Retirer du cash devient un luxe : les distributeurs de billets en voie d’extinction

C’est un mouvement engagé depuis plusieurs années : le parc de distributeurs automatiques de billets (DAB) continue de se contracter. Avec seulement 42.578 appareils recensés à la fin de l’année 2024, la France enregistre une baisse de leur nombre de 3,5% en un an. Derrière ce chiffre se cache une dynamique plus large : celle d’un désengagement progressif des grandes banques, de la montée en puissance d’acteurs privés et d’une réorganisation discrète mais radicale du paysage du retrait d’espèces.

Anton Kunin
By Anton Kunin Published on 25 juillet 2025 8h00
Retirer du cash devient un luxe : les distributeurs de billets en voie d’extinction
Retirer du cash devient un luxe : les distributeurs de billets en voie d’extinction - © Economie Matin
56%56% des communes françaises sont désormais dépourvues d'un distributeur de billets.

Distributeurs de billets : la fin d’un maillage historique

Les distributeurs automatiques de billets, longtemps symboles d’autonomie financière, disparaissent lentement mais sûrement. En 2018, on en comptait encore plus de 53.000. En six ans, plus de 11.000 ont été supprimés. Un chiffre qui résume à lui seul l’ampleur de la transformation.

Dans sa dernière communication annuelle sur le sujet (qui révèle les chiffres de 2024), le Comité national des moyens de paiements (CNMP), présidé par la Banque de France, tempère : « l’accessibilité aux espèces reste à un très haut niveau ». De fait, les statistiques sont flatteuses : près de 99% de la population vit à moins de 15 minutes en voiture d’un distributeur ou d’un point alternatif de retrait. Mais cette moyenne masque des disparités locales.

Dans certaines communes rurales, cette « accessibilité » implique un trajet de plusieurs kilomètres pour accéder au seul DAB de la région. Or, 56% des communes françaises sont désormais dépourvues de distributeur. Et ces chiffres devraient continuer à se dégrader avec la vague de fermetures attendue.

Campagnes et petites villes : les oubliées du système

Les grandes métropoles, certes touchées par des regroupements, conservent une densité suffisante pour amortir le choc. Ce n’est pas le cas des zones rurales, qui voient disparaître les derniers automates restants. Le coût d’installation d’un DAB — environ 60.000 euros, selon le ministère de l’Économie — rend toute initiative locale difficilement soutenable. Pour les grandes banques, les zones à faible densité sont tout simplement moins rentables. D’où la stratégie actuelle : mutualiser les réseaux, regrouper les appareils, réduire les coûts. BNP Paribas, Crédit Mutuel-CIC, Société Générale, engagées dans cette mutualisation depuis 2023 — prévoient même la suppression de 7.500 DAB d’ici fin 2025.

Les retraits chez les commerçants, un pansement plus qu'une véritable solution alternative

En parallèle de la fermeture des distributeurs traditionnels, se développe une forme de retrait plus discrète : les points privatifs. En 2024, 28.479 commerces permettaient aux clients de retirer des espèces à condition de payer par carte, contre 27.418 un an plus tôt. Ce dispositif gagne du terrain, mais reste limité.

D’abord, il n’est accessible qu’aux clients de certaines banques. Ensuite, les montants sont plafonnés — de 20 à 100 euros par jour, selon le fond de caisse du commerçant. Enfin, ces retraits dépendent des horaires d’ouverture et de la volonté du commerçant de proposer ce service. Autant de contraintes qui rendent l’outil moins souple qu’un DAB.
Un test pilote, prévu pour 2026, vise à interconnecter les réseaux de La Banque Postale et du Crédit Agricole à travers les « relais CA ». L’objectif ? Étendre le service à davantage de clients. Mais cette logique de sous-bancarisation territoriale laisse entrevoir une segmentation inquiétante du droit à disposer de son argent.

L’émergence discrète des géants du cash

Si les banques reculent, d’autres acteurs avancent. Les sociétés de transport de fonds comme Loomis, Brink’s ou encore Euronet, traditionnellement absentes du marché, exploitent aujourd’hui 961 distributeurs en France. Ce chiffre, encore modeste, marque une évolution significative : le retrait d’espèces devient un service marchand, privatisé, parfois tarifé, et de plus en plus dissocié du système bancaire classique.

Cette réorganisation du paysage du cash pose des questions fondamentales sur le rôle des établissements publics dans la gestion des flux monétaires. Faut-il abandonner l’accès gratuit à l’argent liquide ? Doit-on accepter que retirer des espèces relève désormais du commerce privé ?

La disparition progressive des distributeurs n’est pas une simple affaire de logistique. C’est une reconfiguration silencieuse de notre rapport à l’argent. Le liquide reste encore très utilisé dans certaines tranches d’âge, dans certains métiers, dans certaines régions, dans les petits commerces. Pourtant, ceux qui en dépendent le plus sont précisément ceux qui en sont le plus éloignés.

Anton Kunin

Après son Master de journalisme, Anton Kunin a rejoint l'équipe d'ÉconomieMatin, où il écrit sur des sujets liés à la consommation, la banque, l'immobilier, l'e-commerce et les transports.

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