Défense : l’UE impose la préférence européenne

Bruxelles franchit une étape décisive avec l’adoption du programme EDIP, un plan inédit destiné à renforcer l’autonomie stratégique de l’Union européenne. En favorisant les industriels du continent, ce dispositif marque un tournant majeur vers une « préférence européenne » dans la défense, à la fois économique et géopolitique.

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By Adélaïde Motte Last modified on 17 octobre 2025 13h57
Defense Union Europeenne Impose Preference Europeenne
Défense : l’UE impose la préférence européenne - © Economie Matin

Une « préférence européenne » au service de la souveraineté industrielle

Le 16 octobre 2025, le Parlement européen et le Conseil de l’Union ont trouvé un accord sur le programme européen pour l’industrie de la défense (EDIP). Doté d’un budget de 1,5 milliard d’euros pour la période 2025-2027, il constitue la première initiative communautaire visant explicitement à favoriser les entreprises européennes dans les achats d’armement. L’objectif est clair : réduire la dépendance vis-à-vis des États-Unis, qui dominent encore plus de 60 % des importations européennes d’équipements militaires selon les dernières données de l’AED.

L’EDIP succède à l’Edirpa, programme d’urgence lancé après l’invasion de l’Ukraine pour mutualiser les achats de défense. Désormais, Bruxelles ambitionne une approche structurelle, capable de « combler l’écart entre les mesures d’urgence et la stratégie industrielle de long terme », précise le Conseil de l’UE dans son communiqué. Le texte stipule que la part des composants non européens ne devra pas excéder 35 % du coût total des systèmes financés par le programme – une clause inédite, considérée comme la pierre angulaire de la préférence européenne.

Un programme pensé pour stimuler les coopérations entre États et industriels

Au-delà du soutien direct, EDIP encourage les projets conjoints d’armement et la production mutualisée de munitions, de véhicules ou de systèmes électroniques. « Cet accord constitue une étape majeure pour la sécurité du continent et le développement de notre industrie de défense », a déclaré François-Xavier Bellamy, rapporteur au Parlement européen. Concrètement, 300 millions d’euros seront réservés à l’instrument de soutien à l’Ukraine (USI), destiné à renforcer les capacités de production des États membres les plus sollicités.

Cette initiative s’inscrit dans la volonté de consolider la base industrielle et technologique de défense européenne (BITDE), encore fragmentée entre des dizaines d’acteurs nationaux. Selon un rapport de la Commission, la duplication des programmes militaires coûte chaque année plus de 25 milliards d’euros à l’Union. L’EDIP devrait inciter les États à mutualiser leurs achats, un mouvement déjà amorcé par les commandes communes d’obus de 155 mm pour l’Ukraine.

Des réactions contrastées entre partenaires et concurrents

L’annonce du programme a été accueillie favorablement par les grands groupes européens. Le directeur général de Safran estime que « la préférence européenne pourrait favoriser la coopération industrielle », en consolidant les chaînes de valeur internes. Du côté des PME, l’attente est forte : le texte prévoit un guichet spécifique pour les fournisseurs secondaires, afin de garantir leur accès aux marchés publics de défense.

En revanche, les industriels non européens s’inquiètent. En Israël, certains acteurs redoutent d’être exclus d’un marché estimé à plus de 50 milliards d’euros par an. Selon IsraelValley, plusieurs groupes comme Rafael et Elbit Systems anticipent une baisse de leur part de contrats européens, au profit de sociétés comme Airbus Defence & Space, Leonardo, Thales ou KNDS. La question reste sensible : les États membres, notamment l’Allemagne et les Pays-Bas, souhaitent préserver une marge de coopération avec les partenaires de l’OTAN, même hors UE.

Un signal politique fort, mais des défis d’application

Pour Bruxelles, la préférence européenne dans la défense n’est pas un repli protectionniste, mais une mesure de cohérence stratégique. « Il s’agit de garantir que les fonds européens servent avant tout à renforcer nos capacités communes », explique une source diplomatique citée par Le Monde. Le message est double : relancer la production intérieure tout en affirmant une autonomie d’action militaire à long terme.

Mais l’application du seuil de 35 % pourrait s’avérer complexe, en particulier dans les domaines des semi-conducteurs ou de l’optronique, où les dépendances vis-à-vis des États-Unis et de l’Asie demeurent fortes. D’autres voix, comme celles du Parti communiste français, dénoncent un « enfumage » : le dispositif, selon eux, favorise surtout les grands groupes de l'industrie de la défense au détriment des États. L’Union européenne parie pourtant sur un effet d’entraînement industriel, capable de créer des milliers d’emplois et de stabiliser une filière stratégique confrontée à la pression internationale.

Ade Costume Droit

Diplômée en géopolitique, Adélaïde a travaillé comme chargée d'études dans un think-tank avant de rejoindre Economie Matin en 2023.

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