Pourquoi une bouilloire, une machine à café ou un simple fauteuil coûtent-ils parfois deux à trois fois plus cher lorsqu’ils sont achetés par une mairie plutôt que par un particulier ? Une enquête de Ouest-France met en lumière des écarts de prix spectaculaires dans la commande publique, relançant un débat ancien sur le coût réel des achats publics, leur efficacité et leur bien-fondé à l’heure où chaque euro dépensé par les collectivités est scruté de près.
Commande publique : comment l’État gaspille vos impôts

Commande publique et achats du quotidien : des écarts de prix qui interrogent
Alors que la commande publique représente chaque année plusieurs centaines de milliards d’euros en France, des journalistes d'Ouest-France se sont penchés sur ces achats de fournitures courantes réalisés à des prix astronoques, qui interrogent la logique économique d’un système pourtant conçu pour rationaliser la dépense, sécuriser les procédures et garantir la transparence. Cette enquête s’appuie sur des cas précis, volontairement simples, afin de rendre le débat accessible. Ainsi, une bouilloire de marque Moulinex, vendue autour de 35 euros dans le commerce, est proposée à environ 60 euros lorsqu’elle est achetée par une collectivité via une centrale d’achats, a constaté le quotidien régional. De même, une machine à café affichée à 60 euros pour un particulier peut être facturée jusqu’à 160 euros à une mairie, toujours d’après les éléments vérifiés par Ouest-France. Ces exemples, parce qu’ils concernent des fournitures banales, frappent l’opinion publique et alimentent le sentiment d’un surcoût systématique de la commande publique.
Ces écarts ne se limitent pas à l’électroménager. L’enquête cite également le cas d’un fauteuil vendu environ 90 euros dans le commerce, mais facturé près de 260 euros dans le circuit public. Ces achats, multipliés par des milliers de collectivités et d’établissements publics, pèsent lourdement sur les finances locales. Or, dans le même temps, la commande publique est censée produire des économies d’échelle grâce à des volumes d’achat importants et à une mise en concurrence encadrée.
Commande publique et centrales d’achats : l'efficacité promise n'est qu'illusion
L’enquête de Ouest-France met en cause le rôle central des centrales d’achats, et en particulier celui de l’UGAP, principal acteur public du secteur. En théorie, ces structures permettent aux collectivités de gagner du temps, de sécuriser juridiquement leurs achats et de bénéficier de prix négociés. En pratique, la réalité apparaît plus nuancée. Selon plusieurs experts interrogés par Ouest-France, le mécanisme de double marginalisation expliquerait une partie des surcoûts observés. Autrement dit, chaque intermédiaire ajoute sa marge, du fabricant à la centrale, puis parfois au distributeur final.
Pourtant, les responsables des centrales d’achats contestent l’idée d’un système globalement inflationniste. Interrogé par Ouest-France, Edward Jossa, directeur général de l’UGAP, affirme ainsi que « les prix sont globalement compétitifs » et insiste sur la nécessité de raisonner en panier global, et non produit par produit. Il cite notamment des stylos Stabilo vendus 36% moins chers que chez le leader de la vente en ligne. Ce discours souligne une divergence d’approche. Là où l’opinion se focalise sur des exemples frappants, les centrales défendent une vision macroéconomique de la commande publique.
Néanmoins, cette défense peine parfois à convaincre. L’économiste Stéphane Saussier rappelle que si une centrale d’achats « mange les coûts de l’appel d’offres », elle bénéficie en contrepartie d’économies d’échelle importantes. Dès lors, lorsque les prix sont supérieurs à ceux du marché privé, « il faut l’expliquer », estime-t-il. Ce constat nourrit un malaise croissant parmi les élus locaux, notamment dans les petites communes, souvent dépendantes de ces structures faute de ressources internes suffisantes pour lancer leurs propres marchés.
Commande publique, contraintes juridiques et débat politique
Enfin, l’enquête de Ouest-France replace ces dérives potentielles dans un cadre plus large, celui des contraintes juridiques qui pèsent sur la commande publique. En dessous de 40.000 euros, les collectivités peuvent acheter plus librement. Au-delà, les procédures se complexifient, les délais se rallongent, et des compétences juridiques, que toutes les mairies ne possèdent pas, sont mobilisées. Par conséquent, beaucoup préfèrent passer par une centrale d’achats, même si le prix unitaire est plus élevé, afin de sécuriser leurs décisions et d’éviter tout risque contentieux.
Cette situation alimente un débat politique ancien mais ravivé par l’enquête. Certains élus n’hésitent plus à remettre en cause le modèle actuel. Toujours dans Ouest-France, un député va jusqu’à déclarer, à propos de l’UGAP : « si cela ne tenait qu’à moi, je la supprimerais ». Ces critiques trouvent un écho particulier alors que la commande publique française est estimée entre 233 et 400 milliards d’euros par an, et que les collectivités locales assurent environ 80% des marchés publics.
Face à ces constats, le gouvernement a annoncé la mise en place d’une « alerte prix » destinée à détecter les situations jugées aberrantes dans les achats publics. L’objectif affiché est ambitieux : générer jusqu’à 850 millions d’euros d’économies dès 2026. Cette initiative vise à renforcer la transparence, sans remettre en cause le principe même de la commande publique, considérée comme un levier majeur de politique économique et territoriale.
