Implantée depuis 1434 à Apprieu (Isère), l’Aciéries de Bonpertuis, fleuron de l’aciérie française, vient d’être placée en liquidation judiciaire.
Aciéries de Bonpertuis : six siècles d’histoire industrielle balayés par la liquidation

Le 2 septembre 2025, les Aciéries de Bonpertuis ont été placées en redressement judiciaire par le tribunal de commerce de Lyon, avant que celui-ci ne prononce la liquidation définitive le 23 octobre 2025. Ce dénouement met fin à près de 600 ans d’activité métallurgique en Isère. Pour comprendre cette issue dramatique, il faut revenir sur la fragilisation progressive du groupe Forlam, sur l’évolution du marché de l’acier et sur le rôle symbolique de cette entreprise dans le paysage industriel français.
Un savoir-faire ancien confronté à la crise du secteur
Fondées en 1434 par les Chartreux, les Aciéries de Bonpertuis font partie des plus anciennes entreprises françaises encore en activité au XXIᵉ siècle. Située à Apprieu, près de Voiron, cette aciérie historique travaillait pour des clients de la mécanique de précision, de l’aéronautique et de l’énergie. Son propriétaire, le groupe Forlam, rassemblait plusieurs unités métallurgiques, dont Bonpertuis était la plus ancienne. Mais depuis 2022, le secteur connaît une contraction brutale de la demande : la baisse des commandes, le coût du mégawattheure et l’envolée des matières premières ont fait basculer la trésorerie.
En 2023, le chiffre d’affaires de l'aciérie chutait de 25,3 à 20,3 millions d’euros, et le résultat d’exploitation affichait une perte de 2 millions d’euros. Selon les représentants du personnel, la hausse du prix de l’énergie a eu un effet direct sur les fours électriques, très énergivores, entraînant une perte de compétitivité vis-à-vis des concurrents italiens et turcs. Ces derniers bénéficient de coûts énergétiques et logistiques moindres.
Des emplois locaux en péril et une région en deuil industriel
Au total, 66 emplois sont directement concernés : 46 à Apprieu et une vingtaine à Domène, où se trouvait le site d’étirage à froid. Dans un bassin déjà fragilisé par la désindustrialisation, la fermeture de l'aciérie de Bonpertuis provoque un choc. « C’est un pan de notre mémoire collective qui disparaît », confie un ancien contremaître au micro de France 3 Auvergne-Rhône-Alpes.
Les élus locaux, parmi lesquels le maire d’Apprieu et le président de la communauté d’agglomération du Pays Voironnais, dénoncent une absence de soutien de l’État et de la Région. Le député de l’Isère a adressé un courrier à Bruno Le Maire pour « explorer une reprise par un acteur français ». Mais le ministère de l’Industrie n’a pas jugé l’entreprise « stratégique » au sens du plan France 2030, ce qui a privé le dossier de toute aide d’urgence.
Des offres de reprise insuffisantes pour sauver l’activité
Deux propositions ont été déposées avant l’audience du 21 octobre 2025 : la première, émanant d’un acteur local, visait à reprendre la seule activité papetière pour deux salariés ; la seconde, déposée par un client turc, proposait 10 001 euros et la reprise de quinze emplois dans le laminage. Aucune n’a été jugée viable par le tribunal, qui a estimé que « les perspectives industrielles et financières ne garantissaient pas la pérennité du site ». Le 23 octobre, la liquidation a été prononcée.
Pour les syndicats, cette fin était évitable. « On avait des savoir-faire uniques, mais pas les moyens de les moderniser », regrette un délégué CGT, interrogé par France Bleu Isère. Les salariés évoquent la vétusté des fours, des pièces de rechange introuvables, et une maintenance repoussée faute de fonds.
Réactions des salariés et dimension patrimoniale
« J’étais fier d’être embauché ici… De voir comment ça se finit, c’est écœurant », témoigne un ouvrier des Aciéries de Bonpertuis à Lyon Capitale. Beaucoup soulignent que Bonpertuis faisait partie du patrimoine vivant de la métallurgie française. Le site abritait encore un four classé monument historique, utilisé autrefois pour forger l’épée de François Iᵉʳ.
Les syndicats demandent désormais la conservation du site à des fins muséales. « Ce n’est pas seulement une usine qui ferme, c’est un symbole de ce que la France savait faire de mieux », déplore un représentant FO. Des contacts ont été pris avec le ministère de la Culture et la DRAC pour envisager le classement du site complet au patrimoine industriel.
Une faillite symptomatique des fragilités du tissu métallurgique français
La disparition des Aciéries de Bonpertuis illustre une tendance lourde : celle du recul de la sidérurgie indépendante en France. En vingt ans, plus de 40 sites de production d’acier ou de transformation ont fermé, selon la Fédération de la métallurgie. Les coûts de l’énergie, la complexité environnementale et l’absence de vision industrielle cohérente fragilisent les petites aciéries. Tandis que les grands groupes (ArcelorMittal, Aperam) concentrent leurs investissements sur les aciers à haute valeur ajoutée, les PME régionales manquent de soutien pour moderniser leurs outils.
