Carrefour : une assurance pour les courses ?

Le distributeur Carrefour n’est pas innocent dans la tendance inflationniste de ces dernières années. Le groupe a largement bénéficié de la hausse des prix alimentaires, comme l’ensemble du secteur de la grande distribution. Or, c’est bien cette hausse des prix qui a conduit certains Français à ne plus pouvoir faire leurs courses.

Paolo Garoscio
Par Paolo Garoscio Modifié le 7 décembre 2023 à 11h31
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2 MILLIARDS €Le groupe Carrefour a enregistré un bénéfice de plus de 2 milliards d'euros en 2022.

Mais ne vous inquiétez pas : après avoir fait grimper les prix, Carrefour lance une assurance pour que vous puissiez faire les courses plus tard. Absurde ? Tout à fait, mais parfaitement légal et réel.

Courses protect : payez Carrefour pour avoir le droit de faire vos courses à l’avenir

Le nouveau service lancé lundi 4 décembre 2023 par Carrefour et CNP Assurances s’appelle « Courses protect » et est tout simplement… une assurance avec un prix mensuel. En payant le distributeur tous les mois, ce dernier vous permettra de compenser une « perte soudaine de pouvoir d’achat ». Par exemple en cas d’accident de la vie ou de perte de l’emploi.

Le prix de cette tranquillité ? Relativement cher. Quatre formules sont proposées : une à 2,90 euros par mois, soit 34,80 euros par an, une autre à 3,90 euros par mois, soit 46,80 euros par an et enfin deux autres formules à 5,90 euros et 8,90 euros. Pour ce prix, les clients peuvent alors compenser leur perte de pouvoir d’achat… mais uniquement chez Carrefour.

Des bons d’achat Carrefour si vous ne pouvez plus faire vos courses ?

Comme pour toute assurance, si aucun pépin ne vous arrive, l’argent reviendra à Carrefour et son partenaire. Mais si, effectivement, vos revenus chutent, alors Carrefour vous donnera des bons d’achat mensuels. 75 euros par mois pour la formule la moins chère, 150 euros pour celle à 3,90 euros et jusqu’à 500 euros pour la plus chère. Des bons d’achats qui ne seront toutefois qu’utilisables chez Carrefour, évidemment.

Mais l’assurance va plus loin : en cas d’invalidité ou de perte d’autonomie, l’indemnisation annoncée est de 500 euros. Mais pas par mois : le règlement ne sera fait qu’une seule fois

Carrefour invente… les clients qui payent pour d’autres clients

Le coup de génie de Carrefour et de CNP Assurances tient sans aucun doute dans l’application d’un principe majeur de l’assurance à la grande distribution : ce sont les clients qui payent pour les autres clients. En effet, il suffit à Carrefour d’avoir une trentaine d’assurés à 2,90 euros (soit 87 euros d’abonnements) pour pouvoir verser le bon d’achat de 75 euros à un de ses clients, sans connaître de perte. Ce sont donc ces clients-là qui auront payé les courses du bénéficiaire.

Quand Carrefour crée le problème...

La grande différence entre une mutuelle, une assurance auto ou habitation, et l’assurance « courses » de chez Carrefour est… que le distributeur fait partie de la cause qui pourrait pousser les clients à souscrire à son offre. Une assurance auto, outre être obligatoire pour rouler, va prendre en charge des dommages causés par son assuré ou par des tiers, mais la société d’assurances ne peut guère être considérée comme une cause de l’accident. Idem pour une assurance habitation : l’assurance n’est pas la cause de la fuite d’eau ou de la tempête.

Par contre, Carrefour, en tant que distributeur, est bien une des raisons pour lesquelles l’inflation alimentaire a connu des records et des hausses à deux chiffres depuis la fin de la Covid-19. D’ailleurs, Carrefour en a bien profité : en 2022, le distributeur a terminé l’année avec un chiffre d’affaires de 90,8 milliards d’euros (en hausse de 12 milliards sur un an) dont 42 milliards en France, et un bénéfice net de 2,3 milliards d’euros, dont 834 millions rien qu’en France, soit un cinquième du total. De quoi permettre à Carrefour d’augmenter en 2023 le dividende versé à ses actionnaires de près de 8% sur un an. L’alimentation a bien été un moteur de croissance pour le groupe : le chiffre d’affaires a grimpé de 4,4% dans ce domaine en 2022, contre une baisse de 3,5% des ventes dans le non-alimentaire.

... et propose une solution payante au problème qu'il a créé

Le distributeur fait donc grimper les prix ce qui conduit à une inquiétude croissante de la part des ménages. Puis Carrefour propose à ces mêmes ménages une assurance pour répondre à cette inquiétude. Et, n’oublions pas : les ménages qui ne peuvent pas faire face à un coup dur comme une perte d’emploi sont généralement les ménages les plus pauvres, donc ceux qui ont déjà le plus de mal à faire leurs courses.

Carrefour et CNP Assurances le savent bien. l'offre Courses Protect répond justement à cette inquiétude. « Face à la flambée des prix de l’alimentation et des produits de première nécessité, de plus en plus de Français éprouvent des difficultés à payer leurs factures, notamment en cas d’imprévus entraînant une perte ou une baisse de leur revenu », indique le groupe dans un communiqué.

Paolo Garoscio

Après son Master de Philosophie, Paolo Garoscio s'est tourné vers la communication et le journalisme. Il rejoint l'équipe d'EconomieMatin en 2013.   Suivez-le sur Twitter : @PaoloGaroscio

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