux négatifs et libérer des patients contagieux. Et pourtant ils continuent à vouloir faire comme les chefs leur ont dit.

C’est aussi une question de pouvoir. Le monde hospitalier veut garder la main sur les tests et décider sans le médecin généraliste, auquel on ne fait pas vraiment confiance pour le diagnostic. C’est assez explicite dans les discussions privées sur les réseaux sociaux. L’autre type d’attaque est plus perfide. Il traduit une peur de perdre sa patientèle, comme si j’allais piquer des patients à mes confrères en mettant en place des tests. Or la règle que j’applique toujours quand je vois venir le patient d’un confrère, c’est de le réadresser à son cabinet d’origine avec un courrier au confrère. J’ai une haute exigence de l’éthique médicale, et je ne m’amuse pas à détourner la patientèle des autres.

Il existe un autre type de test : le test sérologique qui permet de dépister 7 jours après le début des symptômes la présence d’anticorps circulants. Ce test peut être utilisé par défaut de prélèvement PCR pour rattraper tardivement des patients encore un peu contagieux. Mais nous ne pouvons fonder une stratégie de limitation des contaminations sur leur unique usage. En effet le test sérologique permet surtout de rassurer les patients et d’acheter une paix sociale en déterminant qui a déjà subi une première infection. La meilleure doctrine reste donc la massification des tests, l’isolement des cas positifs et de tous les patients symptomatiques.

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Le Docteur Bertrand Legrand a 41 ans. Il est médecin généraliste libéral dans un quartier populaire de Tourcoing (Nord). Il est secrétaire départemental de la Confédération des Syndicats des Médecins de France (CSMF). Il est aussi le fondateur de Vitodoc, le premier site internet pour les médecins qui prennent des nouveaux patients. Vitodoc référence 16.000 médecins en juin 2020. Bertrand Legrand publiera en août 2020 son « Journal d’un médecin au temps du coronavirus », aux éditions de l’Archipel.

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