Cognac français : Rémy Martin victime des tensions Chine–États-Unis

Des salariés mis à l’arrêt, un marché à l’export en chute libre, et une filière sous tension… Derrière une décision passée presque inaperçue, c’est toute une économie locale et un savoir-faire français qui vacille.

Une crise sans précédent pour le cognac

Le mot est fort, mais il n’est pas galvaudé. Pour la première fois de son histoire, Rémy Martin, l’une des trois maisons fondatrices du cognac français, a dû placer une partie de ses salariés au chômage partiel, une semaine par mois jusqu’en juin 2025 minimum. Les deux tiers des 390 employés du site de Merpins sont concernés, avec à la clé une perte de salaire de 7 %.
Pourquoi cette décision ? À cause d’une guerre commerciale qui ne les vise même pas directement. En représailles à une enquête européenne sur les subventions chinoises à l’automobile électrique, Pékin a frappé là où ça fait mal : les eaux-de-vie européennes, dont le cognac, qui doivent désormais verser des cautions douanières lourdes pour entrer sur le marché chinois. Pendant ce temps, aux États-Unis, les menaces tarifaires brandies par Donald Trump, toujours bien présentes, pèsent sur l’autre pilier des exportations françaises.

Ce plan d’arrêt partiel ne concerne pas uniquement les salariés en CDI. Il pourrait aussi priver d’activité une large partie des intérimaires, traditionnellement nombreux dans la filière. C’est un effet domino qui menace un écosystème : celui des petits producteurs, des transporteurs, des fournisseurs de bouchons ou d’étiquettes...
Avec 98 % de ses ventes réalisées à l’export, le cognac est l’un des produits français les plus mondialisés. Les chiffres parlent d’eux-mêmes : la filière emploie 72 500 personnes en France, pour un chiffre d’affaires de 3,35 milliards d’euros. Or, les États-Unis et la Chine représentent à eux seuls 63 % des expéditions, selon le Bureau national interprofessionnel du cognac. Quand ces deux marchés éternuent, c’est toute la filière qui attrape froid.

Rémy Martin : une maison emblématique fragilisée

Derrière l’image de luxe et de prestige, Rémy Martin encaisse une double peine. Sur le seul premier semestre de son exercice 2024-2025, le chiffre d’affaires du groupe Rémy Cointreau a chuté de 17,9 % sur le segment cognac, pour atteindre 534 millions d’euros. En interne, la pression est telle que le directeur général, Éric Vallat, a démissionné fin mars 2025, après cinq ans de mandat.
David Charrier, syndicaliste Force Ouvrière, le résume sans détour à l'AFP : « J’ai connu les années compliquées, mais jamais une crise qui touche nos deux plus gros marchés ». Les entreprises ultra-dépendantes de l’export peuvent basculer rapidement en cas de tensions géopolitiques comme on le vit actuellement. Et pour les investisseurs ou dirigeants attentifs, c’est un vrai cas d’école.

Ce qui arrive à Rémy Martin n’est pas un cas isolé. Tout secteur fortement exposé à l’exportation (aéronautique, cosmétique, luxe…) pourrait être frappé par le même type de sanctions croisées. Il n'y a qu'à voir les résultats du premier trimestre en 2025 de LVMH. Pour les consommateurs et les amateurs de spiritueux, c’est aussi l’occasion de repenser sa consommation locale et de soutenir les producteurs français pendant cette période difficile.
Côté opportunités, certains distributeurs pourraient profiter de cette conjoncture pour négocier à la baisse des stocks surabondants. Si l’export ralentit, l’offre disponible en France augmente. Moralité : pour les particuliers, c’est peut-être le moment d’investir dans une bonne bouteille de cognac, tout en gardant un œil sur la provenance… et sur les étiquettes.